Nyerere, d’après Issa G. Shivji « voyait la Tanzanie essentiellement comme une nation de communautés villageoises susceptibles de le rester dans un avenir prévisible». Mais bien que dans son esprit il y ait eu « les graines de la conception du village comme lieu de gouvernance, il n’y aucune preuve qu’il ait défendu une programme politique consistant pour développer la gouvernance villageoise». Shivji tente donc de faire progresser d’un pas les pensées limitées de Mwalimu sur ce sujet, en plaçant la restructuration des villages au centre d’une scène axée sur l’autorité de la loi et la séparation des pouvoirs et non déterminée par les décisions de l’administration du sommet vers le bas. Ceci permettrait dans les villages un développement populaire par l’accumulation à partir de la base.
Le village était cher au cœur de Mwalimu, mais pas dans un sens romantique, comme ses admirateurs occidentaux aimeraient le représenter. « Small is beautiful» ou « la tradition est sacro-sainte» ne faisait pas partie de la pratique politique de Mwalimu, bien que l’on puisse trouver des passages isolés dans ses écrits qui n’en étaient pas loin. Je considère que l’attitude de Mwalimu, en ce qui concerne les villages, était en fait très pragmatique. Il voyait la Tanzanie comme étant essentiellement une nation de communautés villageoises susceptibles de le rester dans un avenir prévisible. Souvent, il a rationalisé et justifié la villagisation comme un moyen d’accélérer le développement et l’octroi de soins de santé, d’éducation, d’eau et d’autres services sociaux. Mais comme c’est habituellement le cas, les résultats de l’histoire ne correspondent pas aux intentions des acteurs. En réalité, les programmes de villagisation, depuis l’indépendance, sont devenus des projets venant du centre, dictés par la hiérarchie et permettant une exploitation plus intensive et le siphonage du surplus généré par le secteur agraire.
Il y a trois grandes phases dans l’attitude et la pensée de Mwalimu, en ce qui concerne le village. La première est basée sur l’approche de transformation recommandée par la Banque Mondiale (Nyerere 1967,183). Ceci consistait à créer des fermiers modèles qui étaient ensuite installés dans des villages et qui recevraient une aide technologique et des gestionnaires. Comme nous le savons, ce programme a été un échec (Cliffe et Cunningham 1968). Les villages Ujamaa de la Déclaration d’Arusha, où la production devait être communautaire, ont été rapidement remplacés et ont fait place au «village du développement» et à la villagisation forcée du début des années 1970. Il n’y a pas de doute que, bien que reconnaissant quelques-uns des excès de la villagisation, Mwalimu la considérait comme l’un des succès importants de la Déclaration d’Arusha.
Dans la Déclaration d’Arusha, dix ans plus tard, il disait : « Dans mon rapport à la conférence de la TANU, j’ai pu dire qu’il y avait 2 028 164 de personnes qui vivaient dans des villages. Deux ans plus tard, en juin 1975, je rapportais à la conférence de la TANU qu’approximativement 9 100 000 personnes vivaient dans 7684 villages. Ceci est une réalisation extraordinaire. C’est la réalisation de la TANU, des dirigeants gouvernementaux et de la population tanzanienne. Cela signifie que quelques 70% de notre population a été déplacée de son foyer en environ trois ans. Tous ces gens ont maintenant de nouvelles opportunités pour s’organiser eux-mêmes en un gouvernement local et démocratique et de travailler avec les administrations régionales, centrales et de district, afin d’accélérer l’accès à l’éducation, aux soins de santé et autres services publics nécessaires pour une vie dans la dignité. Les résultats commencent à apparaître. La scolarisation primaire universelle à la fin de 1977, par exemple, aurait été hors de question si les gens n’avaient pas rejoint des communautés villageoises. De la façon dont les choses se présentent, nous avons maintenant une bonne chance de réaliser cet objectif. (Nyerere 1977 in Coulson 1979,65)
A beaucoup d’égard, les idées de Mwalimu, et en particulier sa pratique politique concernant les villages, étaient le complément de sa conceptualisation des villages comme site de développement ; ce que je discuterai plus tard. Il y a néanmoins des embryons de conception du village comme site de gouvernance (comme par exemple l’expression de « gouvernement démocratique local» dans les textes cités plus haut), mais ce sont là des références fugaces et il n’y a certainement aucune preuve qu’il a défendu avec constance des programmes politiques qui amènent une gouvernance de village. La tendance à la bienveillance envers les paysans qui s’écoule du sommet vers le bas était prononcée chez Mwalimu. Il n’y a pas de doute qu’il était sincère à ce sujet. Sa sincérité et son dévouement personnel pour l’amélioration de la vie au village sont certainement responsables de l’évolution favorable de l’accès aux soins de santé, à l’éducation, à l’eau, etc., dans ces localités, au cours de la période de la Déclaration d’Arusha.
