Georges Padmore commémoré par une plaque à Londres
Suite à la commémoration par une plaque à Londres de Georges Padmore, Cameron Duodu considère l’immense influence du ‘père de la libération africaine’ sur le mouvement anti-colonial et ses expériences à Trinidad, aux Etats-Unis, en URSS, en Grande Bretagne et dans toute l’Afrique
Le mardi 28 juin 2011, la mémoire de feu Georges Padmore - décrit par le célèbre écrivain des Caraïbes C.L.R James comme étant ‘ le père de l’émancipation africaine – était honorée d’une ‘plaque héritage’, plus connue sous le nom de ‘plaque bleue’, dévoilée au n° 22 de Cranleigh Street à Camden, dans le nord de Londres où Padmore a vécu de 1941 à 1957 avec sa partenaire et collaboratrice, Dorothy Pizer.
L’adresse était familière à pratiquement tous les nationalistes africains engagés dans la lutte du 20ème siècle contre le colonialisme britannique. Deux de ces Africains sont devenus des chefs d’Etat - Dr Kwame Nkrumah au Ghana et Jomo Kenyatta au Kenya. Tous deux étaient des habitués du 22 Cranleigh Street, à l’instar de Joe Appiah, un politicien et juriste ghanéen qui est devenu le gendre de Sir Stafford Cripps, un ancien chancelier de l’Echiquier.
De nombreuses déclarations et de nombreux pamphlets, ainsi que la correspondance avec des dirigeants des colonies britanniques qui combattaient les politiques du Colonial Office à Londres, ont été écrits autour de la table de la salle à manger du 22 Cranleigh Street. C’était de là que Georges Padmore a organisé la 5ème conférence panafricaine à Manchester en 1945. Padmore et Nkrumah étaient les deux secrétaires de la conférence, un des plus importants rassemblements de politiciens anti-coloniaux noirs jamais vu.
A cette époque, les ressortissants de la Jamaïque et les Afro-américains ont fait cause commune avec leurs frères africains et la conférence de Manchester a élu le Dr W.E.B Dubois, le plus célèbre intellectuel afro-américain de cette époque, au rang de président d’honneur.
Le rôle joué par le foyer de Padmore dans la lutte anti-coloniale a été esquissé en terme évocateur par le syndicaliste ghanéen, J.P. Addei, alors journaliste à l’Ashanti Times qui avait été invité à Londres par le Colonial Office. Au cours de la visite, un compagnon nigérian d’Addei a fait l’expérience d’un acte de discrimination raciale à Londres qu’il a rapporté à Padmore. Ce dernier a aussitôt envoyé une lettre de protestation au Colonial Office au nom du Nigérian. Le résultat a été une réception dans les règles de l’art en l’honneur des deux visiteurs lors de laquelle un ministre du Colonial Office a exprimé ses regrets sur ce ‘malheureux incident’
Feu John K. Tettegah, ancien secrétaire général de l’Union des syndicats du Ghana et membre du comité central du Dr Kwame Nkrumah’s Convention People’s Party (CCP) m’a dit que c’est Georges Padmore qui a élaboré, au 22 Cranleigh Street, la ‘Motion destiny’ que Dr Kwame Nkrumah a présenté à l’Assemblée nationale du Ghana le 10 juillet 1953, demandant l’indépendance du Ghana à l’intérieur du Commonwealth britannique, dès que les arrangements constitutionnels requis auront été faits. L’indépendance a été octroyée au Ghana 4 ans plus tard, le 6 mars 1957, avec Dr Kwame Nkrumah pour premier Premier Ministre.
Nkrumah a invité Padmore à venir à Accra depuis Londres afin de devenir son conseiller ‘aux Affaires africaines’. A Accra, Padmore et Dorothy Pizer habitaient dans un magnifique bungalow colonial qui est maintenant devenu la bibliothèque Georges Padmore. C’est là que j’ai rencontré Padmore pour la première fois. J’avais été invité à me rendre en Union soviétique à la conférence qui se tenait à Tachkent en septembre 1958, en ma qualité de membre de la délégation afro-asiatique des écrivains. Et parce qu’à cette époque le Ghana poursuivait la vieille pratique coloniale qui voulait que quiconque voyageait au-delà du rideau de fer soit cautionné par quelqu’un, il a été demandé à Padmore, un expert du communisme, de me cautionner.
Il était très civil et ne m’a jamais demandé directement ce que je pensais du marxisme ou de la politique du Ghana. Nous avons juste pris le thé et parlé des affaires africaines et du monde. Il m’a apparemment approuvé et m’a demandé si j’avais besoin de quelque chose pour mon voyage. Je lui ai dit que j’avais besoin d’une valise et il a demandé à Dorothy de m’apporter ce que j’ai entendu être désigné sous le nom de ‘valise de la révolution’.
