Négociations Nord-Mali : A quoi jouent les « salafistes » d’Ansar Dine ?
Le conflit dans le nord du Mali est entré dans une phase extrême avec les affrontements entre l’armée malienne et les djihadistes, mais surtout avec l’intervention de l’armée française qui donne une nouvelle dimension à cette crise. Les prémices de cette escalade se dessinent depuis des semaines.
J’ai toujours défendu la thèse, aujourd'hui confortée par les faits et selon laquelle, Ansar Dine dont les groupes salafistes ont repris la destruction des mausolées et les exactions, n'a jamais eu de bonnes intentions en direction de la paix. Ses déclarations antérieures avaient pour simple but d'« endormir » la communauté internationale afin de gagner du temps sentant que l'étau semblait se resserrer autour de ses troupes après la réunion de concertation des ministres des Affaires étrangères de la Cedeao.
Cette stratégie connue chez tous les mouvements islamistes est appelée "Hudna", en arabe, consistant à marquer une trêve stratégique lorsque le rapport de force n'est pas favorable pour s'imposer. Cela répond à une logique de double jeu et de duplicité dans le discours. La guerre n’est-elle pas, après tout, une affaire de duperie ? (Khid‘a)
De plus, les prémisses de préparatifs de la force africaine annoncés en grande pompe avec autant de détails sur la logistique et la stratégie n'auguraient rien de bon. On n'annonce pas une guerre aux issues incertaines avec un calendrier aussi détaillé surtout en face d'un ennemi diffus, ultra-mobile et irresponsable en termes des répercussions éventuelles sur les populations de la sous-région.
Le texte de la "plateforme politique" d'Ansar Dine, publié le 2 janvier, introduit maintenant une dimension ethnique dangereuse pour les équilibres sociopolitiques dans tout le Sahel en parlant, pour une première fois, de manière officielle, d'un "projet diabolique visant l’autodestruction totale de la société arabo-touarègue du Mali". Cette ethnicisation prononcée, puisée, certes, dans le discours fondateur du Mnla, venue se greffer sur l'idéologie islamiste radicale, est un précédent dangereux pour l'intégrité du Mali et des pays voisins comme le Niger.
De ce fait, il faut reconnaître que la médiation burkinabé semblant donner du crédit aux "gages" d'Iyad Ag Ali n'a pas permis d'avancée notable. Et je reste encore plus perplexe sur les retombées éventuelles des négociations entamées le 4 janvier par l'Algérie avec le Front arabe pour la libération de l'Azawad (Fnla). Bien que visant à isoler les islamistes d'Aqmi et d'Ansar Dine, il faut craindre que d'éventuelles compromissions avec ce mouvement "irrédentiste" ou son renforcement, affecterait l'équilibre et l'intégrité territoriale du Mali comme du Niger tous concernés par la brûlante question touarégue.
Les négociations ont-elles échoué avant d’être entamées ? Le communiqué d'Ansar Dine signé par Iyad Ag Ali précise que le mouvement djihadiste décide de retirer l’offre faite à Alger de cessation des hostilités concomitamment avec les négociations menées à Ouagadougou. Au même moment, Iyad Ag Ali soumettait une "plateforme" pour une "solution politique" au gouvernement burkinabé, prétextant cette fois-ci d'une supposée mauvaise volonté du Mali accusé de "recruter des mercenaires" - entendez la force militaire internationale - pour la reconquête du Nord.
Il faut se rendre à l’évidence : dans la tête des leaders d'Ansar Dine, l'Afrikanistan tant rêvé est déjà une réalité au Nord du Mali. Pour eux, le vrai combat est aujourd'hui d'empêcher les "forces impies" de "souiller" son sol. Pendant ce temps la communauté internationale tergiverse dans la dispersion de ses énergies, les pôles de négociations se multiplient. Aujourd'hui on valse entre Alger et Ouagadougou. Et tout prochainement le Maroc, sur fond de rivalité avec l'Algérie, va essayer de mettre à profit son positionnement continental en termes d'influence, son islam dit « modéré » mais surtout sa capacité revendiquée à lutter efficacement contre le terrorisme.
