Les Africains Noirs doivent se montrer prudents sur le projet d’Etats-Unis d’Afrique
Basil Okafor propose que l'on décale d’au moins cinq ans le sommet de l’Union Africaine sur la question des Etats-Unis d'Afrique, le temps que le peuple en débatte. Il importe selon lui que nous, les Africains Noirs, donnions nos instructions aux présidents de l’Union Africaine sur comment voter, examinons les mobiles, les objectifs, les commanditaires – apparents et dissimulés – les modalités et la faisabilité de ce USAfrica. Sondage à l'appui, il démontre que l'Afrique n'est pas encore prête pour ce grand saut.
Au cours des pratiquement cinq décennies qui se sont écoulées depuis la création de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), nombre d’Africains ont constamment appelé à la constitution de liens plus étroits entre les États du continent. Après 38 ans et le sentiment d’avoir atteint son but premier, à savoir la libération africaine le 15 octobre 2001, l’OUA qui regroupe 53 États s’est transformée en une Union Africaine afin de conférer ostensiblement à l’organisation davantage de poids politique et économique, premier pas vers davantage d’intégration et d’unité continentales.
Dans la poursuite de cet idéal, certains suggèrent d’employer le prochain sommet de l’Union Africaine de juillet 2007, pour placer la barre encore plus haut. Les partisans de la nouvelle entreprise continentale entendent promouvoir les «États-Unis d’Afrique» lors de la rencontre d’Accra. Si les pourvoyeurs de ce concept ont les mains libres, avec cette ré-organisation, le continent entier se fondrait en une seule nation, avec une armée, une monnaie (sur le mode de l’Union européenne) et la libre circulation des personnes et des biens, sans plus de frontières, telles qu’elles existent aujourd’hui.
Il est clair que l’idée d’«États-Unis d’Afrique» fait écho aux aspirations des Africains de partout (sur le continent comme dans la diaspora) qui veulent une Afrique meilleure. Et comme on pouvait s’y attendre la décision de promouvoir les États-Unis d’Afrique au sommet de juillet a suscité des réponses enthousiastes du public panafricain.
Mais il n’est pas sans intérêt de noter les différences de tons parmi les réponses. Notamment, au cours des dix premiers jours de février qui ont fait suite à l’annonce le 31 janvier 2007 de la décision de l’Union Africaine, les Africains se sont exprimés dans le Forum de la BBC sur le sujet : «Est-ce que l’Unité africaine est un rêve qui mérite d’être poursuivi ?»
En fait, sur les 32 contributeurs, aucun n’était opposé en soi à l’unification. Néanmoins, ils se répartissaient dans trois catégories par leurs attitudes et leurs attentes, à savoir :
(A) Les fervents (12), qui aspirent tellement à l’unification, qu’ils semblent aveugles, ou indifférents aux mines posées sur le chemin qui y mène;
(B) Les sceptiques (5), qui pour diverses raisons ne pensent pas que l’unification peut se concrétiser, et l’écartent comme un mirage ;
(C) Les prudents (16), qui veulent l’unification, mais pointent les problèmes sérieux qui doivent être réglés pour que l’unification puisse réussir l’indépendances pour tous les pays du continent et la chute de l’apartheid en Afrique du Sud.
Les 32 participants au forum écrivaient : des USA 8 ; du Soudan 6 ; du Royaume-Uni 4 ; de l’Ouganda 2 ; du Ghana 2, de la Tanzanie 2 ; et 1 de chacun des pays suivants, Côte d’Ivoire, Canada, Cameroun, Liberia, Maroc, Niger, Nigeria et Seychelles.
Il est significatif que les deux-tiers des contributeurs aient attiré l’attention sur les obstacles à la réussite de l’unification. Et encore plus significatif que chacun des Soudanais ait mis l’accent sur certains obstacles à vaincre. …Le Soudan est le pays où la tentative d’unir Arabes et Noirs dans un État a causé une guerre raciale âpre de plus de cinquante ans.
Peut-être que le reste de l’Afrique noire a beaucoup à apprendre du Soudan. Le Soudan est une expérimentation de l’unification afro-arabe : et son expérience laisse mal augurer du projet USAfrica.
Une question-clef soulevée par les deux-tiers de la majorité des contributeurs sceptiques et/ou prudents, est celle de l’IDENTITE.
Les questions qu’ils veulent voir traitées sont les suivantes :
- Qui est un Africain ?
