Le Kenya a accumulé de nombreuses affaires de crimes économiques qui sont restées non abordées pendant des décennies. Les premières tentatives pour le faire, menées par le gouvernement Kibaki, sous la direction de John Githongo, furent les plus sérieuses jusqu’à présent. Cependant, comme on le sait bien, elles se sont effondrées et Githongo est en exil jusqu’à ce jour. Le débat sur cette question continue d’être à l’ordre du jour et a toujours été un aspect important des campagnes électorales en cours. The Africa Centre for Open Governance (AfriCOG), une initiative de la société civile qui met l’accent sur la lutte contre la corruption et la gouvernance, a commissionné une enquête afin de trouver ce que les Kenyans pensent à propos de la haute corruption et ce qu’ils souhaitent qu’on fasse en la matière.
Les candidates à la présidence ont fait diverses déclarations sur la façon dont ils comptent aborder le crime économique du passé. Kalonzo Musyoka promeut la position consistant à « pardonner et oublier » sans condition. Raila Odinga a promis, à un certain moment, une action radicale et, à d’autres moments, il a offert la possibilité de pardon après la restitution des richesses volées. Mwai Kibaki a, en général, gardé une bonne distance des discussions au sujet de la corruption et préféré insister sur les réalisations de son régime.
Les réponses reçues lors de l’enquête ont clarifié que les Kenyans ne soutiennent pas les notions de « pardon et oubli ». Leurs avis sur cette question sont si forts qu’il serait difficile aux politiciens de faire admettre aux Kenyans un accord négocié en coulisse, s’il y avait lieu d’en examiner les possibilités.
L’enquête révèle que les Kenyans considèrent la corruption comme une question de préoccupation majeure. Quelque 89% d’entre eux classent la corruption comme une préoccupation prioritaire au niveau national ; 97% pensent que la corruption est un « grand » ou un « très grand » problème. Tous les groupes d’âge s’en préoccupent, mais chez les jeunes âgés de 18 à 24 ans, 94% identifiant la corruption comme la principale question qui les dérange.
Confirmant la nature endémique de la corruption, 85 % ont indiqué dans leurs réponses que soit eux-mêmes ou un membre de leur foyer avait connu la corruption. En dépit du travail fait par les nombreuses institutions au cours des quelques dernières années pour réduire leur problème de corruption, les personnes qui ont répondu ont indiqué qu’elles la rencontrent dans leurs interactions avec la police, les autorités locales, l’immigration, le domaine judiciaire et le Commissaire aux Terres.
Une position montrant que l’habileté du gouvernement à communiquer sur la question se trouve en dessous de la moyenne, s’affiche à travers les 25% de Kenyans qui, en fin 2007, ne sont toujours pas informés des efforts officiels pour s’attaquer à la corruption. Ironie de la situation : seuls 13% de Kenyans ont spontanément indiqué avoir connaissance de la Campagne Nationale de Lutte contre la Corruption, qui a la responsabilité de véhiculer le message anti-corruption dans tous les coins du pays, et qui reçoit généreusement des indemnités pour faire ce travail.
Alors que seulement 23% avaient connaissance des efforts institutionnels essentiels du genre, tels que ceux du Contrôleur et de l’Auditeur Général, 98% étaient informés de l’affaire louche des Frères Artur et du comité institué pour enquêter sur les événements qui les impliquent. Démontrant la futilité des efforts pour censurer voire camoufler l’information, 39% de Kenyans ont déclaré avoir connaissance du rapport Kroll commissionné par le gouvernement et qui avait émis des avis à ce sujet.
Quand on leur a demandé de faire l’évaluation de la performance des différents efforts et initiatives du gouvernement sur une échelle de 1 à 10, les Kenyans ont été intransigeants : aucun des candidats n’est allé au-delà de la moitié.
A la question de savoir ce qui devrait être fait à propos des divers crimes de corruption, les réponses des gens sont allées de la confiscation des biens à l’emprisonnement prolongé, en passant par le renvoi ou l’interdiction de servir dans la Fonction publique pour ceux qui auront été jugés coupables de corruption. Les Kenyans pensent que les richesses volées et gardées à l’étranger devraient être retournées au Kenya et qu’on devrait s’en servir dans les secteurs de la santé, de l’éducation et pour d’autres finalités de bien-être social.
Ceci montre que les Kenyans considèrent la corruption comme très coûteuse et, en que pour eux il y a un rapport étroit entre la corruption et la perte d’opportunités de développement et qu’il ne s’agit pas que de la « propagande », ou « porojo » en swahili.
Il y a eu une perception marquée du manque d ‘équité et de l’impunité dans le traitement des auteurs influents de crimes de corruption : 77% ont indiqué qu’il y a des vaches sacrées, ou des « intouchables » au Kenya. Des commentaires tels que « la justice n’a pas prévalu puisque la plupart de ceux qui ont été nommés négativement dans les dossiers de corruption sont toujours en fonction » ont été faits pour appuyer ces points de vue.
