En Tunisie comme en Lybie, les Occidentaux s’étonnent de voir un islamisme triomphant s’imposer au pouvoir. Rien d’étonnant, pour Yves Ekoué Amaïzo. Les populations, après avoir fait basculer les dictatures qui les brimaient, n'ont fait que tourner le dos, en toute logique, aux systèmes impérialistes qui les soutenaient. Devant les «démocraties usurpées et falsifiées» d’Afrique, validées par des montages légaux mais illégitimes comme au Togo et au Cameroun, il note que les «cultures impériales» qui les soutiennent courent le même risque.
Alors que la Tunisie surprend les pays Occidentaux et la France en particulier par la crédibilité du déroulement des élections (…), c’est la vérité des urnes qui triomphe. A force de refuser de soutenir les démocrates indépendants, les pays occidentaux se réveillent avec des populations qui préfèrent faire confiance à ceux qui sont « indépendants » des cultures occidentales devenues des cultures « impériales » sans d’ailleurs trouver des solutions à la pauvreté tout en renforçant les dépendances des pays africains. Les partis islamiques en sont une émanation étonnante et dynamique.
Le choix occidental des agents appuyés par les pays occidentaux ne marche plus en Tunisie. L’Egypte devrait confirmer cette tendance avec une victoire programmée des « Frères musulmans ». Ce qui ne manquera pas d’avoir des effets sur la Libye, qui a d’ores et déjà choisi la « charia » et non la « laïcité » comme cadre de gouvernance. Il faut constater dans le cas du Cameroun ou du Togo qu’il n’y a pas eu d’ingérence militaro-onusienne lors des élections présidentielles. Il suffit que les dirigeants déclarés par la Cour constitutionnelle et qui ne reflètent pas la vérité des urnes, soient des « amis françafricains ».
La Diaspora africaine a un rôle à jouer. Encore faut-il en prendre conscience. Toutes ces ingérences occidentales sont un gâchis. Car pour obtenir le résultat qui émerge de la vérité des urnes en Tunisie, il a suffit de laisser les démocraties locales fonctionner ou empêcher les dictatures locales d’en stopper les dynamiques internes. Il faut donc influencer les dirigeants occidentaux pour leur éviter de croire qu’ils défendent leurs intérêts en défendant des dictatures en Afrique.
TOGO, DJIBOUTI ET MAROC A L’ONU POUR DEFENDRE QUI ?
Le mécanisme d’ingérence militaro-onusien a vu ses limites en Côte d’Ivoire et en Libye. Paradoxalement, personne n’y fait appel dès lors que les dirigeants africains s’affichent clairement comme des amis de l’ex-puissance coloniale ou, plus récemment, de la puissance militaire mondiale. La réalité pour les populations est que les arbitrages économiques se font d’abord en faveur des intérêts étrangers. Pour ce faire, il y a un nouveau phénomène qui tend à s’institutionnaliser, qu’il convient de mieux comprendre afin de saisir les difficultés de la lutte pour la liberté, la vérité des urnes et des comptes en Afrique, au Togo en particulier.
C’est ce phénomène qui permet de justifier le caractère propre des « démocraties usurpées ou falsifiées » et d’amener, dans le cadre d’une rotation, les pays comme l’Azerbaïdjan, le Guatemala, le Maroc, le Pakistan et le Togo à se faire élire comme membre non-permanent du Conseil de Sécurité des Nations-Unies pour le biennum 2012-2013. Le problème est que chaque fois que les Nations-Unies choisissent des pays avec si peu d’influence ou carrément s’alignant assez régulièrement sur la France au plan international, il y a une guerre qui se profile à l’horizon. Il ne faudra pas s’étonner de voir le Togo prendre position pour qu’une guerre intervienne en Iran, dès lors que cet objectif longuement décidé par ceux qui optent pour la dépendance et le désordre mondial sous le couvert de l’ingérence, finissent par imposer cette position à des pays qui, pour lever la main et faire un choix au Conseil de Sécurité, se tournent systématiquement vers ceux qui leur ont octroyé le siège pour 2 ans comme membre non-permanent au Conseil de sécurité de l’ONU.
