Version imprimableEnvoyer par courrielversion PDF

La maîtrise des sciences et techniques s’impose comme une dimension fondamentale dans l’évolution des peuples et des société. Pour Abdoulaye Niang, c’est à partir de là que l’Occident a bâti son emprise sur le monde et promu ses valeurs de civilisation. C’est à ce niveau aussi qu’il situe l’espérance, pour l’Afrique, d’une ambition, d’un projet et d’un combat à gagner en vue de sa renaissance. Mais pour cela, note Abdoulaye Niang, le continent doit surmonter «sa propre frilosité qui la paralyse, son manque de confiance en ses propres capacités qui inhibe sa volonté, émousse sa combativité, etc.

La renaissance européenne constitue un moment déterminant de l’histoire de l’Europe, car marquant le passage irréversible d’un moyen âge dominé par l’obscurantisme, l’immobilisme, l’absence de recherche scientifique et de progrès, vers un autre monde plus fondé sur la raison, l’instrumentation et la mathématisation qui permettent de mesurer le monde, de le connaître objectivement et de construire sur cette base le progrès.

Mais ce passage n’a été possible que grâce à l’existence d’un contexte sociopolitique particulier qui a favorisé l’émergence dans le milieu des intellectuels, de nouveaux hommes dont le rapport à la matière s’inscrivait dans un registre nouveau, en rupture totale avec les paradigmes et les pratiques d’alors, car accordant la primauté à la raison et à la réflexion scientifique, à l’instrumentation et à mathématisation à des fins de précision dans la connaissance du monde, au raffinement et au bel art, à l’action transformatrice et constructive, à la puissance et au prestige qui en dégage pour leur peuple.

Une révolution mentale et culturelle sans précédent, quant à l’impact qu’elle allait avoir sur l’humanité et sa marche vers le progrès, venait de se réaliser. C’est au cours de cette période qui a vu se déclencher à l’échelle de l’Europe un vaste mouvement de libération intellectuelle et esthétique, ainsi que des initiatives entrepreneuriales de grande envergure, que des innovations techniques et technologiques favorables au progrès de la société ont commencé à se développer dans différents domaines : architecture, filature, minoterie, transport automobile, mécanique complexe, optique, artillerie pyrotechnique, balistique.

D’autres hommes de science s’investiront dans d’autres domaines comme la chimie, la médecine, l’astrologie, les mathématiques, la terminologie, la méthode, etc., où ils vont révolutionner les connaissances, les approches ou encore les techniques qui y sont utilisées. C’est bien durant cette époque de grande effervescence intellectuelle, scientifique, etc. que des hommes comme Léonard de Vinci (architecte, ingénieur, fondateur de l’anatomie humaine, etc.), Nicolas Copernic (fondateur de l’astronomie moderne), Galilée (inventeur du télescope, découvreur de la voie lactée, etc.), Denis Papin (inventeur de la machine à vapeur), ou encore Rabelais, Ronsard, etc., ont fondé leur réputation d’homme de science ou d’hommes de lettres.

Mais cette révolution intellectuelle s’accompagnera aussi un peu partout, en Occident, d’une multiplication des ouvrages scientifiques portant sur des domaines de plus en plus diversifiés et ouverts à la concurrence et à la compétition des idées des hommes de science, donnant ainsi lieu à une véritable libération de l’écriture scientifique, tant l’envie de découvrir et de partager avec d’autres ses découvertes est grande. Petit à petit, les bases d’un nouveau patrimoine scientifique, technologique, etc., mondial se constituaient, pour permettre de fonder plus tard deux autres grandes révolutions qui auront des effets décisifs sur la suprématie occidentale : il s’agit de la révolution militaire (capacité de répandre la guerre) et de la révolution industrielle (développement de l’infrastructure économique, accompagnée d’une rationalisation de l’organisation et de la discipline).

