Swaziland : Le soulèvement dans la foulée de ceux d’Afrique du Nord
Les protestations du mois d’avril au Swaziland ont galvanisé le mouvement démocratique et des gens ordinaires sont descendus dans la rue en masse, souligne Peter Kenworthy. Mais se débarrasser d’un roi est un processus plutôt qu’un évènement
Une nouvelle génération bien formée de Swazis a été inspirée par les soulèvements en Afrique du Nord. Elle a été poussée par la situation désespérée du chômage et de la pauvreté à essayer de remplacer une monarchie absolue, corrompue et non démocratique, par un système démocratique et équitable.
Les compétences et tactiques des jeunes, combinées à une mobilisation massive en faveur de la démocratie et de la justice socio-économique ont été les éléments de la campagne qui a mené au soulèvement du 12 au 15 avril et qui semble être une percée significative. Il n’a peut-être pas amené une démocratisation immédiate, mais il sonne sans doute ‘’le début de la fin’’ comme l’annonçait une pancarte brandie par un des manifestants du 12 avril.
Il y a plusieurs facteurs communs entre le soulèvement des Swazis et ceux survenus Afrique du Nord qui l’ont précédé et l’ont influencé. D’abord personne ne l’attendait. Il a eu lieu pour une quantité de raisons qui tiennent aux turbulences financières, au chômage des jeunes et à une longue année de mobilisation en faveur de la démocratie. L’utilisation des réseaux sociaux comme Facebook et Twitter a permis aux manifestants de communiquer en contournant les médias nationaux sévèrement censurés. De sorte que le soulèvement ne dépendait pas de quelques dirigeants, mais d’un grand nombre et que le régime n’a pas pu y mettre un terme en arrêtant quelques personnes clés.
Une des grandes différences entre les soulèvements d’Afrique du Nord et celui du Swaziland tient dans la disponibilité des technologies de communication, disponibles en Afrique du Nord et inexistantes au Swaziland. Seul environ 5% de la population swazie dispose d’un accès à Internet. Toutefois des téléphones mobiles avec connexion à Internet se répandent.
LE SWAZILAND : UNE MONARCHIE ABSOLUE
Le Swaziland est un petit pays d’Afrique australe, enclavé entre l’Afrique du Sud et le Mozambique. C’est théoriquement un pays au revenu moyen, mais ceci tient au fait que quelques Swazis vivent dans le luxe cependant que la majorité croupit dans la pauvreté. Le Swaziland a la plus forte incidence de Vih/sida au monde et une des plus faible espérance de vie. Un pays où les deux tiers de la population vit avec moins d’un dollar par jour. Des centaines de milliers dépendent de l’aide alimentaire du Programme Alimentaire Mondial (PAM)
Les droits humains et politiques sont systématiquement ignorés au Swaziland, bien que le pays ait signé la Charte africaine des droits humains. Selon le rapport d’Amnesty International de 2010, la ‘’police swazie et d’autres services de sécurité, y compris des groupes policiers informels, persistent à faire usage d’une force excessive à l’encontre des suspects criminels, des militants politiques et des manifestants sans armes. Des cas de tortures et d’autres mauvais traitements ont aussi été rapportés.’’ Freedom House a octroyé la note 7 au Swaziland -la plus base de l’échelle- en 2010, concluant que le pays «n’est pas une démocratie ».
Depuis l’indépendance, obtenue de la Grande Bretagne en 1968, le Swaziland est aux mains d’une monarchie absolue. Le roi Sobhusa II, père de l’actuel monarque Mswati III, avait suspendu la Constitution et décrété l’Etat d’urgence en avril 1973 (qui attend toujours d’être révoqué). Le roi nomme et dissout les gouvernements selon son bon plaisir et gère le pays à la manière des seigneurs féodaux du Moyen Age en Europe, décidant de tout, de l’allocation des terres au budget, en faisant usage du système traditionnel des chefs et des anciens.