Au sein de la petite minorité de 6% qui croyait qu’il faut qu’il y ait des intouchables, on a cité des craintes de possibilités d’éclatement de conflit ethnique ouvert si des dossiers de corruption contre des gens influents étaient poursuivis, étant donné la tendance de certains suspects de corruption à chercher refuge dans leurs communautés.
Un total de 93% de Kenyans prétend qu’ils ne voteront pas en faveur d’un candidat généralement perçu comme corrompu. Paradoxalement, 48% ont aussi indiqué qu’ils accepteraient des pots de vin. La pauvreté et le cynisme semblent être les catalyseurs importants. Cependant, 80% ont indiqué qu’ils n’avaient aucune intention de voter en faveur d’un candidat dont ils accepteraient des pots de vin.
Les gens qui ont répondu ont listé les types de pots de vin dont ils avaient connaissance, notamment l’argent, les habits, les emplois et, chose intéressante, les titres de propriété que le gouvernement était le seul capable d’offrir. A partir de leurs commentaires, les électeurs semblent être bien conscients que les «bonnes choses» que le gouvernement est en train de leur prodiguer sous divers paquets d’apaisement de l’électeur s’accompagnent de prix.
« Pourquoi sommes-nous en train de recevoir ces choses maintenant? » ont demandé les personnes qui ont répondu. Tous les candidats devraient savoir que l’argent dépensé sur des pots de vin est fort probablement l’argent perdu, à condition que les conditions électorales soient libres et justes. Ils devraient plutôt centrer leurs efforts sur des campagnes basées sur des questions de fond afin de gagner et éduquer un électorat de plus en plus sophistiqué.
L’aspect électoral qui reçoit le plus d’attention du public est la façon dont les gens évaluent les candidats à la présidentielle pour déterminer lequel d’entre est le plus engagé à combattre la corruption. Ceci reflète peut-être inévitablement et directement les résultats des différents sondages réalisés jusqu’à date, quant au candidat que les électeurs préfèrent dans l’ensemble.
La subdivision régionale montre que tous les candidates jouissent de l’avantage “notre fils”- Mwai Kibaki se trouve en tête au Centre avec 84% ; Kalonzo se trouve en tête à l’Est avec 58%. Dans Nyanza, 81% préfèrent Raila, qui se trouve également en tête au Nord Est, à l’Ouest, dans la Vallée du Rift, à la Côte et au sein de Nairobi. La base de soutien de Raila est la plus forte parmi les plus jeunes Kenyans qui sont particulièrement fâchés à propos de la corruption, tandis que 39% de ceux âgés de plus de 55 ans ont choisi Mwai Kibaki.
Chose intéressante, le sondage montre que les positions des candidats sont en contradiction avec leurs propres supporters. Par exemple, 77% des supporters de Kalonzo ne sont pas d’accord avec sa position de « pardonner et oublier » ; 36% veulent que les corrompus soient confrontés à la force totale de la loi, qu’ils soient emprisonnés pour de longues périodes et que leur propriété soit confisquée, 41% étaient prêts à accepter la restitution et la demande de pardon. Quarante-six pour cent des supporters de Kibaki soutiennent également des options plus radicales. Seule une infime minorité serait prête à réfléchir sur l’option de « pardonner et oublier » ; 7% des supporters de Kalonzo, 6% de ceux de Kibaki et 5% de ceux de Raila.
L’intérêt d’AfriCOG était axé non seulement sur la période électorale mais aussi sur les espoirs post-électoraux des Kenyans. Quel que soit le gouvernement qui entre en fonction, il devra répondre devant le peuple. Que veulent-ils que le nouveau gouvernement fasse en ce qui concerne la corruption ?
Quelque 94% disent que le prochain président ne devrait nommer aucun individu ayant trempé dans la corruption ; pour prévenir ceci il faudrait mener des examens et approuver les candidatures. Les personnes qui ont répondu ont aussi réclamé la reprise de toute propriété acquise illégalement, l’introduction de conditions sévères telles que les condamnations à de longues périodes d’emprisonnement, la démission immédiate de toutes les personnes mentionnées dans les dossiers de corruption dont les enquêtes se poursuivent ; un examen approprié des dossiers des gens devant servir au sein du gouvernement et une « chirurgie radicale » du secteur judiciaire est réclamée par 61%. Il faudra un leadership fort, focalisé, pour répondre à ces exigences et les gérer de manière responsable et transparente.
Chose positive, 68% des Kenyans sont optimistes que la situation va s’améliorer sous le nouveau gouvernement en ce qui concerne la corruption. Ceci traduit les grands espoirs des Kenyans pour le changement de la façon dont le prochain gouvernement va s’attaquer à la corruption, quel que soit le candidat gagnant. Il est clair que la question de corruption préoccupe les électeurs kenyans ; ils veulent la voir éliminée et désirent que les coupables soient sévèrement punis. Les parties concernées ont un grand travail à faire dans l’élaboration de propositions bien réfléchies sur ces questions.
* Gladwell Otieno est Diretcteur Exécutif d’Africa Centre for Open Governance (AfriCOG)
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