C’est cet élan général de progrès qui, à partir du milieu du 18e siècle, permettra aussi à l’Occident de produire les plus grands savants du monde : Louis pasteur, découvreur de l’antisepsie et du principe des vaccins, Pierre et Marie Curie découvreur de la radio activité, Albert Einstein découvreur du principe de la relativité, etc., dont l’apport au patrimoine scientifique et au bien être de l’humanité est colossal.

La renaissance, c’est donc aussi incontestablement la pose des bases de ce mariage fécond entre la pensée et l’action qui recherche le progrès, sous l’éclairage de la raison et de la science. Avec la renaissance, la parole, la pensée n’ont de valeur que quand elles s’incarnent dans des actions concrètes productrices de résultats tangibles et susceptibles d’avoir une grande utilité réelle et ou symbolique pour le progrès. Et c’est grâce à ce lien systématiquement recherché entre la pensée, d’un coté, et les résultats de l’action que celle-ci peut engendrer de l’autre, lien qui se donnera à voir surtout dans l’effort de conceptualisation, d’organisation rationnelle pour atteindre le maximum d’efficacité dans cette relation, et donc dans l’action, que l’Europe a pu construire progressivement sa puissance militaire, fonder sa révolution industrielle et s’imposer au reste du monde qu’elle domine.

En effet, entre le XVe et le XXe siècle, l’Europe avait conquis et soumis grâce à sa nouvelle puissance acquise par sa science, sa technologie, son organisation, son industrie, etc., l’Amérique, l’Asie, l’Afrique, le Moyen Orient. Et au début du XXe siècle, prés de 90% de la surface du globe était sous l’influence directe ou indirecte de l’Occident, lequel était devenu le maître incontesté du monde. Maître du monde non pas par ses idées, ses valeurs ou sa religion comme on peut être tenté de le penser, mais maître du monde tout simplement par sa supériorité scientifique et technologique, convertie en supériorité militaire, économique et organisationnelle.

Retard de l’Afrique et impératif de sa renaissance

En Afrique, après des mouvements sociaux de remises en cause de l’hégémonie occidentale conduits par les peuples alors soumis pour retrouver leur indépendance, c‘est aujourd’hui le tour des fils et petits fils de ces peuples de poser les bases définitives, sur les plans scientifique, technique, technologique, organisationnel, économique, social, éthique, etc. , qui permettront de hisser leur pays au rang des pays développés ou à tout le moins émergents, et dans les délais les plus courts. Cet impératif interpelle tout le monde, dirigeants comme simples citoyens qui, chacun au niveau où il se trouve, doit jouer pleinement et de la manière la plus responsable, la plus positive et efficace possible son rôle dans la fondation de ces bases premières sans lesquelles, comme le dit A .Wade, l’Afrique restera encore comme « aujourd’hui la dernière dans le peloton des continents » (1), nonobstant l’abondance de ses ressources naturelles.

Mais cette arriération du continent africain, qui en fait prend ses origines depuis le VIe siècle avant J C, quand l’Egypte qui jusque là dominait le monde perdit la face devant les Perses, et tomba ensuite sous la domination romaine, parce que considérablement affaiblie par ses guerres intestines, n’avait jamais plus cessé de progresser : la traite négrière, le colonialisme, le sous développement ne sont que les conséquences patentes de cette régression, à laquelle il importe aujourd’hui de mettre fin, ainsi que ce que Cheikh Anta Diop appelle l’ « imagerie du Noir dans la littérature occidentale » (2) , et évidemment aussi toutes les autres niaiseries sur l’homme noir , que cette situation de régression autorise chez les Occidentaux. Chaque peuple gagne son respect auprès des autres peuples du monde par ses propres œuvres qui résultent de ses ambitions, de son ingéniosité, de son génie, etc.