La monarchie swazie a effectivement écrasé les ambitions de tous les Swazis, à l’exception d’une petite élite parasitaire à l’intérieur de la monarchie. L’ambition de la classe moyenne a été rognée par l’interdiction des partis politiques et, pour Les classes ouvrières, en interdisant les syndicats. La monarchie a en outre renforcé sont pouvoir par les royalties provenant de l’exploitation de minerais, du commerce et de l’administration des terres.
Les critiques médiatiques du régime et de la monarchie ont été étouffées par le fait que le roi possède l’un des deux principaux journaux. L’autre est financé principalement par la publicité, domaine dans lequel le gouvernement est le principal actionnaire. Par conséquent, les médias officiels font preuve de beaucoup d’autocensure. «J’ai découvert au cours des trois années que j’ai passé au Swaziland que si je voulais savoir ce qu’il se passait dans le pays, il était inutile de se référer aux médias swazis», a écrit récemment un ancien professeur associé de l’université de Swaziland, Richard Rooney, qui a publié le Swazi Media Commentary.
Selon le Media Institute d’Afrique australe, la regrettable tendance des médias swazis à l’autocensure était particulièrement en évidence au cours des journées précédant le 12 avril 2011. ‘Le seul journal indépendant du pays, le Swaziland Times, a réussi à permettre au gouvernement de répandre sa propagande sans pratiquement de limites… Dans toute la couverture des manifestations, les contestataires n’ont pas eu la moindre possibilité de répondre aux nombreuses accusations provenant du gouvernement et des traditionalistes.’
Les critiques publiques sont aussi étouffées du fait que quiconque exprime un point de vue vaguement non-conformiste à propos de l’actuel régime est considéré comme un terroriste et va, soit moisir en prison ou se faire battre comme plâtre par la police. Toute information véritable ou analyse concernant le régime et une possible démocratie au Swaziland doit donc nécessairement provenir d’ailleurs, comme de magazines indépendants à l’instar de The Nation, basés à l’étranger ou en ligne comme le Swazi Media Commentary, des forums de débats comme Swaziland Solidarity Network, des nouveaux outils des médias sociaux comme Facebook and Twitter et du partage et la photocopie des journaux étrangers concernant le Swaziland et provenant surtout d’Afrique du Sud.
Seul 5% des Swazis ont accès à une connexion Internet, ce qui pose problème à ceux qui veulent le changement et veulent lire les analyses en ligne sur la façon de l’introduire et de le réaliser. Un magazine comme « The Nation » n’a pas un grand lectorat peut-être parce qu’il est trop cher ou parce qu’il est trop intellectuel pour le Swazi moyen. Même la photocopie d’un article de journal peut être vu comme un acte criminel, comme ce fût le cas du jeune homme qui a comparu devant les tribunaux pour avoir photocopié un article paru dans un journal sud-africain critique à l’égard du régime. Beaucoup de Swazis donc, surtout dans les régions rurales où vivent les trois quarts de la population, obtiennent leurs informations et analyses politiques par un mélange de bouche à oreille, des partis politiques, des syndicats et de l’éducation civique.
L’IMPORTANCE DU ROLE DE LA SOCIETE CIVILE
La société civile du Swaziland travaille en faveur de la démocratie de multiples façons : créer une conscience politique, passer par les mouvements syndicaux, par la coordination des forces démocratiques, ou par des campagnes ainsi que la coopération avec des organisations similaires en Afrique du Sud. Les syndicats, en particulier et le Swaziland United Democratic Front (SUDF), ont joué un rôle important dans l’organisation du soulèvement du 12 au 15 avril. Egalement impliqués, le Foundation for the Socio Economic Justice (FSEJ), le Swaziland Democratic Campaign (SDC) et le People’s United Democratic Movement (PUDEMO). Cette dernière a fait une déclaration à la presse saluant « les travailleurs et le peuple du Swaziland qui s’opposent à un régime hostile et insistent sur leurs exigences ».