On peut légitimement se demander s'il y a encore sur ce conflit un positionnement international concerté. Les Etats-Unis, de plus en plus tournés vers les affaires du Pacifique, sont encore dans leur doute persistant sur la capacité et la volonté réelle des Africains à mener une opération militaire. La France qui exclut toute participation directe à une éventuelle opération militaire malgré ses énormes intérêts stratégiques dans la sous-région, est, en même temps, préoccupée par le sort de ses otages aux mains d'Aqmi (Ndlr : l’armée française est s’est engagée dans une intervention le 11 janvier). Pendant ce temps, à part le président Issoufou du Niger, en ligne de mire des séparatistes, les dirigeants africains semblent attentistes et surtout impuissants face à un fléau rampant, incapables, cette fois-ci, de miser sur les partenaires stratégiques (Ue, Usa) qui sont dans une extrême prudence. L'Algérie que rien n'arrive à presser, quant à elle, est toujours dans l'indécision. Peut-être qu'une implication marocaine plus marquée que souhaitait déjà Cheik Modibo Diarra avant son éviction pourrait pousser Alger à plus de réactivité ne serait-ce que pour maintenir son confortable positionnement diplomatique.
Les gesticulations se multiplient mais les résultats probants sont moins visibles. Un mini-sommet de la Cedeao pour faire le point des derniers développements survenus dans la crise au Mali dans la perspective de la tenue du prochain sommet de l`Union africaine, vient encore d'être annoncé pou les 23 et 24 janvier à Bamako suite à la dernière tournée de Diango Cissoko, dans certains pays de l`Afrique de l`Ouest. Sur le dossier de l'intervention militaire, les Maliens semblent faire plus d'ouverture à l'idée d'une force internationale mais la situation politique interne est comme une épine dans le pied de tous les diplomates, malgré les récentes déclarations de Moussa Sinko Coulibaly, le ministre de l'Administration territoriale, invitant à l'implication de "tous les partenaires".
Peut-être que la situation sécuritaire qui se détériore dans la frontière sud de l'Algérie pourrait pousser ce pays-clé à de meilleures dispositions pour une intervention dont il serait l'un des principaux soutiens. Il faut savoir que hormis Aqmi qu'Alger semble maîtriser, il y a le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) qui, le 31 décembre dernier, a pris le contrôle des alentours d’Al-Khalil, (une localité située à environ 3 km de la frontière sud de l’Algérie) en s'associant à la Katibat al-Mulathimîn (phalange des enturbanés ) un mouvement djihadiste dissident d’Al Qaïda au Maghreb Islamique (Aqmi).
Ce signal fort sur le plan sécuritaire devrait être de nature à convaincre l'Algérie de la nécessité de libérer le Nord du Mali du joug des groupes terroristes et de leurs multiples trafics et tout l'intérêt qu'elle a à y participer.
Dans le même temps, pendant que les sommets se suivent et se ressemblent, le Mujao qui a établi son quartier général à Gao et recrutant dans toute l'Afrique de l'Ouest n'épargne aucun pays dans sa stratégie djihadiste. Une raison supplémentaire pour plus de solidarité et surtout de détermination, dans la résolution de cette crise désormais ouest-africaine voire sahélo-saharienne.
CE TEXTE VOUS A ETE PROPOSE PAR PAMBAZUKA NEWS
* Ne vous faites pas seulement offrir Pambazuka ! Devenez un Ami de Pambazuka et faites un don MAINTENANT pour aider à maintenir Pambazuka LIBRE et INDEPENDANT ! http://www.pambazuka.org/fr/friends.php
** Dr. Bakary Sambe est enseignant-chercheur au Centre d’étude des religions (Cer) de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis
*** Veuillez envoyer vos commentaires à [email protected] ou commentez en ligne sur le site de Pambazuka News