Les œuvres de Cheikh Anta Diop, qui décrivent et analysent dans une intelligence féconde la grandeur et la décadence de l’Egypte ancienne, indiquent deux directions de pensée et d’action qui sont d’une importance capitale pour la construction d’une Afrique émergente, développée : elles permettent d’asseoir la conviction chez les Africains qu’ils ont eu une identité historique prestigieuse, ce qui peut être une source réelle de motivation, pour eux, d’aller de l’avant, dans un monde où les peuples continuent à être classés selon la grandeur supposée des actes qu’ils posent dans l’histoire ; elles indiquent également, vu le grand intérêt accordé par Cheikh Anta Diop à la science à la laquelle, d’ailleurs, il a consacré toute sa vie, et le rôle primordial que la stabilité politique et le développement de la science ont joué dans la grandeur et le rayonnement de l’Egypte ancienne, quand celle-ci était une puissance mondiale respectée, que la course de l’Afrique vers son développement, vers le progrès auquel ses peuples aspirent tant, doit être essentiellement aujourd’hui une course de l’Afrique vers une démocratie consensuelle, source de stabilité politique, et vers la science, et subséquemment la maitrise technique et technologique.

Car, aujourd’hui, le seul point commun irréfutable entre tous les pays dits développés et/ou émergeants du monde demeure, sans conteste, non pas la ressemblance de leurs régimes politiques qui peuvent être fort différents, mais plutôt leur stabilité politique, un entreprenariat étatique ou privé performant et leur haut degré de maîtrise de la science et de la technologie dans divers domaines, dont ils tirent des applications pratiques judicieuses pour construire dans la paix sociale, le progrès social, économique, etc.

Cette capacité de maîtrise scientifique, technologique, politique, etc., que l’Afrique actuelle doit acquérir afin d’être en mesure de conduire son devenir vers le progrès, l’Afrique doit aller la chercher partout où il en est besoin, car comme le suggère Cheikh Anta Diop, si : «Aucune pensée, aucune idéologie n’est par essence étrangère à l’Afrique, qui fut la terre de leur enfantement… C’est donc en toute liberté que les africains doivent puiser dans l’héritage intellectuel commun de l’humanité, en ne se laissant guider que par les notions d’utilité, d’efficience » (3) .

Ces propos qui sont de Cheikh Anta Diop suggèrent que la quête par les Africains du progrès et du développement de l’Afrique doit aussi passer par la quête des Africains de la maîtrise de la science, de la technologie et de tous les connaissances et savoirs d’où qu’ils viennent, pourvu qu’ils puissent aider à accélérer le processus de développement de l’Afrique. L‘Europe doit sa suprématie actuelle à son ouverture au reste du monde entre le XIe et le XIVe siècle où sa culture a commencé à se développer véritablement grâce aux emprunts faits à la culture musulmane et byzantine et à leur adaptation intelligente au contexte et aux besoins occidentaux.

L’éveil de l’Afrique à la science, à la technologie et à tout autre système de savoir ou de connaissance susceptible d’être pour elle un atout pour la construction de son progrès, et son engagement à en faire méthodiquement, systématiquement et avec responsabilité les principaux outils du développement au quel aspirent tant ses peuples, constituent ensemble une des conditions fondamentales de la révolution culturelle africaine, de la renaissance africaine. Renaissance dont l’esprit a été bien campé par J. Ki- Zerbo, en ces termes : « Nous devons, nous-mêmes, essayer d’inventer nos modèles, nos concepts et nos stratégies d’attaque… Il nous faut faire confiance en nous face aux confiscations qui nous menacent et risquent de compromettre nos efforts » (4). La bataille de l’Afrique pour la renaissance africaine doit donc être aussi, par delà la bataille que l’Afrique doit livrer pour conquérir la maîtrise de toutes les connaissances et de tous les savoirs, la bataille de l’Afrique contre sa propre frilosité qui la paralyse, son manque de confiance en ses propres capacités qui inhibe sa volonté, émousse sa combativité, etc. La renaissance africaine doit donc aussi être capable de créer cette ambiance mentale faite de fierté, de confiance en soi et d’esprit d’audace, sans laquelle la raison et l’ambition se heurteront très vite, quand elles veulent s’exprimer, à des limites subjectives, qui les enchaîneront et qui seront les premiers obstacles de la liberté de pensée, de l’innovation, de toute prise d’initiative.