La Foundation for the Socio Economic Justice (FSEJ), constituée en 2003, a construit une base massive de forces démocratiques constituée d’individus conscients et d’organisations d’éducation civique qui enseignent la démocratie et les droits, en particulier dans les zones rurales traditionnellement conservatrices et relativement loyales à la monarchie. L’organisation a donc joué un rôle capital dans le soulèvement en permettant à ceux qui ont reçu une éducation civique de faire le lien entre leur pauvreté, le manque de liberté et la politique du présent régime, ce qui les a amenés à exprimer leur colère contre ce qu’ils identifient comme l’origine de leurs problèmes. Les campagnes de conscientisation menées par le FSEJ et d’autres sont également cruciales si le Swaziland ne veut pas devenir une autre de ces démocraties africaines dirigées par une élite financière et politique.
Le People’s United Democratic Movement (PUDEMO) a été, depuis sa formation en 1983, le principal mouvement politique du pays et fera probablement partie d’un gouvernement démocratique de coalition. Le manifeste du PUDEMO, écrit en 1985, est clairement en opposition avec le présent régime et déclare qu’ « il est entièrement dévoué à la création d’un Swaziland démocratique, que la richesse du pays doit être partagée entre tous les citoyens également, que la terre sera donnée à ceux qui la cultivent, que la scolarité sera gratuite, universelle et obligatoire pour tous les enfants et que les droits humains seront appliqués et respectés. »
Peu importe que le PUDEMO est de nature démocratique et pacifique, ses dirigeants et ses membres n’en n’ont pas moins été accusés de façon répétée, pour avoir porter un T-shirt à l’effigie du PUDEMO, de haute trahison et pour des allégations de terrorisme ont été battus, torturés et même à certaines occasions tués par la police d’Etat swazie. Ceci a plus ou moins neutralisé le mouvement et l’a contraint à agir au travers d’autres mouvements démocratiques
Le Swaziland United Democratic Front (SUDF) a été fondé en 2008 par un nombre d’organisations de la société civile, de syndicats et de mouvements démocratiques y compris le PUDEMO. Le SUDF doit sa création au fait qu’il était devenu évident que pour créer une société civile forte, qui pouvait travailler effectivement à la démocratisation et l’éradication de la pauvreté, il était nécessaire de procéder à une éducation politique, à la mobilisation des masses et de créer plus d’unité et de coordination entre les forces pro démocratiques du Swaziland. « L’unité pour la démocratie générera le changement. Le secret est dans la mobilisation de masse», comme le formule Sikelela Dlamini du SUDF
Mais le SUDF a joué un rôle plus souterrain que lorsqu’il a été établi en 2008, explique Dlamini. Il a dû déléguer son rôle de dirigeants dans la lutte générale pour la démocratie à ses fédérations de travailleurs, y compris le SFTU, le SFL, et le SNAT. Toute autre façon de procéder aurait amené l’Etat a rapidement faire usage de ses tribunaux et de son appareil de sécurité pour déclarer les manifestations et les protestations illégales et y mettre un terme parce qu’ils sont de nature politique. Le SUDF a donc joué un rôle subtil, mais central, dans l’organisation des manifestations qui ont eu lieu du 12 au 15 avril.
Les syndicats ont occupé une place essentielle dans la lutte pour la démocratie et les droits sociopolitiques, aussi bien dans les évènements récents qu’au plan historique, en raison principalement du fait qu’ils sont les seules organisations qui ont légalement le droit d’organiser des manifestations à cause de l’Industrial Act. Le Swaziland ayant ratifié toutes les conventions du Bureau International du Travail, d travailleurs swazis ont le droit de s’affilier à un syndicat, de faire grève, bien que ces dernières sont plus ou moins impossibles à organiser légalement et que les employeurs sont discriminatoires à l’égard des membres d’un syndicat.
Les deux principaux syndicats que sont le Swaziland Federation of Trade Unions (SFTU) le Swaziland Federation of labour (SFL) comptent à eux deux quelque 85 000 membres. Avec le Swaziland National Association of Teachers (SNAT), ils ont récemment formé la Trade Union Congress of Swaziland (TUCOSWA).