- Les Arabes dans le nord de l’Afrique s’identifient-ils avec les Africains Noirs ou avec leurs amis et parents en Arabie et au Moyen-Orient ?
Les autres obstacles qui ont été soulevés par rapport à cette idée d’USAfrica ont trait :
- au déterminisme de la couleur : ce mépris arabe bien ancré pour les Noirs ;
- au conflit entre Pan-Arabisme et Pan-Africanisme et aux ambitions arabes d’imposer
l’Islam aux Africains et d’arabiser l’Afrique noire.
Quels seront les principes que ces USAfrica suivront ? Seront-ils chrétiens, musulmans, ou autres ?
Est-ce que les Musulmans accepteront d’être gouvernés par des Non-musulmans dans les USAfrica ?
Comment seront levés les obstacles à l’unification, parmi lesquels la tyrannie, le tribalisme, la méfiance réciproque et la corruption ?
Clement Kuol Biong écrit de Mahe aux Seychelles : «Un Soudanais vétéran de la politique a comparé le gouvernement de l’Union Socialiste Soudanaise de Jafaar Numeiri à l’ombre d’un arbre où se retrouvent ceux venus juste partager l’ombrage, mais où ce que chacun pense n’est pas forcément identique. Dans ces conditions, comment l’Afrique peut-elle être unie quand nous sommes encore divisés par le tribalisme et qu’aucun leader africain n’est même intéressé à unir son propre peuple ? Comment le rêve de l’unité africaine peut-il devenir réalité quand divers groupes à l’intérieur de l’union Africaine ont des agendas cachés ? Le rêve des Arabes se poursuit, d’imposer de force la culture islamique aux masses africaines, une pratique en ce moment-même en vigueur au Soudan».
Atina Ndindeng, de Manchester en Angleterre, résume: «L’unité africaine n’est qu’un mirage du fait de l’avidité, de la malhonnêteté et de la corruption qui règne parmi les dirigeants que nous tenions en haute estime et qui devaient montrer l’exemple, mais ce sont tous des ratés et des démagogues politiques. Honte à la plupart des chefs d’État africains.»
De leur côté, les fervents qui constituent un tiers des contributeurs, font reposer leur espoir sur le rêve que, «l’Afrique Unie sera une superpuissance verte opposée à la superpuissance militaire et sera finalement un joueur-clef à la table des affaires du monde plutôt qu’un mendiant.»
Et ainsi que l’indique Mark Wood, le co-fondateur de USA4USAfrica, de Greenwood
California, «Un États-Unis d’Afrique peut empêcher l’apocalypse qui s’annonce à l’horizon si l’unification ne se fait pas MAINENANT !»
Mais que peut apporter de bon une quelconque Superpuissance Verte (si une telle utopie est possible pour une Afrique unie) sans une force militaire, ne serait-ce que pour défendre ses terres arables des envahisseurs voleurs que le continent a connu depuis que les Arabes ont conquis et colonisé l’Afrique du Nord entre 640 ET 14OO AD ?
Certains des instigateurs de USAfrica voient leur projet comme s l’affaire était déjà faite. Ils insistent sur le fait que malgré les avis contraires, «l’Afrique va s’unir, en tant que nation. Et qu’en fait, ça se fera en juillet au prochain sommet de l’Union Africaine au Ghana.»
Ils maintiennent que «le cours de l’histoire» ne peut plus être infléchi, que l’unification de l’Afrique est indéniablement en mouvement… que tous les arguments qui s’opposent à une Afrique unie sont désactivés à ce stade, car les Africains ont décidé qu’ils allaient s’unir et établir les détails d’une position pour l’union par opposition à une position de division.
Ces promoteurs ont déjà dessiné un drapeau pour USAfrica et choisi pour nous sont premier président : «Notre mandat c’est qu’en 2007 l’Union Africaine forme officiellement un États-Unis d’Afrique, avec pour premier président le Secrétaire général sortant des Nations Unies Kofi Annan (dont le mandat a expiré le 31 décembre 2006), installé à la manière dont le fut le premier président des États-Unis d’Amérique George Washington, par la volonté de Dieu». Les instigateurs de ce projet voient ça comme si tout ce qui leur incombait, c’était de faire la propagande et de nous manipuler comme des moutons pour que nous marchions.