Ces limites qui sont liées le plus souvent à une profonde intériorisation par l’africain de son infériorité supposée, généralement inculquée, ont été les plus marquantes à l’époque coloniale, où les propos qui suivent étaient couramment tenus dans les cercles coloniaux et inspiraient toute l’idéologie coloniale ambiante : «Les Nègres sont des primitifs… L’africain n’a pas de langue mais tout au plus des idiomes ou des dialectes ; pas d’histoire mais à la rigueur des chronologies ; pas d’art mais seulement un folklore… Il n’est pas capable de science ou de philosophie, son seul savoir étant magique ou empirique ; ni de morale puisqu’il obéit, singulièrement à celle du sexe.» (5)

Cette conscience inculquée de son infériorité, renforcée par les symboles de la puissance occidentale qui s’imposaient à lui à tout moment, avaient fini à amener l’Africain, fasciné par tous les symboles de puissance de l’Occident, à renoncer même à pouvoir égaler l’homme occidental dans ses œuvres. Et Franz Fanon, qui a bien compris ce mécanisme d’infériorisation, de dire : « Aux colonies l’infrastructure économique est également superstructure. La cause est conséquence… » (6) : les œuvres du colonisateur et toute la puissance qu’elles symbolisaient, fonctionnaient comme une idéologie de domination qui faisait douter l’Africain sur ses propres capacités.

C’est alors vraisemblablement que commença, chez les Africains, à quelques exceptions près, le début d’un mimétisme ou d’un suivisme infantilisants et dégradants dans le domaine de la production de la pensée et de l’action. Ce qui est un recul fort regrettable pour l’Afrique, si l’on sait, comme l’a souligné avec force Cheikh Anta Diop : « La plupart des idées que nous baptisons étrangères (aujourd’hui) ne sont souvent que les images brouillées, renversées, modifiées, perfectionnées des créations de nos ancêtres» (7) .

Si l’Afrique des antiquités a donc occupé pendant des milliers d’années, à une époque donnée, le leadership de la créativité intellectuelle, scientifique et technologique mondiale dans tous les domaines, alors l’esprit de la renaissance africaine nous invite à renouer, pas à pas, mais avec la conviction ferme que nous pouvons y arriver, avec cette tradition séculaire de créativité perdue qui caractérisait la civilisation égypto-nubienne africaine ; civilisation qui avait étendu son influence sur toute l’Afrique et qui aura, comme le dit encore Cheikh Anta Diop : « joué le même rôle vis-à-vis de la culture africaine (entière) que l’Antiquité gréco-latine à l’égard de la civilisation occidentale»(8) , dont, il faut le dire, les bases les plus sûres de son progrès ne seront posées qu’à partir de la renaissance européenne, qui fut à la fois un retour fécondant vers un passé gréco-latin plein d’enseignements et une ouverture fructueuse aux apports d’autres peuples ; retour et apports des autres qui auront permis de créer les conditions d’un nouveau départ vers le progrès, après des siècles d’obscurantisme moyenâgeux.
L’Afrique doit effectivement renaître, mais en renaissant l’Afrique doit impérativement se dépasser, en tirant du passé des leçons judicieuses et en se projetant dans un avenir de plus de lumière, qu’elle devra construire en s’ouvrant avec intelligence aux apports des autres civilisations, et surtout en élaborant sur la base de cette ouverture un projet cohérent de progrès pour elle-même à réaliser ; ce qui implique forcement qu’elle ait pu acquérir en amont, comme le dit encore Cheikh Anta Diop, « une nouvelle conscience de ses valeur et … définir sa mission culturelle (nouvelle)… d’une façon objective » (9) .

Il n’y a de renaissance véritablement pour l’Afrique que dans l’existence d’un élan collectif durable résolument orienté vers la quête du progrès et fortement motivé par la conscience des peuples de devoir renforcer leurs forces et conquérir une place nouvelle sur la scène mondiale, et coûte que coûte. L’esprit de la renaissance, c’est donc aussi incontestablement un esprit de combat et un volontarisme affichés, en cohérence avec une vision, un projet, déjà définis qui portent et apportent un grand changement sociétal.

