Politiques d’extraction et changement climatique en Afrique

url=http://www.flickr.com/photos/fairphone/6072466165/">cc FairPhonecc FairPhoneLe changement climatique va s’intensifier et entraîner un nombre croissant de conflits autour de l’extraction et l’exportation des ressources naturelles de l’Afrique. Un processus qui alimente ceux qui sont historiquement les pires pollueurs du Nord industrialisés, souligne Godwin Ulyi Ojo.

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Au cours de la quinzaine d’années écoulées, nous avons assisté à une croissance régulière des conflits dans toute l’Afrique et ceci entraîne un nouvel examen quant à la manière dont l’extraction des ressources est entreprise sur le continent.

Certains analystes suggèrent que ces conflits, orchestrés de l’extérieur, vont aller en augmentant dans les années à venir en raison de la croissance de l’extraction de ressources naturelles qui doit compenser le déclin des découvertes de nappes pétrolifères et de l’énergie fossile. La poursuite de la production d’énergie et la surconsommation mènent à une augmentation de la température globale à partir des émissions des gaz à effet de serre dans l’atmosphère.

L’Afrique émet une quantité négligeable de carbone comparé aux pays du Nord industrialisé qui sont principalement responsables de ce phénomène. Pourtant les conséquences désastreuses du changement climatique seront surtout perçues en Afrique, en raison de la pauvre résilience et les faibles capacités d’adaptation sur le continent. La consommation inégale de ressources est le résultat d’une économie basée sur les énergies fossiles, principalement dans les pays industrialisés. Le concept de pays périphérique et de pays au cœur du problème aide à la compréhension de l’échange historique inégal dans la production et la consommation d’énergie en Afrique, laquelle énergie est surtout exportée.

NOTIONS D’ECHANGES INEGAUX

Le rôle alloué aux pays de la périphérie, dépositaires des matières premières brutes dans une économie basée sur l’exportation qui doit produire l’argent requis pour la consommation des produits finis, les confine de façon structurelle dans l’extraction de ressources naturelles. Ces pays sont principalement situés en Asie, en Amérique du Sud et dans une plus large mesure en Afrique. Ils continuent d’échanger de précieuses ressources naturelles comme le pétrole et le gaz, l’or, les diamants, le cuivre et d’autres métaux et de produits forestiers. D’où la " malédiction des ressources" associée aux Etats rentiers.

Des pays comme le Nigeria et l’Angola en font partie, dépendant d’une seule ressource naturelle pour des revenus qui proviennent des taxes et des royalties et négligeant d’autres secteurs productifs de l’économie. De nombreux chercheurs, comme Aunty Ross (1999) dans sa thèses "Resource curse", ont documenté les atrocités, les actes de corruption et la dévastation écologique qui prévaut dans le delta du Niger ou dans les mines du Libéria, de la Sierra Leone, du Ghana et du Congo.

Les pays du centre ou les Etats impériaux, avec l’avantage du crédit, du capital et de la technologie, dépendent des matières premières comme celles sus mentionnées afin d’alimenter les firmes. Ils exercent leur influence et usent de leur pouvoir politique et économique pour contrôler de façon structurelle les produits commerciaux et les prix, sous la direction des forces invisibles du marché. Ils extraient les ressources africaines afin de satisfaire leurs besoins en nourriture et en énergie, tout en présentant l’activité comme entrant dans le cadre d’accords commerciaux mutuellement bénéfiques, favorisant la croissance économique et le développement. Ce genre de relation est à l’origine d’un nombre croissant de conflits pour les ressources, de la pauvreté, des douleurs et des misères qui gangrènent le continent africain. Elles sont partiellement responsables de la forme que prennent les négociations sur le changement climatique, avec peu ou pas de considération pour les pays en voie de développement qui exigent la justice environnementale et l’équité dans l’accès aux ressources et leur utilisation ; des quêtes qui ont été ignorées de façon répétée.

