Sénégal : Sécuriser les journalistes pour une élection libre et transparente

Déclaration d’Article 19

Le travail des médias sénégalais a été décisif dans le processus électoral, contribuant à la transparence, à la mobilisation citoyenne, à l’équité dans la campagne entre les candidats mais aussi à la régularité du scrutin. Un travail qui s’est fait dans des conditions difficiles, dans la mesure où les violences et les menaces n’ont pas manqué. Et elles pèsent encore sur le second tour de la présidentielle.

Article 19 invite tous les acteurs politiques et institutionnels à respecter l’indépendance des médias et à assurer la sécurité des journalistes à l’occasion du second tour de l’élection présidentielle au Sénégal. Article 19 salue par ailleurs le travail audacieux des médias sénégalais qui, malgré les attaques et les pressions ont contribué à l’apaisement, à la prise de conscience citoyenne et à la transparence du processus électoral lors du premier tour.

La tension qui a caractérisé le 1er tour de cette présidentielle n’a pas épargné les professionnels des médias. Les journalistes ont subi des agressions physiques et des menaces verbales de la part des forces de sécurité et de hauts responsables du parti au pouvoir. Article 19 a tenu à réitérer la centralité de la liberté d’expression dans le processus électoral et a condamné ces agressions contre les journalistes dans sa déclaration du 6 février 2012.

Parmi les nombreux cas d’agressions contre les journalistes, on peut signaler celui du correspondant de la Radio Futurs Médias (chaine privée) à Saint- Louis (Nord), Mohamed Naby Sylla qui, le 20 février 2012, a affirmé avoir reçu des menaces de mort, pour avoir relayé une information sur l’attaque de la maison familiale du ministre de l’intérieur, Ousmane Ngom.

Le 26 février 2012, Bocar Dieng, correspondant du groupe de presse privée Walfadjiri à Fatick (Centre), a été brutalement agressé à son domicile par Sitor Ndour, un responsable local du parti du candidat au pouvoir, et des nervis appartenant à sa garde rapprochée suite à son reportage sur un supposé bourrage d’urnes et un transfert d’étudiants haïtiens pour voter dans sa localité. M. Ndour a nié les faits, mais le Syndicat des Professionnels de l’Information et de la Communication (SYNPICS) a saisi la justice pour faire la lumière sur cette agression.

Lors de la diffusion des résultats provisoires par les radios et télévisions, des responsables politiques du parti au pouvoir et leurs alliés ont fustigé la couverture médiatique de l’élection par la presse privée, l’accusant de diffuser des contrevérités à propos des résultats «défavorables» au candidat Wade. Les informations relayées par la presse à partir des bureaux de vote faisaient état d’un deuxième tour inéluctable dès le soir du 26 février. Des membres influents du parti au pouvoir avaient auparavant annoncé une victoire de leur candidat au premier tour avec plus de 50 % des voix.

Depuis quelques jours, la couverture médiatique des consignes de vote (ndiguel) émanant d’un chef religieux appartenant à la confrérie mouride, Cheikh Béthio Thioune, en faveur du candidat sortant Abdoulaye Wade, fait l’objet d’une grande polémique. Les médias proches du pouvoir, notamment la télévision nationale, font le relais de cet appel que l’opposition dirigée par la coalition Macky 2012 juge injuste et constitutif d’une rupture du principe de l’égalité devant le service public.

Dans sa décision de vendredi 02 mars 2012, le Conseil National de la Régulation de l’Audiovisuel (CNRA) a demandé à la Télévision nationale « d’arrêter sans délai la diffusion de l’émission incriminée» et «d’accorder un droit de réponse à la partie plaignante». (mises-en-demeures CNRA). La RTS a refusé d’obtempérer en rediffusant, le dimanche 4 mars dans la soirée, l’appel de Cheikh Béthio Thioune. Babacar Diagne, le directeur de la télévision nationale, arguant qu’il n’est pas interdit de diffuser des consignes de vote en dehors de la période de campagne, va ainsi à l’encontre de la décision du CNRA.

Cette consigne de vote pourrait affaiblir le jeu démocratique et influencer les choix de certains citoyens à voter non pas pour le candidat de leur choix, mais pour celui choisi par un chef religieux. Par ailleurs, il est à craindre que l’entrée active dans la campagne de ce guide religieux, dans cette phase tendue du processus électoral, et la déclaration récente de ses fidèles qui promettent de descendre sur le terrain pour rendre effective la consigne causent des troubles. (un-moyen-de-défense).

«Le second tour de cette élection présidentielle est un tournant décisif de la démocratie sénégalaise, le libre choix des citoyens ne doit pas être influencé ou compromis par des actes de violences ou par des pressions indues des pouvoirs publics ou religieux sur les électeurs ou les relais de l’information que sont les médias », a déclaré Agnès Callamard, Directrice exécutive de Article 19.

L’organe de régulation de l’audiovisuel doit non seulement garantir l’équilibre dans le traitement de l’information et l’accès équitable des candidats aux médias publics y compris en dehors du journal de la campagne, mais aussi garantir la sécurité des journalistes, gage d’un exercice correct de leur métier.

L’article 7 de la Loi n° 2006-04 du 4 janvier 2006 portant création du Conseil National de la Régulation de l’Audiovisuel (CNRA) mandate ce dernier à veiller à «l’indépendance et à la liberté de l’information et de la communication dans le secteur de l’audiovisuel». Cependant, pour que cette indépendance et cette liberté soient effectives, il faudrait que les journalistes et les organes de presse puissent opérer en toute sécurité et que l’organe de régulation prévoit des mesures, de concert avec les professionnels de la communication, pour renforcer cette protection en période électorale.

Selon l’article 11 de la Déclaration de principes sur la liberté d’expression en Afrique de 2002, «les Etats sont dans l’obligation de prendre des mesures efficaces afin de prévenir les attaques contre les journalistes+ et lorsqu’elles sont perpétrées, mener une enquête (…) et veiller à ce que les victimes aient accès à des recours efficaces». Cette disposition est renforcée par la Résolution (ACHPR/Rés.178(XLIX) 2011 de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples sur la sécurité des journalistes et des professionnels des médias en Afrique.

Afin de protéger l’indépendance et l’intégrité des journalistes, ARTICLE 19 exhorte :

- les forces de l’ordre à renforcer leurs dispositifs sur le terrain pour assurer la protection des journalistes qui couvrent les activités des candidats sur l’étendue du territoire national ;

- les journalistes à respecter davantage les consignes de sécurité qui leur ont été communiquées lors des différents ateliers de sensibilisation et de renforcement de capacités dans le domaine de la sécurité ;

- le gouvernement à combattre l’impunité en ouvrant des enquêtes sur les cas d’agressions des journalistes durant la période électorale et à punir les auteurs de tels actes ;

- le Conseil National de Régulation de l’Audiovisuel à veiller à l’existence de conditions adéquates de travail pour les journalistes conformément à sa mission de protection de la liberté d’expression ;

- les Partis politiques à s’abstenir de toutes violences à l’égard des journalistes et de sensibiliser leurs militants sur le terrain.

CE TEXTE VOUS A ETE PROPOSE PAR PAMBAZUKA NEWS



* Fatou Jagne Senghor, est représentante régionale d’Article 19 Afrique de l’Ouest. Article 19 est une organisation internationale de défense de la liberté d’expression, elle tire son nom de l’article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.


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