Vers la fin de l’an 2005, l’International Labor Rights Fund a déposé à la Cour Fédérale des Etats-Unis en Californie une requête ayant trait à l’Acte portant sur les Allégations de Torture des Etrangers contre Bridgestone, faisant état de « travail forcé, l’équivalent moderne de l’esclavage » sur une Plantation de Firestone à Hargel, Libéria. Le procès indique : « Les travailleurs de la Plantation allèguent, entre autres choses, qu’ils restent coincés par la pauvreté et la coercition dans une Plantation gelée dans le temps exploitée par Firestone d’une façon identique à celle dont elle était initialement gérée quand elle fut ouverte pour la première fois par Firestone en 1926». Robtel Pailey examine le visage moderne de l’esclavage sur le « sol des hommes libres».
Au début des années 1820, le Libéria s’est transformé en terre d’exil pour les esclaves américains rapatriés. En fait, le pays était un refuge proverbial des gens qui fuyaient les conditions dégradantes, déplorables du régime d’esclavage aux Etats-Unis. Ainsi, dès que le terme « plantation » était mentionné, les Libériens tremblaient visiblement de l’héritage historique que beaucoup de ses descendants ont enduré.
Assez ironiquement, un développement récent suggère que le Libéria lui-même a servi de terrain propice pour le visage moderne de l’esclavage déguisé sous forme de ce que certains pourraient appeler servitude invétérée pour l’entreprise américaine, Firestone. Déclaré la première république de l’Afrique en 1847, le Libéria a été entraîné dans une relation asymétrique avec le géant du caoutchouc depuis que l’entreprise a atterri pour la première fois sur les côtes du pays en 1926. Quatre-vingts ans plus tard, des groupes de défense des droits humains ont dénoncé les pratiques abusives alléguées contre Firestone et ont intenté une action judiciaire contre la compagnie américaine pour violations des lois sur le travail des mineurs, pratiques de travail cruelles et inhabituelles, et dégradation de l’environnement. Ces pratiques, indiquent-ils, ne diffèrent en rien de ce qu’elles étaient à l’époque de l’ouverture de la plantation. Depuis 1926, Firestone se serait appuyé sur le travail forcé, l’asservissement involontaire, l’insouciance, la négligence dans le recrutement et la supervision, des pratiques d’enrichissement injuste et d’affaires non-équitables.
Introduite au nom des travailleurs à la plantation et de leurs enfants en se servant de pseudonymes, la requête nomme la compagnie nippone parente Bidgestone, Bridgestone Americas Holding, Bridgestone Firestone North American Tire et d’autres branches en tant que prévenus.
L’International Labour Rights Fund (ILRF) a intenté le procès au nom de 12 travailleurs libériens et leurs 23 enfants qui ont gardé l’anonymat pour se protéger contre les actes de vengeance. Les plaignants sont en train de déposer leur dossier aux USA parce que le système judiciaire libérien a été érodé dans le désordre de la décadence civile. « Les travailleurs de la plantation sont privés de leurs droits, ils sont isolés, ils sont à la merci de Firestone pour toute chose de la nourriture aux soins de santé et à l’éducation, ils risquent l’expulsion et la mort certaine de la faim s’ils soulèvent même les moindres plaintes, et la compagnie se sert délibérément de cette situation pour exploiter ces travailleurs comme ils l’ont fait depuis 1926, » allègue le procès. L’ILRF et ses alliés – les avocats et les activistes libériens des droits humains – servent comme un instrument de plaidoirie pour la défense des droits sanitaires et légaux des travailleurs de Firestone à Harbel, Libéria.
L’histoire de Firestone au Libéria est révélatrice. En 1926, la compagnie a signé un accord de concession avec le gouvernement du Libéria pour une période de 99 ans. Cet accord couvrait environ un demi-million d’hectares de terrain, loué à bail à six cents par demi-hectare pour un prix annuel total de $ 60.000. De grands secteurs de population indigène furent déplacés pour céder la place à l’installation de la plus grande plantation de Firestone à Harbel. Même à l’époque du jeune âge de la compagnie, les Libériens étaient recrutés pour accomplir le travail forcé en récoltant et en cultivant des arbres du caoutchouc, après quoi ils s’engageaient dans le « tapage », l’acte plein de labeur intensif qui consiste à utiliser des instruments primitifs pour taper le latex à l’état cru hors des arbres de caoutchouc pour exportation. Les ouvriers étaient initialement appelés au travail sous la menace des fusils, et beaucoup de descendants de ces ouvriers servent de plaignants dans le dossier judiciaire contre Firestone aujourd’hui.
