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Les Africains et les Afro-américains ont toujours eu des rapports fragiles et compliqués qui ont été influencés par l’histoire et les perceptions. Philippe Wamba, lui-même biculturel, décrit la « fascination » qu’ont les Africains et les Afro-américains les uns pour les autres comme deux groupes « qui se contemplent par delà le fossé que représente l’océan atlantique, à travers le Transatlantique comme un enfant qui se voit dans un miroir pour la première fois ». Aujourd’hui, cette ligne de partage transatlantique se rétrécit. De plus en plus d’Africains partent pour les Etats-Unis, et ces « cousins éloignés » se voient obligés, tout au moins, de se reconnaître mutuellement.

Toutefois, cette reconnaissance ne se traduit pas en rencontres familiales. Les relations sociales entre les Africains et les Afro-américains sont au mieux, troublées et au pire, hostiles. Les tensions qui existent entre les Africains et les Afro-américains aux Etats-Unis promettent d’atteindre un point d’ébullition. Il y a eu, en effet, certains cas de conflits entre des étudiants africains et afro-américains dans des établissements d’enseignement secondaire du premier cycle et des lycées américains. On note également des conflits sur le lieu de travail déclenchés par l’embauche et la promotion d’un groupe par rapport à un autre. Même s’il existe des cas plus positifs de coopération et d’interaction, les Africains et les Afro-américains ont tendance à s’isoler les uns des autres tout en nourrissant des stéréotypes et des idées fausses qui ont empêché des interactions sociales plus répandues.

Chaque année le nombre d’Africains arrivant dans les villes américaines s’accroît. En 1989, plus de 25 000 Africains ont immigré aux Etats-Unis. En 2001, le nombre d’immigrants africains a doublé, atteignant plus de 53 000. En effet, plus de 75% des immigrants africains aux Etats-Unis aujourd’hui sont arrivés après 1985. Et ces chiffres n’incluent pas les plus de 10 000 étudiants africains qui se font inscrire dans les universités américaines chaque année. En fait, plusieurs historiens jugent que le nombre d’Africains qui ont immigré aux Etats-Unis depuis 1980 dépasse ceux qui étaient venus aux Etats-Unis durant toute la période de la traite transatlantique des Noirs.

Bon nombre de ces Africains se déplacent vers des régions métropolitaines, telles que New York, Los Angeles et Washington DC, modifiant ainsi le « paysage africain » des Etats-Unis, de plus ou moins la même manière que les Antillais quelques générations plus tôt. Alors qu’il y a toujours eu des Africains aux Etats-Unis, la croissance spectaculaire de l’immigration provenant de ce continent pendant les vingt dernières années leur ont assuré une place importante dans le paysage américain en général, et plus particulièrement dans la communauté afro-américaine. Dans le passé, la majorité des Afro-américains, qui ne considéraient pas la présence des immigrants africains comme étant significative, et qui souvent ne savaient même pas qu’ils étaient là, négligeaient la communauté peu importante d’Africains aux Etats-Unis. Avec le nombre actuel d’immigrants africains, qui est en hausse aux Etats-Unis, les Afro-américains et les Africains se rencontrent au quotidien, depuis la ville de New York jusqu’aux régions rurales d’Alabama en passant par les Etats du Midwest tels que l’Ohio et le Minnesota.

Cette tendance influe aussi sur la communauté afro-américaine de Washington DC, région contenant le plus grand nombre d’immigrants africains du pays entier, entre 80 000 et 93 000. Le nombre d’immigrants africains (80 000 - 90 000) dans la région de Washington DC est même supérieur au nombre d’immigrants venant des Caraïbes (49 000). En effet, Washington DC est le domicile d’un groupe comprenant divers immigrants africains pionniers qui ont constitué l’essentiel du corps diplomatique de la communauté et qui ont bâti les fondations pour la récente immigration africaine. Washington DC abrite également l’une des régions métropolitaines à majorité noire les plus anciennes ainsi que l’une des plus grandes universités traditionnellement noires (HBCUs), l’Université de Howard, tout cela contribuant à un mélange intéressant de peuples d’origine africaine.