Il y a un autre manquement intéressant dans les idées de Mwalimu concernant les villages. On note une absence de théorisation du développement des villages comme nouvelle piste du développement. Mais une constance intéressante dans les idées de Mwalimu demeure sur un sujet : il voyait non seulement la Tanzanie comme un pays de communautés villageoises, mais il les voulait aussi comme des communautés virtuellement indifférenciées. En d’autres termes, il voyait la Tanzanie rurale comme appartenant essentiellement à une paysannerie moyenne. Son hostilité à l’égard des paysans riches était explicite. La Déclaration d’Arusha, par exemple, décrivait les paysans riches comme étant des féodaux (Kabaila).
Nous savons que le soulèvement des paysans riches à Isamni et Basotu, Hanang a été écrasé. Dans le premier cas, Dr Klerru, qui a joué un rôle important dans la création des villages Ujamaa, avaitg été assassiné par un paysan riche ; dans l’autre cas ce ftu à cause de l’appropriation des terres par le National Agricultural and Food Corporation (NAFCO). Naturellement Mwalimu ne voyait pas la NAFCO comme un instrument du capitalisme, à la différence du riche paysan. En général Mwalimu ne faisait pas de différence entre le capitalisme national et les compradores d’une part et le capitalisme privé et le capitalisme d’Etat, d’autre part.
Il y a eu des changements intéressants dans les idées de Mwalimu à propos des villages, après qu’il a quitté le pouvoir. Malheureusement, elles n’ont pas été développées entièrement pas plus qu’elles n’ont été le sujet de beaucoup de discussions. Par conséquent, je ne peux citer qu’un seul discours et une anecdote personnelle pour illustrer ce changement et espérer que nos intellectuels revisiteront cette période de l’itinéraire intellectuelle de Mwalimu.
Autour des années 1990, Mwalimu, présidant la réunion de hauts fonctionnaires gouvernementaux et paraétatiques, a fait un discours de clôture « ex tempore ». Une partie de ce discours s’est attardé sur l’analyse de l’idéologie des Ujamaa comme idéologie légitimante. J’ai traité de ce thème ailleurs. (Shivji 1995) Dans le cas qui nous intéresse aujourd’hui, c’est l’autre partie qui est intéressante. Je cite le texte dans son Kiswahili d’origine sans traduction :
« Kwa Coca-cola kwa sababu Marekani wao wana nguvu sana kwa Coca-Cola.Marekani sasa anataka wote tuwe ni wanywa Coca-Cola.
« Ndugu Mengi mkipenda msipende mtatuuzia tu Coca-Cola basi Coca-Cola inauzwa tu. Sasa uchumi wetu basi ni uchumi tegemezi. Uchumi wa nchi zetu hizi zote una sifa hizo mbili. Hili tatizo letu kubwa la msingi. Uchumi wetu ni uchumi duni, lakini uduni peke yake si kitu sana lakini tatizo kubwa kabisa kabisa ni uchumi tegemezi.
« Kwa hiyo tunajivunia ule ugonjwa … tunajivunia ule ugonjwa wala hatuuonei haya … unaparedi silaha za wakubwa, unaparedi madege ya wakubwa, unaparedi bidhaa za wakubwa, unaparedi Macoca cola ya wakubwa na unajivunia tu unasema sisi tumeendelea. Ukimwambia umeendelea kwanini, anakuwambia njoo uone barabara yetu.