Les syndicats ne sont pas officiellement affilés aux partis ou mouvements, bien que le AFTU, le SFL, le SNAT et maintenant le TUCOSWA, font partie de la Swaziland United Democratic Front (SUDF) qui promeut ouvertement la démocratisation et la justice socio-économique
Le Swaziland Democracy Campaign a été constitué en 2010 et reste une large coalition d’organisations progressistes du Swaziland et d’Afrique du Sud, unis pour exiger un système démocratique, multipartistes au Swaziland, dont l’objectif est d’attirer l’attention sur le Swaziland. La connexion avec l’Afrique du Sud résulte d’ « une cause commune contre l’oppression’, selon le document fondateur du SDC. Ceci est important en raison de la campagne menée en Afrique du Sud voisine et principal partenaire commercial.
Un des éléments importants que ces organisations doivent mettre en place, en particulier les partis politiques comme le PUDEMO, consiste en une politique claire, concrète et cohérente qui puissent aussi bien être vendue aux masses comme une alternative supérieure au système actuel et que leur permettre de réussir le changement. Ceci signifie aussi que les mouvements démocratiques doivent se concentrer aussi bien sur les objectifs politiques démocratiques supérieurs que sur des considérations plus limitées, des objectifs tangibles, quotidiens qui visent à améliorer les conditions de nombreux Swazis paupérisés, comme ils doivent s’assurer que les réformes réussissent depuis la base et ne sont pas dictées d’en haut. « Les projets du mouvement doivent être basés sur des politiques qui ont un rapport concret avec des questions comme la terre et l’éducation auxquelles la population puisse se référer », souligne Morton Niesen de l’ONG sud africaine Contact, l’une des rares ONG étrangères à travailler et soutenir le mouvement démocratique swazi. Mais cet ensemble politique pour un futur Swaziland démocratique n’existe pas pour l’instant.
Un autre élément important est l’inclusion. A moins de permettre aux masses de jouer un rôle majeur dans la démocratisation du Swaziland, la démocratie qui résulterait d’un tel processus ne serait rien de plus qu’une coquille vide. Une véritable démocratie ne peut provenir du sommet pour aller vers la base. C’est la raison pour laquelle l’éducation civique revêt une telle importance, de même que l’accélération de la démocratisation interne des organisations (afin qu’elles servent d’exemples et de cadre de référence pour une future société démocratique). L’importance de la conscientisation de la base pendant une année, qui a conduit au soulèvement du 12 au 15 avril, a été révélée dans la façon dont la manifestation a été conduite, non par un nombre limité de dirigeants, mais bien par un grand nombre. Ce qui a permis au mouvement de se poursuivre même après que les leaders du mouvement démocratique ont été arrêtés.
LE SOULEVEMENT DU 12 AU 15 AVRIL
Clairement préoccupé par la dimension et le potentiel de la campagne du 12 avril et des manifestations, le régime, sa police et ses forces de sécurité ont pris de nombreuses précautions. L’armée du Swaziland a été récemment envoyée au Pakistan à des fins d’entraînement et une énorme quantité d’armements lourds a été acquis (le budget militaire est actuellement équivalent à celui de la santé). ‘Nous dépensons beaucoup pour l’armée mais nous n’anticipons pas ce qui se produit en Afrique du Nord. L’armée est là pour prévenir de tels développements’, a déclaré le ministre des finances Majozi Sithole à l’AFP.
Le Sénat swazi a aussi mandaté le ministre du travail et de la sécurité sociale afin d’essayer d’empêcher les manifestations. Les médias swazis, peut-être mis sous pression par le gouvernement, ne citaient que les sources gouvernementales et discréditaient généralement les manifestants, selon Facebook, dans une campagne de diffamation, pendant que les forces de sécurités cherchaient partout ceux soupçonnés d’être impliqués dans la campagne.