Malgré une insurrection de mécontentement civil et des cris réclamant la démocratie en 2005, Firestone a signé un nouvel accord de 37 ans avec le gouvernement de Transition au Libéria pour qu’il octroie le terrain à 50 cents par demi-hectare, « une grande hausse » par rapport à l’accord original de location à bail. Selon un rapport récent publié par Save My Future Foundation, Firestone a exporté 167.165 tonnes de caoutchouc entre 2000 et 2003. Le prix du caoutchouc atteint des sommets astronomiques aujourd’hui à $ 486 par tonne. Suivant les calculs de transactions commerciales actuellement, Firestone reçoit $ 81.242.190 en provenance de sa production au Libéria. Tout le caoutchouc produit au Libéria est envoyé aux Etats-Unis pour le traitement des pneus, et d’autres matériaux. Il n’y a pas de traitement ni de fabrication ni d’autre production de valeur ajoutée qui se font au Libéria. Le niveau de pauvreté au Libéria est si étonnant que les gens accourent vers la plantation pour un simple repas. Le tapeur moyen génère $ 900 mensuellement pour la compagnie, et pourtant il reçoit de Firestone à peine un dixième de cela en tant que compensation une fois que les frais et les services sont déduits des rémunérations. Comme résultat, les tapeurs travaillent durement pour 3,19 dollars seulement par jour. Après avoir travaillé chez Firestone pendant 50 ans, certains ouvriers de la plantation qui vont en retraite reçoivent apparemment moins de $ 50 par mois comme frais de pension.
A part le fait d’affronter la pauvreté due à la servitude grave, les ouvriers de Firestone doivent faire face aux infirmités liées à la santé. Les tapeurs exposent leurs yeux au latex qui a la potentialité de les rendre aveugles, en appliquant des pesticides et des fertilisants dangereux aux arbres du caoutchouc. Le latex à l’état cru en provenance des arbres du caoutchouc est fatal lorsqu’on l’applique aux yeux, si bien qu’il y a eu d’innombrables rapports de cas de travailleurs qui souffrent en permanence de problèmes d’yeux suite au fait de s’exposer. Ils sont forcés de transporter des seaux pesant 75 livres et débordant de quota de latex collecté pour le jour. N’étant pas informés des dangers qui accompagnent les produits qu’ils manipulent, les travailleurs ne savent pas demander l’équipement de sécurité. Beaucoup de tapeurs portent des traces graves de plaies et des anomalies d’os et de muscles qui résultent des activités de tapage.
Les ouvriers travaillent entre 12 et 15 heures par jour, puis ils doivent faire la liste de choses que leurs familles (y compris les jeunes enfants et les épouses) vont accomplir afin de compléter un quota journalier pour s’assurer de leur rémunération hebdomadaire. Pas de congés, pas de vacances payées, pas de congé pour raison de maladie. Un phénomène honteux dans le mode de fonctionnement de Firestone est son soutien implicite au travail des enfants. La plupart des enfants travaillent sur les plantations au lieu de fréquenter l’école. Le peu d’enfants qui fréquentent l’école se rendent aux écoles ne remplissant pas les normes requises et dans des conditions misérables. Firestone prétend qu’il dispense un enseignement gratuit aux enfants de ses travailleurs, mais en réalité les travailleurs doivent payer une taxe sur le revenu, taxe déduite automatiquement de leurs rémunérations mensuelles en vue de couvrir les coûts des soi-disant dépenses éducationnelles.
Les enfants et leurs familles triment sur la plantation pendant la journée, et ils rentrent la nuit dans les conditions sordides de vie primitive sans électricité ni eau de robinet. Firestone blâme la guerre civile qui a frappé le pays pendant plus d’une décennie pour la rupture de l’infrastructure, pourtant les membres du clan de Firestone ont aidé et encouragé le rebelle devenu président Charles Taylor afin d’éviter que la plantation ne soit endommagée quand la guerre faisait rage. Certaines des armées rebelles de Taylor étaient même stationnées à Harbel, jouissant des fruits du sang, de la sueur et des larmes -dans le sens littéral- de leurs frères et sœurs compatriotes.
Se trouvant à mille miles des conditions de vie déplorables de la force ouvrière libérienne, les cadres chargés de la gestion de la compagnie bénéficient des richesses du caoutchouc, jouissant du luxe des bungalows climatisés et même arrêtant leur travail « qui casse le dos » comme superviseurs pour faire une séance de golf sur la cour érigée tout près. Des huttes en terre battue et celles faites de branchages cohabitent avec des maisons de fortune à l’air immaculée. Firestone prétend que les huttes en terre ont été créées par les Libériens déplacés à l’intérieur qui ont accouru vers la plantation au cours de l’escalade de la guerre civile dans le pays. Pourtant, Firestone possède le terrain et détient toutes les responsabilités relatives à son entretien. De plus, certaines des conditions existaient avant la guerre civile et s’étaient enracinées pendant des années.
Le scénario complet représente un microcosme de règles commerciales non-équitables qui bénéficient aux grandes entreprises occidentales qui exploitent la matière première dans le monde en développement, laissant les peuples indigènes avec des débordements environnementaux, des souffrances physiques, et un moral brisé. Le cas de Firestone au Libéria est un microcosme de rachat d’une entreprise américaine et un mépris flagrant des droits indigènes. C’est une extension du commerce transatlantique des esclaves, et ça devrait être exposé en tant que tel.
* Natif de Buchanan au Libéria, Robtel Neajai Pailey preste actuellement en tant qu’Editeur Assistant du journal communautaire de Washington, D.C, « The Washington Informer ».
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* Cet article a d’abord paru dans l’édition anglaise de Pambazuka News numéro 240.
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