Tout comme ailleurs dans le pays, les Africains et les Afro-américains se rencontrent à l’école, au travail et dans le voisinage. Ces rencontres sont imprégnées de stéréotypes, qui dépeignent les Africains comme étant pauvres et barbares ou raffinés et arrogants. Les hommes sont aussi perçus comme étant autoritaires alors que les femmes sont soumises et acceptent les abus exercés sur elles par l’homme africain tyrannique. Les Afro-américains sont considérés comme des paresseux, obsédés par le racisme et dépourvus de toute culture. Les Afro-américaines, quant à elles, sont perçues comme ayant des mœurs légères alors que les hommes sont des criminels violents. Le mot argotique nigérian « Akata », auquel les Américains furent confrontés pour la première fois dans le film « Sugar Hill » est un mot utilisé par certains Ouest-africains pour faire référence aux Afro-américains. Le mot, traduit de façon approximative, est un terme peu flatteur signifiant « sauvage », « esclave », « prisonnier » ou (comme dans le film), « cueilleur de coton », voulant dire « sale ». Ce sont là quelques-unes unes des images qui planent sur tout contact entre Africains et Afro-américains.

On est loin de vouloir peindre un tableau totalement désespéré des relations africaines / afro-américaines car il existe aussi des terrains importants de collaboration entre les deux groupes. En sus des relations amicales entretenues entre les membres des deux groupes, l’immigration africaine aux Etats-Unis a aussi abouti à une augmentation de mariages entre Africains et Afro-américains. Les recherches avancent qu’il existe plus d’Africains mariés à des Américains d’origine africaine qu’à des Américains d’origine européenne. On note également une collaboration dans le domaine de l’activisme. Alors que les Africains ont encore à s’engager en grand nombre dans les affaires locales (la brutalité policière, la discrimination positive), on sait que les Afro-américains défendent depuis très longtemps la cause africaine. Des organisations telles que Africa Action, Africare, The African American Institute, IFESH, et TransAfrica sont toutes des organisations afro-américaines qui emploient des Africains et travaillent avec eux sur des questions concernant l’Afrique. Dans le domaine de la culture Pop, l’artiste sénégalais de RnB, Akon, s’est fait un nom dans un style de musique dominé par les Afro-américains. De plus, des artistes hip hop tels que Common et Wycleff Jean ont collaboré avec des musiciens africains, rejoignant les artistes hip hop de la diaspora à ceux de l’Afrique, du jamais vu dix ans auparavant.

En général, les rapports entre Africains et Afro-américains sont souvent complexes et multidimensionnels. Le milieu économique, le niveau de conscientisation à la chose africaine, la durée de leur présence en Amérique, leur âge, les influences familiales, tout influe sur les rapports entre Africains et Afro-américains.

Les Africains qui sont aux Etats-Unis depuis plus longtemps, par exemple, ont tendance à mieux comprendre la communauté afro-américaine et la politique des races en Amérique. Cela s’applique surtout aux Africains qui ont immigré aux Etats-Unis à un jeune âge. Ces derniers, plus jeunes, ont probablement plus d’amis afro-américains et ont tendance à fréquenter des cercles autres que leur communauté immigrante. Les enfants d’origine biculturelle constituent un autre lien très important dans le contact africain / afro-Américain. Ceux nés de parents dont l’un(e) Africain(e) et l’autre Afro-américain(e) sont souvent le lien unissant les deux communautés. Ils passent fréquemment une bonne partie de leur vie à transmettre la culture d’un groupe à l’autre. Dans de nombreux cas c’est souvent un avantage incertain d’être biculturel, de faire partie des deux communautés et d’être pris au milieu de tensions auxquelles chaque communauté s’accroche encore. Toutefois, ce groupe sert aussi de lien crucial dans tout espoir d’établir un rapprochement entre ces deux communautés.

