Dans le sillage du désastre écologiques causé par l’explosion de la plateforme de forage de Deepwater Horizon de BP, le 20 avril, la multinationale pétrolière a été immédiatement mise sous pression par le gouvernement américain afin de payer des dommages et intérêts. Ceci est une expérience qui diffère singulièrement de celle vécue par les Nigérians face à la multinationale Shell qui opère dans le delta du Niger, écrit Alex free.
L’explosion de la plateforme de Deepwater Horizon de BP, le 20 avril, a causé un terrible désastre écologique qui s’avère catastrophique pour la faune, les écosystèmes et les moyens de subsistance de la population dans une bonne partie du golfe du Mexique. L’explosion a fait 11 morts et, selon les estimations 200 000 gallons (un gallon anglais égal 4,546 litres ; le gallon américain vaut 3,785 litres : Ndlt) s’écoulent de la plateforme endommagée malgré les efforts de BP de contenir cette atteinte à l’environnement (1)
Outre la volonté de l’administration Obama de réagir promptement au désastre, il y a aussi un important problème politique à résoudre et BP a été rapide d’offrir’’ de payer des compensations pour des revendications légitimes liées aux dommages causés à la propriété, des blessures et des manques à gagner’’ dans l’optique de limiter les paiements de dommage et intérêts.(2)
Avec le tremblement de terre de Haïti et de l’ouragan Katrina en Louisiane qui sont dans toutes les mémoires, cette région n’a pas été épargnée par les catastrophes sociales et écologiques. Chose qui n’a pas échappé à un gouvernement démocrate qui ne veut surtout pas répéter les tergiversations douteuses de l’administration Bush dans le sillage de Katrina. En effet, le président Obama a été clair en soulignant l’obligation de BP de prendre à sa charge tous les coûts résultants de la marée noire, déclarant que ‘’ que BP est responsable de cette marée et donc BP va devoir éponger l’ardoise’’
Eponger l’ardoise
Naturellement, tous les peuples méritent d’avoir leurs moyens de subsistance préservés de façon efficace ; peu importe dans quelle partie du monde ils vivent. Or la réaction plutôt rapide à l’égard de BP et de Deepwater Horizon offre un contraste saisissant avec l’absence de protection organisationnelle à disposition du peuple du Nigeria dans la région du delta du Niger, face à un autre géant pétrolier : Shell. On a d’une part le dirigeant d’une super puissance (très conscient des attentes du public américain) soulignant avec force les responsabilités des multinationales sous les regards des médias globaux et, d’autre part, on a une région vide de toute volonté politique de préserver sa population locale.
Là où le gouvernement américain peut créer des remous au travers de ses institutions politiques, les protestataires non violents du delta du Niger, qui expriment des griefs entièrement légitimes, sont traités avec mépris et même assassinés par une police militaire qui vole au secours des infrastructure pétrolières lucratives de Shell et des élites du Nigeria. Alors que les médias planétaires attirent l’attention des effets de la marée noire sur l’industrie halieutique occasionnée par BP en Louisiane et la fragilité des marécages, la population du delta du Niger doit faire face à des fuites allant jusqu’à 14 000 tonnes (3). D’immenses richesses sont extraites de leur environnement sans qu’ils en tirent le moindre bénéfice sous la forme de logement, d’installations médicales ou de routes décentes, malgré des revenus de quelque 700 milliards de dollars. (4) Plus infamant encore, Shell a été accusé, dans une plainte portée devant les tribunaux américains, d’implications dans l’assassinat du militant pour l’environnement Ken Saro-Wiwa, et de 9 Ogoni pendant la régime militaire d’Abacha (5), accusation qui a abouti à un arrangement extrajudiciaire qui allouait 15,5 millions de dollars mais sans reconnaissance de tort de la part de la compagnie.(6)
Comparez cela avec l’expérience récente du Sud des Etats-Unis, avec le directeur général Tony Hayward qui déclare : ‘’ Nous paierons absolument toute l’opération de nettoyage. Il n’y a aucun doute à ce sujet. C’est notre responsabilité et nous l’acceptons entièrement.’’ (7) Dans la même veine Deepwater Horizon a stimulé les sénateurs américains à demander que ‘’ les compagnies pétrolières soient responsables jusqu’à concurrence de US$ 10 Milliards pour les coûts générés par les marées noires’’ (8)
