Etre jeune, doué et noir: la lutte de la jeunesse noir aujourd’hui
Dans un discours prononcé lors du 33ème anniversaire de la mort en détention de Steve Biko, Veli Mbele, président de l’Azanian Youth Organisation, examine les leçons que les jeunes peuvent tirer de la vie et des idées de Biko
Monsieur le vice président de AZAPO, Ntate Strike Thokoane
Messieurs les dirigeants de AZAPO dans le Westrand
Messieurs les dirigeants de la jeunesse de AZAPO
Invités distingués
Camarades et amis
Je vous apporte les salutations révolutionnaires du comité exécutif national de l’Azanian Youth organisation. Je saisis aussi l’occasion de saluer la branche de Mohlakeng, non seulement pour avoir organisé cette journée du souvenir de notre père fondateur, Steve Bantu Biko, mais aussi pour avoir choisi ce jour qui a une importance particulière.
Comme vous le savez sans doute, le 25 septembre est le jour où Steve Biko a rejoint sa dernière demeure dans le Township de Ginsberg, il y a 33 ans, après avoir été froidement assassiné en détention par les agents du régime colonial.
Il est bon aussi de se souvenir que plus de 20 000 personnes ont participé aux funérailles de Biko. Les agents coloniaux avaient mis en place des barrages routiers pour harceler les membres de l’Azanian et les empêcher de participer aux funérailles, ce qui montre bien à quel point ils avaient peur de Biko. Le régime raciste blanc était toujours impliqué dans ces actions lâches bien qu’ils aient assassiné Biko quelques jours auparavant.
Ce sont ces tendances fascistes du régime colonial qui renforcent l’idée que Biko mort plutôt que vivant, était une plus grande menace pour l’Etat colonial. Ceci est peut-être compréhensible compte tenu de l’influence de ses idées sur ceux qui ont agencé et conduit le soulèvement des étudiants à Soweto en 1976. C’était Biko lui-même qui a dit juste avant d’avoir été tué : ’’ Vous pouvez soit être en vie et fier, soit vous êtes mort et rien n’a plus d’importance parce que la façon dont vous êtes mort peut être elle-même politisée.’’
Le propos de mon discours d’aujourd’hui est de mettre l’accent sur les idées de Biko afin que nous, jeunes gens noirs, puissions réfléchir et tirer des leçons de la vie de quelqu’un comme Biko devenu une icône. Et plus précisément, les choses pratiques que nous pouvons faire, en tant que membre de la jeunesse d’AZAPO, afin de garantir que les enseignements de Biko parlent aux jeunes gens d’aujourd’hui.
Parce que je parle à des gens aussi jeunes que moi et pour introduire mon discours, je voudrais utiliser quelque chose que nous autres jeunes aimons et comprenons bien et c’est la musique.
Dans son album de 1970, intitulé ‘Black Gold’’ la chanteuse, pianiste et militante légendaire, Nina Simone, a sorti un classique dont le nom est ‘’To be young, gifted and Black’’ (Etre jeune, doué et noir). Cette chanson était une adaptation d’une pièce inachevée, portant le même titre, et produite par son amie Lorraine Hansberry qui est décédée en 1965 d’un cancer du pancréas. Ce chant, d’une grande profondeur, était un hommage à son amie décédée.
‘’Etre jeune, doué et noir
Quel rêve merveilleux et précieux
Etre jeune, doué et noir
Ouvrez votre cœur à ce que je vous dis
Vous savez, dans le monde entier
Il y a des millions de garçon et de filles
Qui sont jeunes, doués et noirs
Et ceci est un fait
Jeune, doué et noir,
Nous devons commencer à dire à nos petits
Qu’il y a un monde qui les attend
Ceci est une quête qui ne fait que commencer »
Elle poursuit son chant
« Quand vous vous sentez vraiment au fond du trou,
Il y a une grande vérité que vous devez savoir
Quand vous êtes jeunes, doué et noir
Votre âme est intacte
Jeune, doué et noir,
Comme je veux connaître la vérité
Il y a des jours où je regarde le passé
Et je suis hanté par ma jeunesse »
Elle termine en disant
« O mais ma joie aujourd’hui
C’est que nous pouvons tous être fier de dire
Que d’être jeune, doué et noir
C’est le lieu où il faut être. »
Ces paroles ne chantent pas seulement la grande beauté de notre état de Noirs et la valeur d’être jeune, mais aussi, à sa façon elles contiennent l’essence du message et de la vision de Biko quant à la Conscience noir. Ceci ne devrait peut-être pas être trop surprenant parce que ce chant a été enregistré la même année où Biko et d’autres ont lancé officiellement, la première organisation de la Conscience des Noirs en Azania, la South African Students organisation (SASO) que Biko a dirigée comme premier président.
QUELLES SONT LES LUTTES DES JEUNES NOIRS AUJOURD’HUI ?