(…)
« Tunao uchumi tunaweza kuuita wa kisasa, na uchumi wa kisasa ni ule uchumi ulio chuma. Uchumi wa kisasa katika nchi hizi ni wa kigeni. Kwa hiyo ni Coca-Cola chombo cha kigeni ni mtambo unapokea tu pale
(…)
« Eh! Yuko mhindi mmoja Kiswahili chake kilikuwa kizuri sana kuliko cha Babu Patel. Aliniambia "Mwalimu e wewe sema nakwishakata mirija lakini bomba je kwisha kata? Sasa mabomba … sasa uchumi wetu ule wa kisasa ni wa mabomba mwanzo wake huko nje. » (Mzalendo, date inconnue)
Il me semble que là Mwalimu fait une différence graphique entre un capitaliste national et un comprador capitaliste (ou ce que je nommerai plus tard, pas tout à fait correctement
« l’accumulation depuis le bas et l’accumulation depuis le sommet»).
Et puis il y a une anecdote plus pertinente pour notre discussion. Lorsque nous avions terminé notre projet de rapport pour la Land Commission, le Commissioner a rendu visite à Mwalimu. C’était en 1991. J’ai d’abord expliqué à Mwalimu nos principales recommandations. Comme je l’expliquerai plus loin, nos recommandations de réforme pour l’occupation de la terre étaient basées sur le modèle de «l’accumulation depuis le bas ». Je ne sais pas si c’est comme cela que Mwalimu l’a compris. Mais je me souviens de sa réaction que je ne peux exactement reproduire en traduction. (Ce qui n’est pas exactement ses propos) :
« Oui président (faisant référence à Shivji), dis leur (au gouvernement). Dis leur... Je sais qu’ils n’écouteront pas… Mais dis-leur…. Je leur ai déjà dit. Maintenant vous voulez des ‘fermiers commerciaux ‘ et vous allez les chercher à Londres (à ce moment, le Premier Ministre d’alors était en réunion avec les investisseurs londoniens).Pourquoi ? Qui est un fermier commercial ? Pour moi, un fermier commercial est le bonhomme béni qui cultive sa terre avec une charrue tirée par des bœufs et qui produit de la nourriture pour sa famille et vend le surplus au marché. Nous avons de tels fermiers commerciaux… Cherchez-les. Ils sont là. Nul n’est besoin d’aller à Londres pour les trouver… »
J’ai trouvé cette observation très intéressante, aussi bien à la lumière des recommandations de la Land Commission que de la Déclaration d’Arusha qui reflète l’attitude de Mwalimu à l’égard des paysans riches. Comme dit précédemment, Mwalimu était hostile aux paysans riches alors que dans son propos il fait clairement référence à eux.
C’est l’aspect politique et de gouvernance dans le processus de villagisation qui était le moins développé dans les pensées de Mwalimu et sa pratique politique à laissé pour compte d’importantes institutions villageoises et je voudrais commenter cela.
Le village dans les réformes gouvernementales locales
Au cours de la période de la Déclaration d’Arusha, dans la conceptualisation dominante et l’élaboration des politiques, le village était considéré comme un site de développement et non un site de gouvernance. Par conséquent, les villageois étaient les récipiendaires du développement. Ce qui consiste, en termes bureaucratiques, à recevoir des directives, des résolutions et des ordres du sommet (maagizo na maazimio) et non des preneurs de décision, encore moins des unités de gouvernement autonome. Le développement était supposé être dirigé par des directeurs de développement - c’était ça leur nom-, des DDS (Directeur de développement du district) et des RDS (Directeur du développement régional). D’un point de vue politique, les villageois sont supposés se mobiliser pour le développement. Toute la structure de gouvernance allait du sommet vers la base, était donc autoritaire, bien que politiquement populiste. Le chant du Bongo Flava rap, « ndio mzee », saisit le cœur de ces structures de gouvernance peut-être plus précisément qu’un traité ne pourrait le faire.