Des expériences contrastées
A la lumière des réparations immédiatement disponibles aux Etats Unis, dans le sillage de la marée noire causée par BP, le contraste avec l’expérience nigériane semble démontrer qu’une plus grande valeur est accordée à la vie et à l’existence dans les parties les plus riches du monde. La relation de pouvoir asymétrique qui se manifeste derrière la façon dont les populations sont traitées illustre une différence de contexte politique. Dans l’un, la multinationale est mise au pied du mur sans équivoque et dans l’autre il est allégué que la compagnie est en collusion avec les forces fédérales afin de faire taire les voix locales. Essentiellement aux Etats-Unis, il y a du capital politique à gagner en s’en prenant à l’industrie pétrolière, tandis qu’au Nigeria la compagnie pétrolière s’en prend à vous. De surcroît, il illustre aussi l’importance qu’il y a, pour les compagnies pétrolières, de s’assurer que leur équipement d’urgence est le meilleur possible lorsqu’elles opèrent dans la proximité de régions plus riches, plus puissantes.
Peut-être la cruelle ironie de cette affaire réside dans le fait que, plutôt que de fournir un autre exemple de la vulnérabilité générale de l’humanité dans sa dépendance à l’exploitation pétrolière et à l’extraction d’énergie fossile, les conséquences du désastre américain se traduiront simplement en une plus grande pression exercée sur les pays riches en pétrole dans les pays plus pauvres, dépourvus de protection organisationnelle et institutionnelle pour les populations pauvres et l’environnement. Avec l’opinion publique américaine remontée contre l’industrie pétrolière, des personnalités politiques américaines très en vue ont saisi l’occasion avec enthousiasme, en phase avec l’opinion publique, tel le gouverneur de la Californie, Arnold Schwarzenegger qui a fait volte face à propos des forages dans son Etat : ’’ Vous allumez votre TV, vous voyez cet énorme désastre et vous vous dites pourquoi est-ce que nous prendrions un tel risque ?’’ (9)
Assurer le ravitaillement pétrolier.
Il n’est pas difficile d’envisager quelques-unes des conséquences potentielles de l’aversion accrue des Américains pour la production pétrolière sur leur propre sol. Etant les plus grands consommateurs per capita d’énergie fossile du monde, les Etats-Unis devront trouver leur pétrole quelque part. Et avec les autorités et le monde des affaires qui sont devenus méfiants à l’égard d’une trop grande dépendance à un Moyen Orient ‘’instable’’, les regards vont de plus en plus se tourner vers l’Afrique. Malgré les rapports qui disent que les profits de Shell au Nigeria sont minimes, la liste des pays producteurs africains inclut l’Angola, le Gabon, le Nigeria et la Guinée équatoriale (et potentiellement le Ghana et l’Ouganda). Tous ces pays jouent un rôle proéminent dans le secteur pétrolier global et leur société se caractérise par le fait que les revenus pétroliers sont le privilège d’une petite élite. Les aspects divers du secteur pétrolier, à l’intérieur de chacun de ces pays, l’absence de contrôle des mécanismes de redistribution des revenus financiers pétroliers et de protection ouvrent un peu plus la porte à de nouvelles catastrophes écologiques, à l’injustice sociale et à la suppression des droits à la représentation et à la protestation.
Si les Etats-Unis et le reste du monde occidental rechignent à recevoir des forages pétroliers dangereux sur leur sol, la pression va s’accentuer sur des environnements où les multinationales et des instances gouvernementales ne rendent pas de comptes et peuvent s’approprier les ressources naturelles et marginaliser la population locale, exacerbant l’injustice sociale, comme en témoigne le contexte du delta du Niger où des garde-fous institutionnels effectifs n’existent pas. Bien sûr que l’image générale du secteur pétrolier africain est compliqué, mais que l’on considère une compagnie étatique comme Sonangol en Angola ou les opérations de multinationales étrangères, les mêmes graines d’exploitation sociales potentielles et d’iniquité sont présentes.