J’ai maintenant entendu que Padmore avait voyagé dans toute l’Afrique coloniale, soufflant sur les braises révolutionnaires au nom du Komintern, tout en se débrouillant pour avoir toujours une longueur d’avance sur les ‘007’ britanniques de l’époque et leurs collègues français et portugais. Donc, l’idée qu’il allait me prêter sa ‘valise de la révolution’ (probablement équipée d’un double fond) a grandement stimulé mon imagination. Ce n’est que des années plus tard que j’ai découvert que ce qu’il avait réellement dit à Dorothy c’était de m’apporter sa ‘valise révélation’, révélation étant le nom d’une marque de valise fort courante.
Son léger accent américaine caractéristique et qui marquait ses propos m’a induit en erreur et m’a fait comprendre révolution à la place de révélation. Donc ma fantaisie que je transportais de par le monde tout son bataclan, était parfaitement injustifiée, et même si je ne l’avais pas perdue par la suite, elle ne rapporterait pas des millions dans une vente aux enchères chez Christie.
Georges Padmore a été baptisé Malcolm Ivan Meredith Nurse à sa naissance à Arouca à Trinidad, le 28 juin 1903. Il a été scolarisé à St Mary et est devenu journaliste au Trinidad Guardian. Dès le début, Padmore soutenait des vues affirmées et après un désaccord avec son rédacteur, il a quitté le journal et s’est rendu aux Etats-Unis pour étudier la médecine qu’il a bientôt abandonnée au profit du droit.
Toutefois, il ne s’est pas consacré à ses études et a bientôt été impliqué dans l’organisation des travailleurs noirs. Il s’est acquis une solide réputation de puissant orateur politique et a rejoint le parti communiste américain. En 1929, Padmore se rend en Union soviétique en sa qualité de membre du parti. En Union soviétique en 1930, il est nommé à la tête de l’International Trade Union Committee of Negro Workers (ITUC-NW), une organisation qui représente les préoccupations des syndicalistes noirs auprès de l’organisation communiste internationale du travail (Profintern)
Dans cet emploi, Padmore devait assurer les finances et la structure organisationnelle afin de devenir un militant anti-colonial à plein temps. Ceci lui a permis de développer des contacts qui s’avéreront utiles lors de ses initiatives panafricaines subséquentes. Comme nous l’avons dit précédemment, il s’est aussi rendu clandestinement dans des pays de l’Afrique coloniale.
Toutefois, autour de 1934, la ligne soviétique concernant l’Afrique coloniale s’est assouplie en raison de la politique anti-Hitler de l’URSS qui la mettait dans le même bateau que les gouvernements français et britannique. Il était attendu de Padmore qu’il suive la ligne du parti et mette la sourdine à ses attaques contre le colonialisme dans les publications desquelles il était responsable afin de ne pas offenser les nouveaux alliés de l’Union soviétique. Ceci a grandement irrité Padmore qui a démissionné et a quitté l’Union soviétique. Il s’est installé au Royaume Uni, au numéro 22 de la Cranleigh Street. C’était là qu’il a établi sa base pour ses assauts contre le colonialisme et l’impérialisme. L’organisation de la 5ème conférence panafricaine a été sa plus grande réussite après qu’il se soit établi en Grande Bretagne
En 1957, Padmore accepta l’invitation du Dr Kwame Nkrumah de devenir son conseiller sur les Affaires africaines à Accra. Aussitôt établi, il s’occupe du suivi des propositions énoncées à la conférence panafricaine de Manchester en 1945.
Pour commencer, Nkrumah et Padmore organisent une conférence pour les chefs des Etats africains indépendants en avril 1958. La conférence a déclaré que ‘l’existence du colonialisme, quelque soit sa forme, est une menace pour la sécurité et l’indépendance des Etats africains et la paix dans le monde’’. Ceci est une déclaration significative en raison du désir de certains Etats africains de ne pas se mettre mal avec les puissances occidentales, ce qui n’était pas sans ambiguïté par rapport à la libération du reste du continent.
La conférence a poursuivi en ’ condamnant catégoriquement tous les systèmes coloniaux encore en vigueur sur notre continent… Cette conférence invite toutes les puissances occupantes à respecter la Charte des Nations Unies à cet égard et à prendre rapidement les mesures pour appliquer les dispositions de la Charte et les aspirations politiques de la population, notamment l’autodétermination et l’indépendance.’ De façon significative, la conférence a aussi recommandé que ‘tous les gouvernements participants donnent toute l’assistance possible aux populations subjuguées dans leur lutte pour l’indépendance et l’autodétermination’ et ‘ offrent les moyens de formation et d’éducation aux populations des territoires toujours dépendants.’
Suite à la conférence des Etats africains indépendants, Padmore et Nkrumah ont organisé la conférence de ‘All Africa People’s conference’ à laquelle ont participé les militants de la liberté de toute l’Afrique encore colonisée. Dans les deux ans qui ont suivi, plus d’une douzaine de pays africains ont acquis leur indépendance, y compris les plus grands pays comme le Nigeria et le Congo. Hélas, Padmore n’a pas vécu pour voir ce jour du triomphe africain. Il est décédé à Londres le 23 septembre 1959 suite à une longue maladie hépatique.
* Cameron Duodu est écrivain et commentateur – Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger
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