En effet, le paradigme néolibéral, qui met l’accent sur la croissance comme forme de développement est fortement basé sur les prémisses de la théorie de modernisation économique. Cette théorie promeut, entres autres idées, celle du "goutte à goutte" qui résulterait du fait que les riches devenant plus riches, la richesse finira par s’écouler vers le bas, vers les pauvres qui bénéficieront dès lors du processus en terme d’industrialisation et d’emplois, de meilleurs salaires et de meilleurs revenus. Mais la réalité c’est que le fossé entre riches et pauvres se creuse, les riches devenant plus riches et les pauvres plus pauvres. L’organisation des Nations Unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) a rendu un rapport qui, en 2010, disait que le nombre de personnes qui vont se coucher tous les soirs en ayant faim a atteint le milliard. Parmi - ceux-là une proportion significative se trouve en Afrique subsaharienne. Le désir global de diviser par deux la pauvreté grâce aux Objectifs de Développement du Millénaire (MDG) d’ici à 2015 est sévèrement menacé par l’échange inégal des ressources naturelles dans la production et la consommation.

L’EXTRACTION HISTORIQUE DES RESSOURCES NATURELLES SAIGNE L’AFRIQUE A BLANC

Les problèmes de l’extraction de ressources en Afrique sont nombreux. Elles saignent l’Afrique à blanc. La promotion continue de la monétarisation des politiques comme moyen de résoudre la dégradation de l’environnement et les effets du changement climatique aura de sérieuses conséquences pour l’Afrique. Faire de la forêt, de la biodiversité, de l’eau et d’autres ressources naturelles dont les communautés locales dépendent une marchandise va entraîner des conflits autour des ressources entre les communautés et les multinationales et leurs gouvernements. Ceci souvent sous le prétexte selon leque tout le monde gagne.

La situation conduit souvent à une ruée significative sur les terres, engagée par les multinationales soutenues par leurs gouvernements. Selon un rapport de la fédération Friends of the Earth, 11 millions d’hectares de forêt ont ainsi été acquise en Afrique jusqu’en 2010. Les pays impliqués sont surtout européens, avec la Grande Bretagne, la Norvège, la Suède, les Pays- Bas, l’Allemagne et les Etats Unis. L’objectif est d’acquérir des forêts et des terres arables africains à vil prix et les utiliser dans les hedge funds, la bourse ou le marché du carbone, tout en présentant l’entreprise comme des plantations à grande échelle servant à nourrir les Africains.

En fait, les cultures de denrées comestibles et de biocarburants sont principalement canalisées vers l’exportation plutôt que de servir de nourriture locale qui compenserait le déficit tant alimentaire qu’énergétique. Le commerce croissant en biocarburants, résultant d’une directive européenne qui veut qu’en Europe 10% de l’énergie provienne de biocarburants d’ici à 2015, contribue à la pénurie alimentaire. Car les produits agricoles nécessaires à la production de biocarburants est en compétition directe avec des variétés comme l’huile de palme, le maïs, la canne à sucre et le soja.

La conséquence est que la terre est systématiquement enlevée aux paysans africains, ce qui conduit à un déplacement des paysans pauvres qui constituent 70% du secteur productif africain.

Cet article ne vise pas seulement à se lamenter sur le sort de l’Afrique. Mais les implications générales des extractions de ressources sont significatives parce qu’elles peuvent avoir aussi pour résultat le réchauffement de l’Afrique d’un 1,5°C de plus que le réchauffement global moyen. Plutôt que de se laisser accabler, il faut œuvrer à un changement qui mène à une véritable économie verte. Selon l’Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC), un degré de réchauffement global signifie pour l’Afrique la mort de 70 à 400 millions de personnes au cours des 20 prochaines années, en raison du changement climatique. (IPCC 2007) Les récoltes qui dépendent de l’agriculture pluviale pourraient diminuer de 50%.

Compte tenu du fait que les problèmes environnementaux ne connaissent pas les frontières nationales, le problème du changement climatique devrait être la préoccupation de tous. Les pays du Nord qui ont une responsabilité historique dans le changement climatique doivent l’assumer et prendre les mesures requises avant que le phénomène ne s’emballe.

Compte tenu de sa faible résilience, l’Afrique sera la première victime. Mais cette leçon n’a pas été bien intégrée dans les esprits et dans les plans d’action des dirigeants africains qui devraient influer sur la courbe du changement climatique. Toutefois, si l’Afrique brûle, les autres nations qui dépendent des minerais et autres ressources du continent vont probablement subir le même sort.