Changement qui ne pourra s’opérer effectivement que si les peuples africains savent, comme le pense Abdoulaye Wade, à juste titre, « regarder en face ces phénomènes (les défis du sous développement) …leur faire front… (et) engager (leurs) potentialités spirituelles dans la bataille pour le redressement et le développement» (10) .

La renaissance africaine, c’est donc aussi incontestablement un nouvel état d’esprit africain, un nouveau rapport mental des Africains aux causes réelles du sous développement, au devenir de l’Afrique, qui exclut toute attitude tissée dans le fatalisme, le pessimisme, le manque de confiance en soi. Et c’est ici où la problématique de la renaissance africaine touche la problématique de la citoyenneté même en Afrique, et, par delà, de la culture (qui constitue une dimension importante de la citoyenneté) en tant que système de valeurs, de normes, de conduites, d’actions orientées, etc., susceptibles de favoriser ou non le changement, le progrès.

Esprit et culture de la renaissance africaine

La formation d’une culture de la renaissance africaine, capable de porter et de vivifier l’esprit de la renaissance, et de faire traduire celui-ci en des comportements conséquents de tous les jours, chez tout citoyen africain, devient une nécessité absolue, à l’échelle de toute l’Afrique. Et c’est ici où la formation d’une culture de la renaissance africaine rencontre la politique, et doit se traduire dans une politique culturelle de la renaissance, qui transparaîtrait dans toutes les politiques gouvernementales sectorielles de tout pays africain, car si, pour paraphraser Léopold S. Senghor, la « culture est au début et la fin de tout », elle doit alors en conséquence être omniprésente dans ce qui constitue l’essentialité de son esprit dans tous les domaines de la vie, aussi longtemps que les peuples y adhèrent, et sous réserve qu’elle soit au service du progrès : culture de la confiance en soi qui favorise l’engagement et la détermination ; culture de la discipline et du travail qui constitue la base première de tout progrès durable ; culture de la transparence et de la bonne gouvernance, sans laquelle l’Afrique perd sa crédibilité sur la scène internationale et fera peiner pendant longtemps ses peuples avant d’arriver au développement ; culture de la croyance en la science et de l’esprit scientifique, sans laquelle l’Afrique ne comblera jamais le gap scientifique et technologique qui la sépare de l’Occident et des pays émergents (lesquels sont dans le peloton de tête des pays les plus respectés) ; culture de la créativité et de l’entrepreneuriat qui est susceptible de libérer les imaginations innovatrices et créatrices, de mobiliser les initiatives constructives et d’accélérer la course de l’Afrique vers le progrès, etc.

Toutes ces dimensions de la culture de la renaissance africaine doivent être reprises et reformulées dans des orientations stratégiques, dans le programme d’action politique de l’Union africaine, afin qu’elles deviennent des orientations d’espérance et d’aspiration des peuples africains. Mais cette culture de la renaissance, qui est la culture du progrès, du travail, de la discipline, de l’espérance, etc., qui la crée ? Les peuples peuvent contribuer à sa création, tout comme leurs dirigeants, car toute culture est de sources diverses dans la formation de ses éléments constitutifs. En particulier, si les peuples peuvent être en avance sur leurs dirigeants, surtout du point de vue de la réclamation et de la conquête de droits humains fondamentaux, de l’exigence de la transparence et de la bonne gouvernance dans la gestion des affaires de l’Etat, ou encore de l’inventivité de solutions pratiques par rapport à des problèmes récurrents liés à leur vie, etc., par contre, c’est le plus souvent les dirigeants qui se révèlent être, par leurs pensées anticipatrices et prospectives, leurs visions futuristes et mobilisatrices, leurs grandes ambitions pour leur peuple, leurs réalisations qui peuvent défier le temps, etc., en avance sur leur peuple pour toutes les grandes œuvres d’intérêt historique et ou universel.