La régime a clairement tenté d’intimider les Swazi afin qu’ils ne participent pas aux manifestations. Le Premier ministre Barnabas Dlamini a mis en garde tous ceux tentés d’y participer, disant que ses forces de sécurité écraseraient les protestations. Pire, le commissaire de police Isaac Magagula a déclaré que ‘tout le monde est suspect jusqu’à preuve du contraire’. Le régime arrête toute personne soupçonnée d’avoir un lien avec un mouvement démocratique. L’impunité dont bénéficent les forces de police et de sécurité est largement due à la Constitution de 2006, qui déclare que tous les partis politiques sont des organisations terroristes, ainsi qu’au Suppression of Terrorism Act, définit le terrorisme en terme très large et généraux. La législation swazie a donc donné à la police et aux forces de sécurité des pouvoirs presque illimités pour écraser les manifestations pacifiques du 12 avril, pouvoir qui a été largement utilisé.
Le régime a arrêté à titre préventif le leader estudiantin Maxwell Dlamini et d’autres leaders du mouvement avant le 12 avril. De nombreux autres ont été incarcérés entre le 12 et le 15 avril. Dans une tentative de mettre un terme au mouvement il a notamment arrêté tous les dirigeants des syndicats du PUDEMO, du SUDF et du SDC ainsi que toute autre personne soupçonnée de prendre part aux manifestations. De nombreuses personnes ont été arrêtées simplement parce qu’elles se trouvaient au mauvais endroit au mauvais moment et ont été conduites dans de lointaines forêts d’où elles ont dû revenir par leurs propres moyens. ‘Les forces de sécurité s’emparent littéralement de tout le monde et de n’importe qui dans la rue, de toute personne sur qui elles peuvent mettre la main et les détiennent’, a déclaré à la presse le SDC, le 12 avril. La poursuite des manifestations, quand bien même tout le leadership du mouvement démocratique a été arrêté, atteste de la réussite de la stratégie auprès des masses et que la population swazie en a véritablement marre du régime.
Les protestations ont continué sans relâche. Peut-être parce que les manifestants exigeaient la démocratie et la justice socio-économique, au contraire de précédentes manifestations où ils demandaient des augmentations de salaire ou protestaient contre des licenciements. ‘Cette fois les manifestants ont osé proclamer que toutes leurs revendications existaient en raison du régime non démocratique et corrompu de Mswati’, confie Dlamini. ‘Cela n’avait pas de sens de continuer avec des petits bouts de revendication à propos de la pénurie de médicaments dans les hôpitaux, des tarifs déraisonnables pour l’électricité, des retrait des bourses d’études gouvernementales, du gaspillage des deniers publics et plus tard des diminutions de salaires obligatoires, etc., alors que tous ces malheurs proviennent de la mauvaise gestion inhérente au système de gouvernance.
Il n’y a pas de doute que les Swazis veulent la démocratie. Mais déterminer quoi que ce soit dans un pays qui ne permet pas les élections libres ou une presse indépendante est de toute évidence difficile. Le nombre croissant de ceux prêts à manifester, au mépris de la répression brutale de la police et le nombre décroissant de votants dans l’actuel système d’élection sans parti, dans lequel le roi décide de tout, en est la preuve.
SOULEVEMENT PAR FACEBOOK ?
Beaucoup a été dit sur l’utilisation des moyens de communications modernes dans cette campagne. Il a été dit que d’annoncer l’insurrection sur Facebook des semaines à l’avance était un stratagème qui devait servir à révéler la véritable nature brutale du régime swazi, les organisateurs sachant que la presse mondiale suivrait l’évènement du 12 avril de près et que le langage révolutionnaire provoquerait une réponse violente du régime. Ainsi sa brutalité serait étalée aux yeux de tous, au niveau international et au Swaziland.