Tirant mon inspiration du chant stimulant de Nina Simone, mon souhait pour nous, adhérents de la philosophie de la Conscience Noire, c’est de prendre un moment pour considérer la condition des Noirs aujourd’hui et en particulier celle des jeunes.
D’abord je crois qu’il est crucial pour nous de comprendre que les sociétés sont organisées selon des super systèmes particuliers, qui prescrivent la nature et le caractère des systèmes subordonnés qu’il contient, qu’il soit sociaux, politiques ou culturels. Par ailleurs, les systèmes sociétaux ne sont pas le produit de quelques forces surnaturelles mystérieuses, mais sont construits par les humains, plus spécifiquement par certaines classes de la société.
Il s’en suit que non seulement ces systèmes déterminent la structure présente et future de la société, mais également les relations de pouvoir présentes et futures dans la société qui inévitablement déterminent le tempérament politique et social de la société.
Ceux qui veulent effectuer des changements sociétaux significatifs doivent comprendre que ceux qui déterminent les systèmes sociétaux n’ont pas pour habitude de révéler les motifs pour lesquels ils déterminent le système sociétal d’une certaine façon, parce que, s’ils le faisaient, ils anéantiraient la raison pour laquelle le système a été ainsi déterminé
Pour les membres de AZAYO, ce serait donc une violation de notre code de discipline de ne pas s’engager dans les études politiques, les discussions, la réflexion. Ce serait aussi miner notre capacité de disséquer des phénomènes simples et complexes.
Dans ce contexte, nous devons ouvrir à nouveau le débat à propos des pays qui ont été colonisés pendant des siècles pour demander s’il est possible qu’aujourd’hui ils soient réellement libérés.
En Afrique du Sud nous avons eu un système colonial basé sur le racisme et le capitalisme blancs où tous les aspects de la vie des Noirs étaient contrôlés par une minorité de colons blancs. Dès le milieu des années 1980, suite à une longue et sanglante guerre de libération, une série de discussions subreptices a eu lieu entre les représentants de l’African National Congress (ANC) et les agents du régime illégitime de Botha.
Suite à ces activités clandestines, au début des années 1990, la gigantesque trahison de notre peuple a par la suite été légitimée au cours de la Charade de Kempton Park qui a permis, plus tard, à l’ANC de prendre le pouvoir des mains des Boers coloniaux. Et comme prévu, des millions de Rands ont été pompés dans ce projet impérialiste avec pour seul but de tromper les masses sans méfiance, en leur faisant accepter le processus frauduleux de Kempton Park comme un authentique processus de libération.
Le simple fait de remettre la gestion de l’Etat colonial dans les mains de l’ANC a-t-il changé fondamentalement l’histoire des relations de pouvoir entre les colonisateurs et les colonisés dans notre pays ? Naturellement non. Alors qu’est-ce qui a vraiment changé dans notre pays ? Comme nous l’avons déjà dit dans notre discours du 12 septembre à Atteridgeville, il y a quelques jours : ‘’ La seule chose qui ait changé est la couleur de ceux qui gèrent notre système’’
Deuxièmement, pour preuve de la persistance du système de racisme et de capitalisme blancs, non seulement notre pays a reçu la distinction douteuse d’être la société la plus inégale au monde mais aussi, qu’avec le gouvernement qu’ils ont élu, les Noirs continuent d’être au fond du trou économique. Ce paradoxe est peut-être l’illustration la plus claire de l’incapacité de l’ANC à changer de façon significative la vie des Noirs.
Le résultat de ce paradoxe est que les jeunes Noirs, qui sont la majorité de la population sud africaine sont la population la plus affectée par l’incapacité ou le manque de volonté de l’ANC de prendre des mesures significatives pour une transformation économique de la vie des Noirs (en tant que groupe et non en leur qualité d’individu)
Troisièmement, une graine a été plantée dans l’esprit de beaucoup de jeunes Noirs qui dit que le manque de progrès dans leur vie personnelle est la conséquence de leur propre inadéquation, ce qui n’est pas entièrement vrai.
L’impossibilité des jeunes Noirs de réussir dans toutes les sphères des activités humaines est le résultat prédéterminé par le système, auquel je faisais référence précédemment, lequel a la capacité de nuire au cheminement des Noirs, aussi bien au niveau individuel que collectif.
Et de ce point de vue, l’ascension sociale et économique, rapide et sans accroc des jeunes Blancs n’est pas la conséquence d’un travail personnel acharné ou d’un QI au-dessus le la moyenne, mais comme pour les jeunes Noirs, c’est principalement le résultat prédéterminé du système raciste et capitaliste des Blancs.
Quatrièmement, et ceci devrait nous permettre de mieux comprendre la signification perturbante des indicateurs sociaux suivants :
- Des 164 000 prisonniers que contiennent les 243 centres de détention de l’Afrique du Sud, environs 161 000 sont noirs, masculins et âgés de moins de 35 ans
- Au niveau scolaire, bien qu’ils soient un minorité, il y a toujours davantage d’étudiants blancs qui suivent les cours de mathématiques et de sciences que d’étudiants noirs. Et comme cela a été rapporté récemment, à la fin de la douzième année de scolarité, un nombre considérable d’élèves noirs ne savent pas lire, écrire ou compter correctement.