Les peuples sont plus souvent dans le présent que dans l’avenir, tandis que les dirigeants sont par contre plus souvent dans le futur que dans le présent. Ce hiatus qui peut être source de tensions, voire de conflits entre les peuples et leurs dirigeants, peut être levé dans l’intérêt du progrès des peuples et du développement de leur pays, si les peuples et leurs dirigeants partagent la même logique idéologique quant à leur vision sur l’histoire et sont en situation de synergie d’actions de façon durale, ou encore quand il y a une confusion en un moment donné entre la demande sur le présent incarnée par les peuples et celle sur le futur incarné par les dirigeants, ce qui permet de combiner dans une même réalisation utilité et grandeur, ou quand tout simplement les dirigeants ont su, fort des pouvoirs légaux dont ils disposent dans l’appareil d’Etat, ce qui donne à leurs actions une certaine légitimité institutionnelle, faire arrêter des décisions ambitieuses sur l’histoire.

Quel que soit le schéma retenu, ce que « l’imaginaire de l’histoire » retiendra et magnifiera toujours véritablement à travers les œuvres réalisées, c’est la grandeur et la brillance culturelle ou civilisationnelle du peuple témoin de leurs réalisations, et sans les sacrifices, l’ingéniosité et le courage desquels rien d’aussi grand n’aurait pu être possible. La tour Eiffel de Paris, les pyramides d’Egypte, les Grandes Murailles de Chine, la statue de la Liberté de New York, ou encore le Tunnel sous la Manche, le Canal de Suez, etc., qui font la fierté des peuples de maintenant des pays concernés et émerveillent une multitude de peuples du monde ne font-ils pas oublier par leur poids culturel, social, économique, etc., actuel, et toute la symbolique nouvelle qui en résulte, tous les polémiques, controverses soulevés, ou préjudices causés supposément au moment de leur construction ?

Les grandes œuvres parlent et entretiennent toujours un dialogue symbolique avec les peuples témoins de leur construction, ainsi qu’avec les peuples à venir. Ce dialogue, qui est évolutif, peut changer de teneur ; mais mieux encore, les œuvres, grâce à la valeur symbolique dont elles sont chargées, peuvent être « culturellement actives » et influencer de façon durable le psychisme et la conscience des peuples dans des directions parfois inattendues.

Ainsi, il faut le dire, même si c’est la culture (combinée à d’autres facteurs) qui produit le ou les profils d’hommes dominants d’un peuple, en retour celui-ci peut, par l’entremise de certains de ses représentants, être créateur de valeurs, symboles, etc., nouveaux (incarnées dans des œuvres nouvelles) qui peuvent être à la source d’une culture émergente, nouvelle, et en conséquence d’un type d’homme nouveau, dont ils vont inspirer l’action, guider la conduite. La culture crée l’homme certes, mais c’est l’homme producteur de valeurs et de symboles nouveaux qui fait évoluer la culture, pour la rendre apte à porter un nouveau type d’homme. (…)

Quand un peuple se refuse de voir et de comprendre les symboles de son espérance et de se laisser aspirer et inspirer par ceux-ci, pour être en mesure de penser et de construire ce à quoi renvoie cette espérance, alors ce peuple ne peut prétendre être un peuple de l’avenir ; il est exclu du cercle des peuples qui comptent, ou qui peuvent compter, parce que justement tout simplement ils savent se projeter dans l’avenir et se réaliser dans leur projection, quoi que cela puisse leur en coûter, car ils font vraiment corps avec leur espérance, leur rêve. Et ce rêve africain, qui doit intégrer toutes les cultures nationales, doit transcender toute considération de politique partisane: le rêve d’une Afrique de la renaissance africaine doit être pour l’africain, en force de croyance, ce qu’est le rêve américain pour l’américain.