Dans ses tentatives de s’assurer un contrôle sur le pétrole africain, les Américains ont mis sur pied AFRICOM (African command). AFRICOM est une force qui, selon l’aveu des fonctionnaires américains eux-mêmes, a été mise sur pied dans le but de mettre la main sur les énergies en provenance de l’Afrique, comme l’a déclaré un membre de la Chambre des Représentants, Ed Royce : ’’ C’est clairement dans notre intérêt national de diversifier notre source de ravitaillement, en particulier au vu des turbulences politiques qui aujourd’hui agitent des régions clés du monde. L’expansion de la production énergétique en Afrique correspond à cet intérêt…’’ (11)
Faisant partie d’un effort plus général d’assurer la ‘’ sécurité’’ dans le cadre de la ‘’guerre globale contre le terrorisme’’, le budget des programmes AFRICOM est passé de 50 millions de dollars au cours de l’année fiscale 2007, à 310 millions de dollars en 2009. Cependant que le commandant d’AFRICOM, le général E. Ward, souligne le soutien au développement africain par ses programmes de ‘’sécurisation’’, Ba Karang argumente que l’AFRICOM n’est rien d’autre qu’une initiative proaméricaine, pour l’énergie, déguisée en lutte contre la menace du fondamentalisme islamique (12)
Le coût réel de la marée noire
La réaction de BP et de Deepwater Horizon à la marée noire du golfe du Mexique a mis en évidence les contrastes abrupts qui existent dans la protection et les droits des populations locales et de leur environnement dans la proximité d’installations d’extraction du pétrole dans différentes parties du monde. Cependant que toute la puissance du gouvernement de la super puissance du monde s’est abattue sur BP sous le regard des médias, les Nigérians du delta du Niger continuent de souffrir de la dégradation de l’environnement, et ne profitent en rien des revenus pétroliers, continuant d’être réprimés dans un environnement dépourvu de mécanismes effectifs de protection.
Dans le sillage d’une catastrophe écologique majeure aux Etats-Unis et une réticence croissante à l’égard d‘une dépendance au Moyen Orient, plutôt que de mettre l’accent sur une vulnérabilité inhérente et universelle à l’égard du pétrole et la nécessité de solidarité qui conduirait à des réglementations effectives dans le monde entier, Deepwater Horizon pourrait bien accentuer la pression sur les forages pétroliers dans des pays africains peu soucieux de protéger leur propre population ou même d’opérer dans son meilleur intérêt. Alors que les Etats Unis ont réussi à obtenir une rapide compensation pour une marée noire considérable, le mouvement de protestation contre les forages nationaux est en contradiction avec la consommation élevée d’énergie fossile. Ce pétrole devra bien venir de quelque part. Entre les Etats Unis, les multinationales et les compagnies étatiques africaines ayant des desseins sur les riches réserves du continent, le manque de protection des citoyens africains ordinaires pourraient bien donner lieu à des exemples similaires à ceux du delta du Niger où sévit l’injustice chronique.
NOTES
[1] Dan Brennan, ‘BP spill threatens vulnerable ecosystems with destruction’, 7 May 2010, World Socialist Web Site, http://english.aljazeera.net/news/americas/2010/05/201053163554107561.html
[3] Jon Gambrell, ‘Shell spilled nearly 14,000 tons of oil in Nigeria’, 6 May 2010, The Guardian,
[7] Suzanne Goldenberg and Ed Pilkington, ‘Deepwater Horizon oil spill sparks calls for $10bn levy on BP and drilling ban’, 5 May 2010, The Guardian,
[9] Goldenberg, ‘Deepwater Horizon oil spill’.
[10] Gambrell, ‘Shell spilled’.
[11] Ba Karang, 'AFRICOM and the US's hidden battle for Africa', 6 May 2010, Pambazuka News, ou commentez en ligne sur
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