Cette stratégie s’est toutefois avérée une arme à double tranchant. ‘Alors que le Swaziland demeure un pays principalement rural avec un accès limité à Internet, le message concernant l’insurrection a néanmoins fait le tour du pays’, comme le souligne Dlamini. Ceci a généré une excitation et une attente irréalistes de la part des citoyens qui sont devenus les spectateurs alors que la majorité de ceux qui ont lancé le message sur Facebook résidaient à l’extérieur du pays et ne pouvaient pas coordonner les activités sur le terrain afin de réaliser les aspirations du message.Ceci a également permis au régime d’être mieux préparé pour les manifestations que lors de la dernière grande manifestation du18 mars 2011. Les gens étaient descendus dans la rue, ce qui en faisait une des plus importantes manifestations politiques dans l’histoire du pays.
Ceux qui ont participés aux manifestations massives en faveur d’un système démocratique multipartiste ont rétorqué qu’un soulèvement n’a pas lieu simplement parce qu’il est annoncé sur Facebook. Il peut être généré par une étincelle comme ce fût le cas en Tunisie, mais elle se perpétue par des années de travail souterrain, entrepris par les organisations de la société civile et des mouvements politiques comme FSEJ, le SUDF, le PUDEMO et les syndicats. Ces organisations ont préparé, conscientisé et organisé les masses en préparation de l’étincelle, pendant « des années de dur labeur, de dévouement et de sacrifices (menés) par les cadres des mouvements progressistes, de la société civile et de toutes les forces sociales qui ont conscientisé le peuple quant à ses problèmes’, selon le secrétaire des relations internationales de COSATU et ancien secrétaire général de Swaziland Solidarity Network, Bongani Masuku.
Ces organisations sont probablement aussi responsables du nombre de personnes qui sont descendues dans la rue, des gens qui ont réussi à contourner les barrages routiers de la police, les arrestations arbitraires et l’intimidation générale pour participer aux manifestations. Ils ont demandé la justice socio-économique et la démocratie entre le 12 et le 15 avril, pendant que les manifestants sur Facebook voulaient ‘une approche plus large et radicale qui devait faire tomber le gouvernement’, assure Thamsance Tsabedze du FSEJ. ‘Le roi doit abdiquer immédiatement’ disait le message sur Facebook.’ Notre but est de faire partir le roi et de s’assurer qu’il y aura une démocratie multipartiste,’ a déclaré au Mail & Guardian l’un des instigateurs de la campagne sur Facebook, Pius Vilakati, un ancien dirigeant estudiantin maintenant exilé en Afrique du Sud.
LE 12 AVRIL A-T-IL ETE UNE REUSSITE ?
Si l’on juge selon le nombre de manifestants ou selon les résultats obtenus, le soulèvement du 12 avril n’a pas autant réussi que les soulèvements d’Afrique du Nord (bien qu’aucun de ces pays ne soient encore parvenu à la démocratie). Seuls quelques milliers ont réussi à échapper aux barrages routiers et aux arrestations massives du 12 avril et des jours suivants et le roi et son régime non démocratique sont toujours au pouvoir. Ceci malgré la campagne sur Facebook qui voulait que 100 000 hommes (et probablement de femmes !) ’‘marcheraient dans les centres villes afin de déclarer l’année 2011 année du Swaziland démocratique libre de la domination royale’, là où Dlamini du SUDF déclarait espérer ‘’que 20 000 Swazis mécontents descendront dans la rue’.
Mais peut-être ne devrions-nous pas juger le soulèvement des Swazis comme un échec final. Peut-être devrions-nous le voir comme la manifestation d’une résolution croissante de la population du Swaziland. PUDEMO semble considérer la chose de ce point de vue, saluant ‘les travailleurs et le peuple du Swaziland pour avoir résisté à un régime hostile et fait connaître leurs exigences’, comme l’a exprimé un communiqué de presse.
Le soulèvement constitue un signal de l’abandon de l’apathie, d’un grand pas vers le rassemblement des mouvements démocratiques swazis parfois fragmentés lorsqu’ils demandent la démocratie et la justice socio-économique pour tous les Swazis et d’une démarche importante pour informer le monde de la malfaisance du régime swazi.