Conclusion

L’Afrique à coup sûr peut valablement aspirer à gagner la bataille de la renaissance africaine, si véritablement elle s’évertue à réaliser quelques conditions, dont six sont d’une importance capitale:

- l’Afrique doit avoir une forte croyance en la science et en la technologie et créer les conditions, non seulement d’une véritable libération de l’activité cognitive et inventive dans ces domaines en Afrique même, mais aussi d’une utilisation optimale des services de la diaspora africaine scientifique. Non seulement l’analphabétisme doit y être vaincu, notamment par l’enseignement des langues autochtones, mais aussi l’enseignement supérieur, la recherche scientifique et une politique attractive pour la diaspora scientifique doivent occuper, dans les politiques d’éducation et de développement, une place centrale : les universités et les écoles d’ingénieurs doivent y être multipliées, et la diaspora scientifique doit être davantage sollicitée et mise à contribution.

- L’Afrique doit arriver à un haut niveau de maîtrise scientifique et technologie. Mais pour y arriver, elle doit consentir à faire des sacrifices importantes, ce qui implique forcement non pas seulement l’existence d’une volonté politique forte en ce sens, mais aussi la possibilité de mobilisation réelle de gros moyens financiers. En effet, dit Rigas Arvantis, «la science est un bien public et celui qui veut s’en approprier les résultats doit s’engager dans des investissements couteux » (11) . Mais des solutions de raccourci pour résorber le déficit scientifique et technologique énorme de l’Afrique pourrait exister dans ces deux solutions préconisées par A. Wade : « une continentalisation de la recherche… » et la création d’«école(s) continentale(s) pour la formation d’ingénieurs de niveau international » (12) .
Cette piste mérite d’être explorée à fond par les Etats, en attendant qu’ils disposent de moyens suffisants pour faire cavalier seuls dans tous les différents domaines concernés par cette mutualisation. L’Afrique de la renaissance africaine doit aussi être l’Afrique qui cultive l’esprit de partenariat interétatique dans le domaine de la recherche de solution pour l’acquisition d’un haut niveau de maitrise scientifique et technologique ; elle doit aussi être l’Afrique qui cultive le mérite scientifique, l’innovation technique et technologique , la recherche- développement;
- L’Afrique doit voir une préférence africaine affirmée dans le choix des experts de haut niveau, ainsi que des grandes entreprises, à qui devraient être chargés (exclusivement ou en association avec des homologues étrangers) les grands chantiers infrastructurels, économiques, etc., de la construction africaine. Car c’est par ce biais que ces experts et chefs d’entreprise africains pourront non seulement avoir le sentiment de contribuer à l’essor de l’Afrique, mais aussi l’occasion d’affermir leurs capacités, de développer leurs expériences africaines, ce qui ne peut qu’être très favorable à l’intégration africaine.

Mais l’Afrique doit également créer sur son sol les conditions qui la rendent attractives pour les investisseurs étrangers, car l’essor économique de l’Afrique, qui est un continent encore économiquement très faible, aura besoin pour se faire du concours des investisseurs étrangers. Ainsi, l’Afrique de la renaissance africaine doit-elle aussi être l’Afrique des grands chantiers d’Etat, impliquant des grands ingénieurs, architectes africains, ainsi qu’une Afrique attractive pour les investisseurs étrangers etc. ;

- L’Afrique doit, en toute autonomie, et en connaissance de cause de ses intérêts propres, s’inventer un avenir, à travers une vision éclairée et ambitieuse de son devenir. Etant le carrefour de plusieurs influences civilisationnelles différentes (africaine, arabo-berbère, occidentale, sino-asiatique) et le continent qui regorge le plus de ressources naturelles rares, l’Afrique doit avoir un projet pour elle-même susceptible de prendre en compte et d’intégrer les apports civilisationnels différentes, ainsi que de tirer profit de toutes les opportunités que sa situation de grenier mondial des ressources naturelles rares permet. Mais il reste évident que pour y arriver, l’Afrique doit prendre conscience d’elle-même, demeurer ambitieuse pour elle-même, et s’armer en conséquence pour devenir le seul maitre de son changement, etc. ; changement qu’elle doit opérer, dans un esprit volontariste, mais avec intelligence et en tenant toujours en considération l’intérêt des peuples.