L’INSTITUTIONNALISATION DE LA DICTATURE DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE
La Cour de justice de la CEDEAO, en se plaçant au-dessus des lois nationales, rappelle l’application du principe de la subsidiarité que le Togo a accepté dans le cadre de l’intégration régionale. Le problème est que les liens ésotériques et autres formes d’achat des consciences devaient permettre de neutraliser l’application de cette subsidiarité. L’article de 106 de la Constitution togolaise dit en substance ceci : « Les décisions de la Cour Constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités civils, militaires et juridictionnelles ».
Autrement dit, le gouvernement togolais s’est totalement immunisé car cet article 106 permet d’instaurer une nouvelle forme de la dictature de la Cour constitutionnelle togolaise. Pour être clair, les décisions de la Cour Constitutionnelle s’imposent aussi en matière électorale. Aussi, dès lors qu’il y a inversion ou la falsification de la vérité des urnes, il suffit pour le gouvernement de transmettre les informations à la Cour constitutionnelle et que celle-ci l’avalise, pour que le Coup d’Etat juridique ait lieu.
Il n’y a donc plus une dictature civilo-militaire traditionnelle mais une forme moderne et tolérée par la Communauté internationale qu’il faut bien qualifier de dictature de la Cour constitutionnelle. Il suffit maintenant, pour le gouvernement, de crier à l’atteinte à sa souveraineté et à son indépendance politique pour que le tour soit joué. Autrement dit, tous les dirigeants togolais qui s’afficheraient pour défendre la souveraineté du Togo sur la base d’une décision de la Cour constitutionnelle qui est mise en cause par le droit régional ou international, en substance la Cour de Justice de la CEDEAO ou une instance supranationale de l’Union africaine, est un traître au Togo et un ennemi du Peuple togolais.
PAS D’INGERENCE MILITARO-ONUSIENNE DANS LES PAYS « AMIS »
Alors que dit la Communauté internationale ? Il suffit de voir la position ambivalente de la France sur les élections présidentielles camerounaises du 9 octobre 2011 pour se faire une idée du principe de l’indignation verbale sans les actions coercitives. Avec la réélection de Paul Biya pour un mandat de 7 ans, avec 77,99 % des suffrages, les critiques américaines restent verbales. L’Administration Obama avait déjà pris des mesures contre des politiciens camerounais jugés corrompus, en leur retirant le visa américain en 2009 et a refusé de recevoir Paul Biya en juin 2011. Alors, tous les démocrates africains doivent être vigilants pour savoir quand est-ce que Barack Obama va faire le contraire de ce qu’il a déclaré dans son discours historique d’Accra du 12 juillet 2009 1. (1)
La France a choisi le positionnement au clignotant, c’est-à-dire que le ministère des Affaires étrangères, en moins de quelques jours, a estimé que « l’élection présidentielle au Cameroun s’était déroulée « dans des conditions acceptables », puis a rappelé qu’il y a eu de « nombreuses défaillances et irrégularités » 2. (2) Mais concrètement, pas de demande d’ingérence pour « sauver les populations civiles ». C’est donc la jurisprudence électorale togolaise qui a été choisie au point que même John Fru Ndi, l’opposant historique et président du Social Democratic Front (SDF), se contente de dire que les élections camerounaises ont été « hyper-frauduleuses » et s’interroge sur les relations qu’entretient la France avec le Cameroun.
A 78 ans et au pouvoir depuis 1982, personne ne veut véritablement gêner le 6e mandat de Biya, puisque c’est la cour suprême (l’équivalent de la Cour constitutionnelle du Togo) qui a proclamé les résultats donnant 77,98 % au président sortant et 10,71 % à John Fru Ndi. La France ne peut donc pas ne pas soutenir un président qu’elle a toujours soutenu malgré des élections fortement contestées. Il s’agit donc, pour la Communauté internationale, de s’assurer que les élections se déroulent dans le calme et que les populations africaines optent pour la résignation…
Il est vrai que ni le Cameroun, ni le Togo ne connaissent de « printemps arabe » et ce ne sont pas les alternances des saisons de pluies, qui ne viennent plus en leur temps, qui pourront faire émerger un mouvement collectif puisque les dirigeants de l’opposition, au Togo comme au Cameroun, sont incapables d’organiser, démocratiquement, des primaires en leur sein afin de faire émerger une candidature commune et un programme commun au moins deux ans avant la prochaine élection présidentielle.