Le cas des enfants de naissance biculturelle et des jeunes immigrants africains confère une autre dimension intéressante à cette perplexité : l’identité. Pour la communauté afro-américaine, l’identité a toujours constitué un élément important de leur autodétermination. Depuis toujours les Afro-américains ont l’habitude de définir de qui et de quoi est constituée l’identité afro-américaine. Les Afro-américains ont traditionnellement été considérés comme ceux dont les ancêtres étaient arrivés en Amérique lors de la traite des Noirs. Aujourd’hui, l’immigration africaine remet en cause cette identité comme ne l’ont jamais fait les Antillais. L’histoire des Afro-américains d’aujourd’hui n’est pas forcément ancrée dans la traite des Noirs. La seconde génération d’immigrants africains et d’enfants de naissance biculturelle possède une histoire et une culture différentes, mais certains d’entre eux s’identifient, du moins en partie, aux Afro-américains. Certains de ces Africains n’ont jamais été en Afrique, ils agissent (et dans certains cas, se sentent) plus comme des Afro-américains (auxquels ils ressemblent d’ailleurs) que des Africains.

En fait, les chercheurs s’accordent à dire que les enfants d’immigrants africains sont des Afro-américains ; par ailleurs, d’autres chercheurs font référence à la récente vague d’immigrants africains aux Etats-Unis comme « La Nouvelle Diaspora » et aux Africains qui vont aux Etats-Unis comme "les autres Afro-américains". Toutefois, les recherches et les études effectuées ne définissent pas forcément les perceptions réelles de la vie. L’identité n’est pas de caractère fixe et elle comporte plusieurs aspects qui se contredisent parfois. A mesure que plus d’Africains atteignent les côtes américaines, les Afro-américains ont à faire face aux conséquences de l’arrivée de ces « nouveaux Africains africains ». Les deux groupes ne peuvent plus continuer à s’isoler l’un de l’autre. Depuis les dernières années, des groupes tels que NAACP et The Urban League, reconnaissent au moins la présence d’immigrants africains en Amérique. Cela signifie que leurs problèmes doivent faire partie de l’ordre du jour de la communauté afro-américaine. Les immigrants africains représentent une voix légitime aux Etats-Unis et ont la capacité d’atteindre un niveau d’influence similaire à celui que d’autres immigrants ont en matière de politique locale aussi bien qu’étrangère. On aperçoit déjà des Africains qui jouent un rôle de plus en plus important dans le lobby de la politique étrangère américaine en Afrique, rôle qui était au début rempli par des Afro-américains. En sus des idées extraordinaires du panafricanisme, les Africains et les Afro-américains représenteraient des ressources précieuses entre eux. De la même manière, la définition de l’Afro-américain changerait probablement pour les générations futures, laissant la place aux Africains qui continuent à affluer aux Etats-Unis en nombre record.

* Msia Kibona Clark, de naissance tanzanienne, a été élevée aux Etats-Unis ; elle est mi tanzanienne et mi-afro-américaine. Elle détient un diplôme en Sciences Politiques de l’Université Johnson C. Smith et est également titulaire d’une maîtrise en Etudes Comparées et Régionales de l’Université Américaine. Boursière Sasakawa au sein du Département des Etudes Africaines à l’Université de Howard, elle prépare actuellement son doctorat. Sa recherche porte sur l’immigration africaine aux Etats-Unis et son incidence sur les relations africaines / afro-américaines et l’identité. De plus, Msia représente l’Ouganda au sein d’Amnesty International et travaille comme rédactrice de comptes rendus pour AllAfrica.com. Elle a aussi été consultante et conférencière auprès de plusieurs organisations. Lors de ses fonctions professionnelles et de ses recherches qui portent sur la Diaspora africaine ainsi que sur la pensée féministe, elle a été amenée à visiter l’Afrique orientale et occidentale, Cuba et le Brésil.

Texte traduit de l’original sous la direction de Vanessa Everson (maître de conférences au sein de la section de français de l’université du Cap) par Kesini Muregesan.