- L’Afrique de la renaissance africaine doit aussi être l’Afrique qui sait ce qu’elle veut, qui est ambitieuse dans ce qu’elle veut, et qui est véritablement maitresse de son destin ;
-
- L’Afrique doit connaître la stabilité politique, vaincre la pauvreté et instaurer avec intelligence la meilleure forme de démocratie qui soit la plus en adéquation possible avec d’une part ses exigences d’un développement endogène rapide et durable et d’autres part ses particularités socioculturelles. Joseph Ki Zerbo qui invite à aller dans le même sens, exhorte les Africains en ces termes : « Il n’est pas trop tard pour inventer un modèle de gestion politique qui serait un hybride à haut rendement social. Au lieu de la société double et pleine de duplicité actuelle où l’huile de la « modernisation » flotte sur l’eau de « la tradition » sans intégration réelle sinon marginale, il importe de rassembler les éléments d’un projet de société pour l’Afrique dans le cadre d’un développement planétaire revu et corrigé » (13) .

Il s’agit là, sans conteste, d’un appel au génie et à l’inventivité politique africain, lesquels doivent s’exprimer en prenant en considération la double exigence de la préservation de la paix et de l’unité, mais dans la démocratie ; du progrès et du développement rapide de l’Afrique, mais dans la durabilité. En fait, si l’Afrique a été forcée, par l’histoire, de devenir une grande consommatrice de civilisations étrangères, elle doit aujourd’hui s’efforcer, après les avoir assimilées et bien intégrées, d’en tirer profit au maximum, en augmentant notamment ses potentialités et capacités inventives dans tous les domaines, y compris celui de la politique, afin de trouver les formules démocratiques les plus en adéquation avec cet impératif de développement qu’elle veut construire rapidement, et sous les contraintes existantes .

L’Afrique de la renaissance africaine doit aussi être l’Afrique qui rejette le mimétisme béat des modèles politiques occidentaux et qui doit toujours rechercher la meilleure formule politique pour accéder rapidement au développement, dans la paix et la démocratie.

- La renaissance africaine, qui est un instrument d’accélération du processus du développement de l’Afrique, doit aussi être une véritable révolution dans l’éthique de la gouvernance à tous les niveaux, car ce n’est qu’ainsi qu’elle peut être en cohérence avec l’esprit qui la gouverne : comment l’Afrique peut-elle atteindre rapidement le progrès et vaincre la pauvreté, si l’Afrique gouverne mal ses affaires ? Comment l’Afrique peut-elle avoir une crédibilité honorable sur la scène internationale et être attractive pour les investisseurs, si l’Afrique devient le continent le plus indexé à cause de sa mal gouvernance ? L’Afrique de la renaissance africaine doit aussi être l’Afrique qui cultive toutes les bonnes vertus en matière de gouvernance, et à tous les niveaux ; mais aussi, cette Afrique doit être l’Afrique d’un haut civisme citoyen.

- L’esprit de la renaissance, et de la renaissance africaine en particulier, doit faire l’objet d’une définition plus approfondie. En particulier, des critères mobilisateurs, mais exempts de tout caractère partisan, puisque scientifiquement étayés et ne servant que l’intérêt de l’Afrique doivent être mis en exergue et en cohérence, et consignés dans une charte, la Charte de la Renaissance Africaine. Cette charte définie sous l’égide de l’Union Africaine et diffusé à l’échelle de tous les peuples doit faire l’objet d’un partage et d’une adhésion intrinsèque de ces peuples, ce qui implique que ces derniers y soient sensibilisés avec intelligence conformément à une politique culturelle conséquente déjà définie en rapport avec cette charte.

* Professeur Abdoulaye Niang est professeur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis - Email : [email][email protected]

* Veuillez envoyer vos commentaires à [email protected] ou commentez en ligne sur