Comment ? Selon eux :
1. «En organisant des meetings dans les Mairies pour obtenir le soutien public pour la
Fédération et collecter des idées sur comment la créer. Les meetings avec les mairies devraient rapidement démarrer en Afrique et hors d’Afrique. Des suggestions sur comment implanter le Gouvernement de l’Union continental (États-Unis d’Afrique) doivent en ressortir. Il ne s’agit pas de discuter sur le projet de fédération, mais sur les modalités de sa mise en place.»
2. «Recrutement de célébrités pour rallier la cause, et soutenir et parler des États-Unis
d’Afrique. Aux USA, recruter Oprah, Obama, Angelina Jolie, Danny Glover.»
3. Contacter «les super-stars du hip-hop pour mobiliser pour les États-Unis d’Afrique.»
En procédant sans un mandat connu et public des peuples d’Afrique et, en particulier, en n’attirant l’attention que sur ce qu’ils considèrent naïvement comme les bénéfices potentiels de USAfrica, et en essayant de restreindre leurs discussions de mairies uniquement aux modalités de mise en place, ces promoteurs agissent comme des vendeurs de voitures rôdés, qui ne veulent pas que le client pose des questions embarrassantes sur les défauts de la voiture.
Mais quoi qu’il en soit, les questions soulevées par les sceptiques et les prudents qui constituent une majorité des deux-tiers des intervenants du forum de la BBC, suggèrent que le temps est venu pour les Africains noirs d’ouvrir les yeux et de faire l’effort de penser et de après s’interroger –en répondant honnêtement – sur les questions difficiles que nous avons évitées pendant 50 ans sur le bon sens qu’il peut ou non y avoir, à unifier Africains noirs et Arabes dans un gouvernement continental.
Par exemple, ?en quoi un USAfrica est-il nécessaire ?
- Pour l’Afrique noire, quels problèmes va-t-il pouvoir résoudre de plus que l’OUA et l’Union Africaine ?
- Quels sont les parrains réels du projet USAfrica et quel est leur agenda caché ?
Les commentaires du forum indiquent que beaucoup d’Africains noirs ordinaires font cet effort de penser. Les présidents de l’Union Africaine feraient bien d’en faire autant, et de le montrer. Ils ne devraient pas se précipiter pour mettre en œuvre ce projet louche avant d’avoir, avec le public, examiner tout ça de la manière la plus détaillée qui soit. Il n’y a pas eu de débat populaire avant la formation de l’Union Africaine et l’adoption du NEPAD par les présidents africains. Y aura-t-il une discussion populaire libre et entière sur ce sujet avant que d’aller plus loin ans ce projet d’USAfrica ?
Les promoteurs, connus et non-connus, de ce USAfrica, le permettront-ils ?
Indépendamment des instigateurs du projet, débattons en tous, débattons de chaque aspect du projet, et pas seulement de comment le réaliser. Débattons tous des avantages et inconvénients d’un gouvernement continental, et faisons le au cours des cinq prochaines années, ou jusqu’à ce que nous parvenions à un consensus éclairé. Débattons à la lumière de l’expérience des Noirs au Soudan, en Mauritanie et dans le reste des régions limitrophes afro-arabes. Et également à la lumière des quatre décennies de l’OUA/UA.
Décalons donc d’au moins cinq ans le sommet de l’Union Africaine sur la question, le temps que le peuple en débatte. Avant que nous, les Africains noirs, donnions nos instructions aux présidents de l’Union Africaine sur comment voter, examinons les mobiles, les objectifs, les commanditaires – apparents et dissimulés – les modalités et la faisabilité de ce USAfrica, et ceci dans l’optique de ce dont l’Afrique noire a besoin pour survivre et prospérer dans ce siècle.
Ainsi que l’a exprimé succinctement Abednego Majack, un contributeur de Rumbek, au Soudan – la prudence doit être notre maître-mot : « États-Unis d’Afrique », certes l’expression sonne bien mais la question est, est-ce que nous nous percevons comme Africains, indépendamment de nos frontières coloniales, de nos religions, de nos groupements régionaux » ?
«L’Union Africaine doit prendre les choses très au sérieux pour pouvoir rendre attrayante l’unité africaine, sinon, le continent demeurera coupé en deux, l’Afrique sub-saharienne et l’Afrique du nord et les problèmes se développeront le long de cette ligne de faille. »
Avant que ce rêve d’union continentale ne tourne au cauchemar pour nous et nos
descendants, examinons ses conséquences probables pour nous, Africains noirs.
Comme ils le disent, prévenir vaut mieux que guérir !
* Basil Okafor est
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