Laurent Gbagbo s’accroche à un pouvoir que la quasi-totalité de la communauté internationale lui dénie. Comme d’autres dictateurs hier, il s’enfonce dans une logique de confiscation de la souveraineté populaire exprimée à travers l’élection d’Alassane Ouattara. Le pourrissement de la situation lui profitera-t-il ? Pour Venance Konan, ce qui a pu se passer au Kenya et au Zimbabwe, pour un partage du pouvoir, ne peut s’imposer en Côte d’Ivoire.
Il se prenait tantôt pour Soudjata tantôt pour Moïse, tantôt pour le roi David. Le voici maintenant dans la peau de Napoléon Bonaparte. Comme lui, Laurent Gbagbo s’est couronné tout seul le samedi 4 décembre, en compagnie de quelques comparses et en présence de seulement trois ambassadeurs : ceux d’Angola, du Liban, et d’Afrique du sud. Et en l’absence notable de Mamadou Koulibaly, le président de l’Assemblée nationale. Sans doute a-t-il retrouvé sa lucidité et compris qu’il ferait mieux de prendre ses distances par rapport à ce pouvoir usurpateur, violent et en sursis.
Pendant ce temps, le reste du monde reconnaissait le vrai président que les Ivoiriens ont élu, Alassane Ouattara. Etait-ce un hasard si tout juste après la « prestation de serment » de Laurent Gbagbo, la chaîne de télévision Planète a présenté un documentaire sur la seconde Guerre mondiale et la fin d’Adolf Hitler ? Ne le dites surtout pas à Franck Anderson Kouassi, le président du CNCA. Il serait capable de nous interdire de regarder la chaîne Planète.
On voyait Hitler jouer avec ses chiens dans son château, recevant des actrices, faire comme si tout allait bien, pendant que son armée battait en retraite en Russie et que tout le monde voyait sa fin approcher. Tous ceux qui applaudissaient et criaillaient le samedi 4 décembre au palais de la présidence savaient certainement qu’ils jouaient une comédie en laquelle ils ne croyaient pas eux-mêmes. Laurent Gbagbo devait savoir que pendant qu’il usurpait un pouvoir que les Ivoiriens lui avaient refusé, certains de ses compatriotes étaient tués dans plusieurs régions du pays.
Un ami revenu d’Issia me racontait qu’il y avait eu des affrontements qui avaient causé la mort d’au moins dix personnes. On m’a aussi appelé d’Oumé pour me faire part d’affrontements du même genre. Quelle Côte d’Ivoire Laurent Gbagbo espère-t-il diriger ? Cela n’est pas son problème. La seule chose qui compte pour lui est de se maintenir coûte que coûte au pouvoir, même en marchant sur les cadavres des Ivoiriens. Il est symptomatique que lors de son discours du 4 décembre, il n’ait pas dit un seul mot sur la cohésion sociale qui est en train de partir en fumée. Il s’est tout juste adressé à la communauté internationale, pour tenter de justifier son coup de force, mais pas un mot aux Ivoiriens. Il n’a pas volé le pouvoir pour eux. Il l’a volé pour lui et son clan.
Laurent Gbagbo, tu sais comment Napoléon que tu as cru bon de citer dans ton discours du 4 décembre et Hitler ont fini. Le premier, exilé sur une île lointaine, le second, en avalant une capsule de cyanure dans son bunker.
Laurent ! Laurent Gbagbo ! Pendant dix ans tu as montré que la charge de diriger la Côte d’Ivoire était trop lourde pour toi. Les Ivoiriens t’ont laissé jouer avec leur avenir pendant dix ans, en attendant l’occasion de te faire partir par la voie de la démocratie. Cette occasion leur a été donnée le 28 novembre. Et tu crois pouvoir les diriger encore après avoir confisqué leur volonté, après les avoir enfermés dans leur pays que tu as transformé en Corée du nord ?
Nous n’avons plus le droit de sortir du pays, de regarder d’autres télévisions que la tienne, transformée en télévision «Mille collines », d’écouter d’autres radios que la tienne, devenue «Radio mille collines ». Qu’est-ce que c’est que ça ? Tous ceux qui doutaient que tu sois un vrai dictateur l’ont compris maintenant.
Voyons, Laurent Gbagbo ! Combien de temps crois-tu pouvoir t’accrocher à un pouvoir qui n’est plus tien ? Comptes tu vraiment pouvoir diriger la Côte d’ivoire contre les Ivoiriens et contre le monde entier ? Tes conseillers ont certainement dû te dire qu’il suffit de faire le dos rond et que ça finira par se tasser. Comme au Zimbabwe, comme au Kenya. Ils ont dû te dire que pour ne pas t’humilier, la communauté internationale te maintiendra président et Ouattara Premier ministre. Comme au Zimbabwe et au Kenya.
La différence, Laurent Gbagbo, est que nous ne sommes ni au Kenya ni au Zimbabwe et nous ne voulons surtout pas ressembler à ces pays. Pour rien au monde, nous n’accepterons ton hold-up. Et le reste du monde n’est pas prêt à l’accepter. Même tes amis socialistes français t’ont lâché. Parce qu’il y a une limite à tout. Faire de la roublardise un art de gouvernement peut fonctionner un certain temps. Mais il y a quand même une morale en politique. Accepter cette forfaiture, c’est accepter encore la violence, le vol, le crime impuni, la corruption généralisée, la tricherie, l’incompétence, le discrédit sur notre pays, la pauvreté galopante, les diplômes vendus, les mœurs dévoyées, l’école assassinée par la FESCI, le pays encore plus divisé…
Non, Laurent Gbagbo, les Ivoiriens ne peuvent plus accepter cela. Et tous ceux qui ont du respect ou de la pitié pour les Ivoiriens ne peuvent accepter cela. Les démocrates du monde entier doivent savoir qu’accepter ce coup de force de Laurent Gbagbo, c’est donner un blanc-seing à tous les dictateurs du monde. Tous les intellectuels africains doivent se lever pour dire très fortement « non » à cet acte de brigandage politique. Notre continent ne doit plus accepter d’être la risée du reste du monde à cause des comportements d’hommes comme Laurent Gbagbo et Paul Yao Ndré. Que le reste du monde ne se dise pas que « décidément l’Afrique n’est pas prête pour la démocratie. » Non. L’Afrique et les Africains aspirent comme tous les peuples du monde à la démocratie, à la justice, à la liberté, à la prospérité.
Mais il y a des hommes comme Laurent Gbagbo, Mamadou Tandja, Moussa Dadis Camara qui volent les rêves de leurs populations et les abrutissent pour mieux les asservir. Et tout comme le monde entier s’est mobilisé pour pousser Tandja et Dadis Camara dans les oubliettes de l’histoire, il doit aussi aider les Ivoiriens à se débarrasser de celui qui vient de leur voler leurs espérances.
* Venance Konan est journaliste et écrivain ivoirien
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