Comme nous le savons, le programme de décentralisation du début des années 1970, planifié et réalisé à l’instigation d’une compagnie américaine Mac Kinsey (Coulson 1979,12) qui a aboli les gouvernements locaux, a été un échec retentissant. La décentralisation était en effet la décentralisation de la bureaucratie centrale à un échelon inférieur. Une des réalisations de la bureaucratie décentralisée a été la villagisation forcée des années 1970, avec l’Opération Vijiji. Un des fonctionnaires décentralisés a lié la décentralisation avec l’opération Vijiji. Expliquant pourquoi la démarche avait été entreprise en 1973, une année après la décentralisation, Juma Mwapachu disait :
« La réponse réside dans la décision de la TANU et du gouvernement, de juin 1972, de revoir les structures administratives du gouvernement. En particulier, l’administration régionale devait non seulement remplir sa fonction de garant de l’autorité de la loi et de receveur d’impôts, mais également étendre ses activités à la gestion du développement avec des gens de la base complètement impliqués dans la planification et la réalisation des projets de développement…
Par conséquent, une année après que le programme de décentralisation a été effectué, la TANU et le gouvernement ont vu le besoin de renforcer les institutions de développement participatif en créant des institutions participatives fermement établies : les villages planifiés. » (Mwapachu 1976,116)
En dehors de la rhétorique populiste, il y a des preuves substantielles que le programme était tout sauf participatif. Et pourtant, une structure institutionnelle potentiellement progressive a été créée à la fin de la période de villagisation. Le décret de 1975 sur les villages et les villages Ujamaa (enregistrement, désignation et administration) prévoyait la création de deux organes importants : l’Assemblée du village et un corps élu, le Conseil du village. Lorsque le gouvernement local a été réintroduit en 1982, ces deux organes ont été intégrés dans la structure du gouvernement local. Ainsi le village a établi une structure irréversible : la structure villageoise. Quelque quinze ans plus tard, la Land Commission a trouvé qu’en général, les villages établis par la villagisation étaient acceptés et sont devenus une partie des structures administratives. Ils étaient toutefois conçue par la bureaucratie de l’Eta, plus comme terminal de la machinerie gouvernemental centrale et locale que comme première base d’une gouvernance démocratique.
La conception et la rhétorique du Programme de réforme du gouvernement local (PRGL), financé par des donateurs et qui a été lancé en 1998, tourne autour de services sociaux efficaces. Bien qu’il déploie toute la rhétorique de la remise du pouvoir, de la transparence, de la responsabilité, etc., la structure institutionnelle et légale a peu à voir avec cela. En fait, le gouvernement local s’arrête au niveau du district. Aux yeux de la bureaucratie, le village n’est pas, une fois de plus, le lieu de la gouvernance. Si pendant la période de la Déclaration d’Arusha c’était le lieu du développement, sous le PRLG c’est devenu le lieu où l’on fournit des services sociaux. Et en lieu et place de mobilisation, nous avons la prise de conscience, apparemment non politique, qui augmente, ainsi que le renforcement des capacités des paysans «ignorants» par des partenaires, c'est-à-dire des ONG, et par les soi-disant praticiens du développement.
Avec le recul, je crois qu’il est possible de mieux identifier certains des résultats positifs et potentiellement progressifs du processus de villagisation de la période de la Déclaration d’Arusha.
Premièrement le contexte idéologique des villages Ujamaa était une vision de la construction d’une société basée sur l’égalité entre les humains et la dignité. Cette vision intégrait la Tanzanie dans un projet plus large, avec, d’une part, l’émancipation sociale et, d’autre part, consistait en une vision collective de contestation globale et locale du pouvoir et de la richesse. Ce projet est à l’opposé des ambitions actuelles qui consistent à faire partie du monde globalisé, sacrifiant au passage notre humanité, notre égalité et notre dignité.
Deuxièmement, le processus était fermement ancré dans le discours du développement. Peu importe la tournure économiste que le processus a occasionnellement pris, il ne pouvait être réduit à de l’empirisme. Il a créé un terrain qui a permis de mettre en question des tendances plus larges de la société et la direction de son mouvement. Aucun discours de ce niveau n’est possible, ni même tenté, dans le dialogue politique actuel, pour utiliser le jargon obtus des consultants modernes de la « réduction de la pauvreté». Quiconque a participé à un de ses «ateliers de bénéficiaires», sait la somme d’énergie intellectuelle et matérielle qui est sottement gaspillée à identifier, quantifier, tabuler, etc., les plus vulnérables et les pauvres parmi les pauvres dans le but d’en faire la cible des de programme de «soulagement de la pauvreté».