Avant le 12 avril, l’extérieur ne savait du Swaziland, si tant est qu’ils en savaient quelque chose, que l’image d’une paisible destination touristique. Après la brutalité manifestée par le régime swazi le 12 avril et les jours suivants, qui ont reçu une bonne couverture médiatique dans le monde entier et a été condamnée par les Etats-Unis, l’Union européenne et l’Afrique du Sud, il sera difficile pour quiconque de s’accrocher à cette image du Swaziland.
De ce point de vue, le 12 avril a été une réussite qui va, on l’espère, s’avérer le début de la fin de la dernières monarchie absolue en Afrique. Comme l’a dit Rooney, le rédacteur en chef du Swazi media Commnetary, ‘il est toujours possible que ce jour a été celui qui a conduit à autre chose’. Les Swazis sont certainement beaucoup moins enclin à accepter des changements du genre des réformes menées par le régime.’L’évènement a envoyé un message clair au régime que sa fin est proche’, comme l’a formulé Tsabedze.
Ceci étant dit, le mouvement démocratique devra revoir ses stratégies à l’avenir afin d’éviter de mettre inutilement en péril les manifestants et aussi afin que les manifestations entraînent la chute du régime et inaugure une véritable démocratie.’ Je crois qu’à l’avenir le mouvement démocratique devra s’assurer que son système de communication soit au point, que les gens sont bien préparés et prêts à relever le défi’, confirme Tsabedze
L’AVENIR
Il est trop tôt pour prédire le résultat du soulèvement des Swazis comme il est trop tôt pour prédire l’évolution des révolutions d’Afrique du Nord, du Moyen Orient et dans le Sahara occidental occupé (lequel, à l’insu de tout le monde, a été le premier pays à faire l’expérience d’un soulèvement en octobre, lorsqu’un camp où se déroulait une manifestation pacifique a été attaqué par les forces de sécurité marocaines). Mais ce que l’on peut dire d’ores et déjà, c’est que les manifestations massives du 12 avril, ainsi que celles du 18 mars, ont galvanisé et incité non seulement les mouvements démocratiques au Swaziland mais aussi les gens ordinaires qui sont venus en grand nombre lors des deux évènements. Nous avons entendu que les syndicats sont résolus à poursuivre l’insurrection contre le régime Swazi, que la campagne qui veut attirer l’attention de la communauté internationale ne se relâchera pas et que la rumeur court que le roi Mswati envisage une légalisation contrôlée des partis politiques et un système de transition vers la démocratie, des élections pluripartistes, dans une tentative désespérée de garder le pouvoir.
Les turbulences financières internes, à propos desquels le FMI a déclaré ’que la dynamique de la dette du Swaziland est devenue insupportable’, à quoi s’ajoute la déclaration du gouvernement qu’il sera incapables de payer les salaires de ses trente mille fonctionnaires dès le mois de juin 2011, devraient générer une insatisfaction croissante et assurer une bonne participation aux prochaines manifestations.
Que le Swaziland changera de régime semble inévitable à ce stade. ‘Le 12 au 15 avril est passé. Mais l’impact des manifestations sur la direction socio-économique du Swaziland sera ressentie pendant des générations’, a déclaré Dlamini. C’est très clair pour chaque Swazi qu’un retour à une démocratie multipartiste n’est pas juste inévitable mais aussi imminent. Le roi Mswati III a le choix peu enviable de continuer de résister et de risquer de se faire pousser dehors ou de faire des concessions hâtives et de perdre une bonne partie de son pouvoir et sauver de la disparition l’institution de la monarchie.’
La seule question qui demeure est de savoir si le changement surviendra plus tôt ou que tard, pacifiquement ou pas, si le nouveau système sera véritablement participatif et si oui ou non il va garantir une justice socio-économique aux nombreux Swazis paupérisés. Si le système ne change pas bientôt, le FMI, qui attend dans l’ombre, est prêt à exiger des programmes d’ajustements structurels - mais non des changements démocratiques - l’ouverture et des réformes (des économies des licenciements) au détriment des pauvres et de la classe moyenne comme tant d’autres pays africains.