VERS DURBAN : TIRER LE MEILLEUR PARTI DU COP 17

Les prochaines grandes négociations concernant le changement climatique doivent avoir lieu vers la fin de l’année à Durban en Afrique du Sud. En vue de la United Nations Climate Change Conference of Parties (COP 17), il appartient aux gouvernements africains, à leurs négociateurs et aux citoyens de prendre conscience des politiques en matière de ressources extractives et du changement climatique. Ils devraient devenir plus conscients de l’échange inégal dans les méthodes de production et de consommation des ressources extraites, à travers des négociations bancales pendant que les pays industrialisés continuent d’imposer leurs positions impitoyables aux pays en voie de développement.

Il est temps que l’Afrique se réveille, restructure ses relations économiques et se relie de façon stratégique au reste du monde. Les nations africaines devraient aborder la question du déséquilibre et examiner s’il est bien rationnel de promouvoir une économie basée sur l’exportation et qui a maintenu le continent sous le joug pendant des siècles.

Alors que résonnent les tambours Indaba à Durban, Patrick Bond et ses collègues pessimistes ont désigné l’évènement sous le nom de "conférence des pollueurs", craignant qu’elle n’amène peu de résultats positifs. C’est aussi une réunion des champions des émissions de carbone. Mais là se trouve le défi : faire de cette conférence une occasion de souligner, une fois de plus, les problèmes de développement et faire de l’évènement l’endroit où l’on pousse à des réformes qui émanciperont le continent pour le sortir des griffes du sous-développement et de la soumission. C’est vraiment à l’Afrique d’exiger et de prendre l’initiative pour remédier à ce cruel déséquilibre.

La question du changement climatique semble offrir une occasion à l’Afrique, non pas en termes économique ou de croissance, mais bien pour développer un nouveau modèle économique basé sur les économies vertes émergentes qui mettent l’accent sur la transition entre les économies aux carburants fossiles et celles basées sur les énergies renouvelables. Ce type d’économie mettra l’accent sur la décroissance plutôt que sur la croissance impérative qui ne bénéficie qu’à quelques uns et signifie la ruine pour la majorité. Là, des mouvements sociaux progressistes et des groupes de la société civile, dans leur quête d’une alternative, affirment qu’il faut " laisser le pétrole sous terre". Les changements proposés impliquent la nécessité d’adhérer à la réduction convenue d’émissions de carbone en dessous des niveaux de 1990, comme spécifié dans le Protocole de Kyoto et ratifié par les Nations Unies en 1997.

Ce changement implique aussi que les progressistes africaines exigent et insistent pour le paiement de l’extraction massive de ressources et le payement de la dette écologique contractée par les nations industrialisées auprès des pays en voie de développement. La compensation et la réparation de cette extraction pendant des siècles sont une question de droit pour l’Afrique.

A Durban, l’Afrique devrait se lever et exiger les arriérés pour la dette climatique contractée par le Nord pour avoir pollué l’espace commun global. L’Afrique doit aussi exiger des mécanismes clairs et contraignants qui garantissent que le Nord s’engage à nettoyer derrière lui et à réduire les émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère.

L’Afrique a besoin de redessiner son économie et de se concentrer plus sur des productions à valeur ajoutée pour la consommation locale plutôt que sur une économie basée sur l’exportation ancrée dans un échange inégal de biens et ressources naturelles. Ceci est un appel pour la promotion de la souveraineté alimentaire et énergétique qui, non seulement fera la promotion des ressources locales à usage local, mais aussi pour mettre un terme aux commerces lointains qui, selon les experts, sont générateurs d’émission de gaz à effet de serre et de pollution.

Le débat sur le changement climatique est une occasion de développement parce qu’il fournit un nouvel espace pour repenser l’état consternant des infrastructures sur le continent. Il est temps de prendre la mesure du degré de vulnérabilité de l’Afrique au changement climatique et de renforcer la résilience et les mesures d’atténuation et d’adaptation. La transformation de l’Afrique et l’attribution de la valeur réelle des ressources africaines dépendent ainsi des résultats des négociations du changement climatique. La survie du continent est entre les mains des Africains.

* Godwin Uyi Ojo est une écologiste politique et co-fondateur de Environmental Rights action/Friends of the Earth, Nigeria – Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger

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