Il suffit maintenant de s’assurer que les élections se déroulent mieux dans les scrutins législatifs et municipaux pour faire oublier la dictature de la Cour constitutionnelle. Cette stratégie française a fonctionné à merveille dans les pays francophones, mais la corruption, les achats de conscience, ainsi que le secret et le silence coupable des groupes et cercles ésotériques y sont pour beaucoup.
RECOMMANDATIONS : INFLUENCE DU VOTE AFRICAIN EN FRANCE
Il est donc difficile de concevoir des alternatives et changement stratégique de gouvernance dans une Afrique francophone dominée par la France, sans un changement de politique française envers la Françafrique. La Diaspora africaine doit en prendre conscience. Les Africains qui peuvent voter en France doivent donc identifier dans les programmes des candidats non seulement ceux qui se proposent de mettre fin à ces pratiques françafricaines qui tuent les populations pauvres en Afrique francophone, tout en transférant la propriété des capacités productives africaines à des sociétés souvent en perte de compétitivité au plan mondial.
Le CVU-Togo-Diaspora suggère à la Diaspora africaine de mener la lutte pour la liberté chez eux. La plateforme panafricaine ne peut exister que si le vote massif des Africains de France ne s’éparpille pas entre les candidats dès le premier tour des élections présidentielles de 2012 en France.
Le CVU-Togo-Diaspora demande aux Africains-Français de voter massivement au premier tour pour le candidat qui non seulement remet en cause le système de la Françafrique, mais a les moyens de le faire afin d’éviter le syndrome « François Mitterrand » qui a excellé dans le coup d’éclat de la continuité du service françafricain. Face à l’inversion du rapport de forces où les intérêts privés finissaient par « commander » l’action de ceux qui sont en charge du service public, l’actuel locataire de l’Elysée n’a manifestement pas choisi de corriger le tir, mais s’est autoproclamé, par commodité, un simple agent de facilitation 3 (3) d’un système qui tue la démocratie en Afrique.
La Cour constitutionnelle a servi de garde-fou pour préserver ce qui, sous d’autres cieux, serait qualifié de scandale démocratique avec des démissions à la clé. Mais, on est en Afrique francophone, là où tous les coups sont permis dès lors que c’est le candidat de la France qui les fait, avec la bénédiction de la Cour constitutionnelle. Une dictature par le droit.
NOTES
1) Organisation de la Presse Africaine (2009). « Discours de Barack Obama à Accra, Ghana », The White House, voir :
2) Ursula Soares (2011). « Cameroun: la France lâche-t-elle Paul Biya ? », RFI Afrique, 24 octobre 2011, voir :
3) Fabrice Arfi et Karl Larske (2011). « Affaires africaines. L’entretien qui accuse Sarkozy », in Mediapart.fr, 24 octobre 2011. Jacques Dupuydauby, Président du Groupe portuaire Progosa à la retraite, dénonce la « sarkafrique : « Quand Bolloré s’implante quelque part (en Afrique), il prend possession de tout, les infrastructures stratégiques en matière de transport, notamment tout, et il utilise le Président français comme son VRP de luxe. M. Sarkozy, de son côté, met dans la balance les relations franco-africaines et fait pressions. Comment voulez-vous qu’un Chef d’Etat résiste ?…. Ce que je dénonce, c’est que le Président de la République française, directement puis indirectement, fasse pression sur les Chefs d’Etat africains pour que des concessions soient données à Bolloré, en leur disant : « si vous ne faites pas ce que l’on vous demande en donnant telle ou telle chose à Bolloré, vous ne pourrez plus compter sur l’aide de la France»». ↩
* Dr Yves Ekoué AMAÏZO est Coordinateur Provisoire du Collectif pour la Vérité des Urnes (CVU), groupe indépendant de la Diaspora togolaise
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