- Même avec un diplôme post-grade, il est toujours possible pour un jeune Noir de devoir lutter pour obtenir un emploi si tant est qu’il en obtienne un.
- Non seulement la majorité de ceux infectés par le virus du HIV sont noirs et jeunes mais encore on trouve dans cette communauté le phénomène perturbant des enfants chef de famille.
Articuler ces indicateurs sociaux déprimants de cette façon ne doit pas décourager les jeunes Noirs de prendre leurs responsabilités et leur propre vie en main. Mon propos est bien de mettre en lumière la connexion entre les facteurs historiques et sociétaux et les choix personnels que font les jeunes d’aujourd’hui et en particulier les jeunes Noirs.
QUE PEUVENT FAIRE LES MEMBRES DE AZAYO POUR APPORTER DU CHANGEMENT ?
Alors que nous comprenons le lien entre l’analyse du problème et la résolution de celui-ci, nous ne devons pas tomber dans le piège des tendances des petits bourgeois qui se préoccupent de rhétorique stérile sans amener de solutions pratiques aux défis auxquels nous devons faire face.
La jeunesse de AZAPO (Azanian people’s organisation) a le devoir révolutionnaire de, d’abord, s’instruire elle-même sur l’histoire du mouvement et du pays. Et comme stipulé par les constitutions de AZAPO, AZAYO et AZASCO (Azanian students convention), nous devons prendre l’habitude de nous cultiver avec constance aux plans idéologiques, intellectuels et autres.
Nous devons continuer de conscientiser les jeunes Noirs afin qu’ils comprennent que les drogues, et en particulier l’alcool, font partie des outils de ceux qui ont dessiné le système et qui servent à s’assurer que les jeunes Noirs, qui font partie de la communauté noire, continuent de dominer la catégorie négative des drogués et des alcooliques.
Vous êtes-vous jamais demandé pourquoi il y a plus de tavernes et de débit de boissons illégaux là où vous vivez, que d’écoles ou de centre de développement de la jeunesse ? Kanti ninjani maComrades ? Ne trouvez-vous pas cela étrange ?
Nous devons faire comprendre aux jeunes Noirs que les médias sont parties intégrantes du système et nous ne devons par conséquent pas leur permettre de décider des canons de la beauté, du succès ou de l’intelligence à notre place
Vous êtes-vous jamais demandé pourquoi les médias dominants sont toujours prompts à parler des jeunes Noirs impliqués dans des activités qui ne contribuent pas de manières positives au développement de jeunes Noirs, alors que ces mêmes médias sont plutôt réticents à donner le même éclairage aux jeunes Noirs qui ont réussi à force de luttes, d’efforts acharnés et d’honnêteté ?
Je suis sûr que vous êtes d’accord pour dire que la question du leadership est essentielle pour le projet de transformations sociales et nous devons continuer la tradition de notre mouvement qui veut que nous nous impliquions dans la résolution des problèmes communautaires. Et chaque fois que nécessaire, créer des structures communautaires pour la jeunesse qui contribueront à canaliser les énergies et les talents des jeunes gens de façon créative et positive.
Ceci, camarades, à mon humble avis, est à présent le plus grand défi auquel le mouvement de la jeunesse doit faire face et je crains, que nous les dirigeants des mouvements de jeunesse ayons fait défaut aux jeunes Noirs à cet égard.
Pour conclure, je voudrais dire qu’à mon avis, le plus grand défi auquel la communauté noir doit faire face réside dans la création de modèle positif à émuler. Et à cet égard, nous sommes obligés de vivre nos vies de sorte à inspirer à nos pairs une vie positive et particulièrement à ceux plus jeunes que nous.
Et bien que nous devions accepter notre propre fragilité et notre propre faillibilité, nous ne devons néanmoins jamais hésiter à tenter d’en inspirer d’autres. De plus nous avons des chances de bénéficier autant que ceux que nous souhaitons influencer. Si nous les membres de AZAYO pouvons nous engager à accomplir ces tâches, aussi bien en théorie qu’en pratique, je ne doute pas qu’en temps utile notre génération sera capable d’inspirer des millions de jeunes Noirs partout dans le monde qui se joindront à nous pour chanter avec confiance le chant de Simone :
Vous savez, dans le monde entier
Il y a des millions de garçon et de filles
Qui sont jeunes, doués et noirs
Et ceci est un fait
Je vous remercie de votre attention.
* Veli Mbele est président de l’Azanian Youth Organisation (Azayo) - Ce discours a été prononcé le 25 septembre 2010 lors de la commémoration du 33ème anniversaire de la mort en détention de Steve Biko détenu à Mohlakeng - Traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger
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