Troisièmement, la rhétorique de la mobilisation des masses nécessite un terrain politique et par conséquent, et inévitablement, signifie une contestation du pouvoir entre les droits acquis particuliers requérant le statut quo, d’une part et, d’autre part, les agents du changement. Le vocabulaire comprend des termes comme «bénéficiaires», «évaluation rurale rapide», «conscientisation», «renforcement des capacités», et tout ça prétend être un dialogue apolitique et de consultation, entre des «partenaires» égaux et les « bénéficiaires.
Quatrièmement, au plan institutionnel, l’Assemblée de Village et le Conseil élu du Village ont un grand potentiel comme siège de la gouvernance démocratique, permettant une contestation organique de l’intérieur des communautés villageoises. Ceci est, ironiquement, ce que les développementalistes et la rhétorique populistes de la période Ujamaa ont supprimé.
On se souviendra que la Land Commission a axé ses recommandations de réforme agraire sur ces organes et, en particulier, a recommandé que la gestion de la terre soit confiée à l’Assemblée villageoise. Je crois que la structure de gestion agraire tissée autour des organes villageois démontre un potentiel progressif et intéressant pour créer une vision entièrement nouvelle et un terrain de contestation économique et politique dans les circonstances actuelles. Dans la prochaine section, je vais dire en résumé comment la réforme de gouvernance dans les villages, comme partie du programme de réforme du gouvernement local, peut être structurée autour des villages.
La réforme de la gouvernance des villages
Dans une étude menée avec un collègue sur le thème de la démocratie villageoise, nous avons placé la restructuration de la gouvernance de village au centre de la scène. Nos arguments dérivent du changement conceptuel qui ne fait plus du village le lieu du développement et des services sociaux, mais un lieu de gouvernance.
Deuxièmement, nous avons argumenté que comme lieu de gouvernance, le village représente le premier niveau de la structure de gouvernance composée de trois tiers, les deux autres étant le niveau national et celui du district. C’est seulement à ces trois niveaux que l’on trouve les organes élus par le peuple, pourvus de pouvoir et de fonctions législatives et exécutives. Dans la conscience et la pratique des bureaucrates et même de la population, la région qui n’a qu’un siège administratif et non de gouvernance, à un plus grand poids et du pouvoir en relation avec le district. De même le Ward Committee, qui co-ordonne au niveau de l’administration, détient plus de pouvoir que le gouvernement du village qui est un corps élu.
Troisièmement, nous argumentons que la relation entre les différents tiers de gouvernance doit être ancrée dans la loi et non être le fait de l’administration. Par conséquent, les juridictions des Conseils de district et des Conseils de village devraient clairement figurer dans la loi.
Quatrièmement, la gouvernance de village doit se faire sous l’égide de la loi avec une séparation des pouvoirs. Ainsi, les vénérables principes constitutionnels seront appliqués au niveau du village avec l’Assemblée du Village comme organe législatif et le Conseil de Village comme organe exécutif.
Conclusion : La politique économique de la réforme de la gouvernance de village.
Quelle est la base de la politique économique de la gouvernance de village que nous préconisons ? En d’autres termes, quelle trajectoire de développement est envisagée dans cet article ? Je ne peux développer en détail le projet, mais je voudrais tenter de suggérer d’examiner et de réfléchir aux thèses suivantes :
Premièrement, la Tanzanie va rester, dans un avenir prévisible, un pays de petits paysans et de production pastorale. En d’autres termes c’est le secteur agraire et pastoral qui va continuer à fournir le surplus et constituer la source potentielle d’accumulation.