Reste à voir si la communauté internationale des gouvernements, des organisations et des individus qui, selon Dlamini, ’sacrifient le peuple swazi sur l’autel du silence et de la honte’, ou soutiennent le mouvement démocratique et exercent finalement une certaine pression sur le régime Swazi pour ses crimes avant, pendant et après le 12 avril,.
Cette pression extérieure pourrait s’exercer par des sanctions appropriées, comme l’ont demandé depuis un certain temps déjà le PUDEMO et d’autres, y compris le SFTU. Ce qui semble clair c’est que la pression extérieure assurerait probablement une démocratisation plus rapide et pacifique, alors que le régime estimerait sans doute qu’il réagira plus violemment à l’encontre des mouvements démocratiques s’il peut le faire en toute impunité
Les Etats-Unis, l’Union européenne et l’Afrique du Sud pourraient mettre un terme à ce régime en quelques jours, s’ils le voulaient. Plus de 90% des importations et plus de 60% de des exportations du Swaziland ont lieu avec l’Afrique du Sud, cependant que les Etats Unis et l’Union européenne sont aussi des partenaires commerciaux importants. Il en va de même pour des multinationales comme Coca-Cola par exemple, qui ont d’énormes installations au Swaziland, parce que le royaume produit des quantités substantielles de cannes à sucre. ‘Coca Cola assure environs 40% du PIB’, selon Rooney dans le Swazi Media Commentary.
Mais compte tenu du fait qu’à ce jour, ces pays et ces multinationales ont choisi de ne pas exercer de pression sur le régime à propos de son bilan dans le domaine des droits humains et le manque de démocratie et n’ont pris que des mesure minimales sous le feu de la critique, il sera probablement nécessaire que la société civile et le public, à l’intérieur et à l’extérieur du Swaziland, fassent pression pour que les choses changent.
Des voix s’élèvent depuis quelque temps déjà en Afrique du Sud, en Amérique du Nord et dans l’Union européenne pour demander la démocratisation et la justice socio-économique au Swaziland, provenant d’organisation comme ACSTA au Royaume Uni, Africa Contact au Danemark, le mouvement pour la démocratie au Swaziland et le Swaziland Solidarity Network en Afrique du Sud.
Ceux, désintéressés et qui veulent réellement aider le Swaziland, doivent toutefois être prudents. ‘Soutien international’ et ‘partenariat’ sont des concepts qui ont souvent été déformés et usurpés afin de servir des agendas néo-impérialistes plus ou moins déguisés, en particulier en Afrique. Les gouvernements étrangers, les ONG et d’autres à l’extérieur du Swaziland doivent comprendre que la lutte pour une démocratie inclusive et la justice socio-économique au Swaziland ne peut être imposée à partir de New York, Londres, Beijing ou Pretoria. Car, à quoi bon tout ce discours sur la démocratie et les droits humains si au final, cela signifie que le Swaziland, comme d’autres pays africains, est téléguidé.
Lectures recommandées
ACTSA’s Swaziland campaign: http://www.actsa.org/page-1223-Swaziland.html
Africa Contact’s Swaziland campaign: http://afrika.dk/frit-swaziland
About COSATU’s Swaziland campaign: http://www.cosatu.org.za/show.php?ID=1722&cat=Campaigns
P
UDEMO: http://www.pudemo.org/
Stiff Kitten’s Blog: http://stiffkitten.wordpress.com/
Swaziland Democracy Campaign: http://www.swazidemocracy.org/home.htm
Swazi Media Commentary: http://swazimedia.blogspot.com/
Swaziland Solidarity Network: http://www.ssnonline.net/
Swaziland United Democratic Front: http://sudfinfo.wordpress.com/
Visit Swaziland unofficial tourist site: http://visitswaziland.wordpress.com/
* Peter Kenworthy a un master en Sciences sociales et études internationales pour le développement et fait partie d’Africa Contact’s Free Swaziland campaign – Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger
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