Deuxièmement, le chemin faisable et durable du développement du pays requiert une économie nationale intégrée qui produit largement pour le marché national. L’élément clé pour le développement de l’économie dans cette direction est le secteur agraire (qui comprend aussi le secteur pastoral), et à l’intérieur de cette proposition réside l’élément clé qui est la production de nourriture pour le marché national avec exportation du surplus.
En d’autres termes, ce qui nécessite d’être fait c’est de créer des conditions pour non seulement la production du surplus dans le secteur agraire, mais aussi l’accumulation dans ce secteur. C’est ce que j’appelle «l’accumulation d’en bas». Jusque-là, les politiques coloniales et post coloniales, y compris les politiques libérales actuelles, sont basées sur l’accumulation au sommet. Ce qui signifie que bien que le secteur agraire génère un surplus, celui-ci est siphonné par de nombreux mécanismes et agences, par l’une ou l’autre forme de capitalisme marchand (que ce soit l’Etat sous la Déclaration d’Arusha ou le privé comme sous la libéralisation).
C’est un fait que sous le système appelé « économie globale libéralisée et le nouveau système foncier, il y a une tendance pour une nouvelle forme d’accumulation primitive» qui rejoint le pillage des ressources naturelles, y compris les ressources génétiques, principalement par du capital étranger - l’Afrique du Sud dans notre cas. Cette tendance, à mon avis, est déjà en cours et cherche une expression politique stable. Un des principaux effets de l’accumulation au sommet, ou du capital marchand sur les communautés villageoises, est la suppression et la perversion de la différenciation interne.
Troisièmement, la gouvernance suggérée ici consiste à créer les conditions politiques propices à la différentiation interne et à tenir à distance le capital prédateur extérieur. Evidemment ceci implique des réformes complémentaires dans d’autres secteurs, y compris l’Etat lui-même. Il est proposé que l’élément clé soit la restructuration de l’Etat dans le village.
Une question intéressante surgit concernant le caractère social - des classes sociales- d’un tel Etat. L’espace ne nous permet pas d’entrer dans le détail à ce sujet. Il suffit de dire que ce qui est envisagé est une sorte d’Etat national démocratique basé sur les travailleurs.
Les idées de Mwalimu n’ont pas englobé les aspects de politique économique lorsqu’il mettait les villages au centre de sa réflexion. Je prends le risque de suggérer que la raison en est que Mwalimu - à la différence de Nkrumah par exemple - n’a pas totalement compris et évalué la politique économique de l’impérialisme. Et c’est bien connu, il n’a jamais accepté que la construction du socialisme fût un processus de lutte des classes. Par conséquent, il n’a pas accepté que l’Etat qu’il dirigeait comporte différentes classes sociales. Il croyait que l’Etat pouvait mener à bien des réformes à propos desquelles il était convaincu, à condition qu’il t ait de l’abnégation et de l’engagement de ses dirigeants.
* Issa G. Shivji est professeur à l’université de Dar es Salaam où il occupe la chaire de Mwalimu Nyerere pour les études panafricaines. Cet article constituera un chapitre dans le livre à paraître ‘Nyerere’s legacy’, textes rassemblés par Chambi Chachage et Annar Cassam et publié par Pambazuka Press Books
* Veuillez envoyer vos commentaires à [email protected] ou commentez en ligne sur www.pambazuka.org
REFERENCES
Coulson, A., 1982, Tanzania: A Political Economy, O.U.P.
Cliffe, L. & Cunningham, 191968, "Ideology, Organisation and the Settlement Experience in Tanzania' in Cliffe & Saul, eds. Socialism in Tanzania, 1972.
Nyerere, J. 1977, 'The Arusha Declaration Ten Years After,' reprinted in Coulson, ed., 1979, African Socialism in Practice: The Tanzanian Experience, Spokesman, pp.43-74.
Nyerere, J., 1967, Freedom and Unity, O.U.P.
Shivji, I. G. & C. M. Peter, 2000, The Village Democracy Initiative: A Review of the Legal and Institutional Framework of Governance at Sub-district Level in the Context of Local Government Reform, UNDP, November, 2000.
Shivji, I. G., 1995, "The Rule of Law and Ujamaa in the Ideological Formation of Tanzania', in Social and Legal Studies, 4, 2:147-74.
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