Mamadou Dia, ou la trajectoire spirituelle d’un politique
Le 25 janvier dernier, à l’âge de 98 ans, décédait Mamadou Dia. L’homme a marqué la vie politique au Sénégal, dans une opposition au pouvoir qui n’a jamais souffert d’aucune compromission. Il avait combattu le pouvoir sous Abdou Diouf et n’a pas démordu de ses positions quand Abdoulaye Wade est arrivé au pouvoir. Compagnon de lutte de l’ancien président Senghor dans la marche vers l’indépendance, il fut le président du Conseil du premier gouvernement du Sénégal, en 1960. Deux ans après, en 1962, accusé de vouloir opérer un coup d’Etat, il est arrêté et emprisonné pendant 12 ans. A sa sortie de prison il s’inscrit dans une logique d’opposition dont il démordra jamais, devenant un leader moral de la contestation contre l'injustice et la mal gouvernance au Sénégal. De nombreux hommages lui ont été rendus après sa mort, dont celui des Sénégalais de Paris, qui ont jeté un regard sur les dimensions spirituelles et philosophiques de son action politique.
La dimension spirituelle de Mamadou Dia, ancien président du Conseil du gouvernement du Sénégal, ayant mené son pays à l’indépendance avec Senghor, serait la base de toute son œuvre. Une leçon que le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne retient de sa trajectoire. Par l’évocation de l’itinéraire soufi de l’homme d’Etat mort le 25 janvier 2009 à l’âge de 98 ans, il lui a rendu hommage le 13 juin dernier, à l’amphithéâtre Emile Boutmy à Sciences-Po Paris.
Le moment était émotionnel et le ton affecté. Le professeur trouvait l’exercice plus redoutable que l’examen d’agrégation. Au final, son intervention a été fort saluée. Selon lui, l’enseignement qu’il tire de la vie du défunt et qu’il voulait partager avec l’assistance « se résume au mot de justice ». En effet, précise Bachir Diagne, « la responsabilité individuelle pleine et entière dans le face-à-face avec Dieu est la voie de cette réalisation spirituelle » sur laquelle le président Dia a écrit et parlé. Or, « cette réalisation ne s’effectue pas dans la voie de la contemplation, mais dans celle de l’action transformatrice dans le monde et s’exerce sur le monde pour l’amener à s’égaler aux exigences de la justice ».
C’est par la liberté que la justice doit advenir au monde. C’est d’ailleurs le seul sens de la liberté, selon Souleymane Bachir Diagne. Cela lui semble « une leçon essentielle du président Dia et qui est avant tout un rappel que les religions (…) sont faites pour des hommes et des femmes libres, rationnels et ouverts (…) afin qu’ils soient encore plus libres (…) et en particulier encore plus ouvert à leur liberté ».
Pour fonder sa lecture de la spiritualité de Mamadou Dia, Bachir Diagne se réfère au livre Islam, sociétés africaines et culture industrielle (M. Dia, Nea, Dakar, 1975). Un ouvrage où, selon l’exégèse du philosophe, l’auteur aurait distingué la religion d’avec les traditions qui se sont déposées sur elle comme des cendres. Aussi établirait-il une égalité primordiale entre la spiritualité et le fait de s’accorder à la source de la religion dans son jaillissement premier, qui consiste à retrouver toujours le sens de l’ouverture à la différence. Mamadou Dia aurait indiqué que la foi authentique ne brille que si elle fait accueil à la possibilité de croire ou de ne pas croire ; que la contrainte est une négation de la foi.
Dans le chapitre introductif de son livre déjà signalé, Mamadou Dia écrit ces mots cités et interprétés par Souleymane Bachir Diagne : « C’est à tort que les idéologies nationalistes cherchent à se fonder sur l’enseignement du Coran pour justifier une passion fanatique et rallumer des querelles que l’humanité a le droit de considérer comme éteinte pour toujours et que la tradition musulmane authentique proscrit. Même le problème des inégalités physiques dans un Etat islamique entre musulmans et non musulmans, le problème du statut des renégats paraissent se fonder moins sur la doctrine pure de l’Islam des premiers siècles seule source authentique que le développement ultérieur du dogme et de la loi sous l’influence d’idées étrangères à l’Islam. » Un propos encore actuel dans un monde rongé par toutes sortes de fanatismes et autres fondamentalismes.
Mamadou Dia a été initié au soufisme à l’âge de 21 ans. Il n’a cessé de le pratiquer qu’à sa mort. Cette initiation soufie, il en aurait toujours parlé « dans le même souffle où il indique l’importance et la nécessité de l’action ». Son idée de la spiritualité serait un « contrat personnel entre le croyant et Dieu (qui) proscrit toute imitation servile et toute dévotion ostentatoire qui veut d’autres témoins que Dieu lui-même ».
En effet, selon Souleymane Bachir Diagne, l’imitation servile est d’une même cohorte que la contrainte. Aussi, « avoir le sentiment que la société pèse de son regard sur les actes de dévotions qui sont les miens, cela est l’équivalent structurel de la contrainte (…). Alors que la spiritualité véritable exige de n’avoir pour témoin que le Dieu unique ». Et dans l’une des deux voies de la réalisation spirituelle du soufi, l’action politique serait au cœur du contrat personnel entre Dieu et le croyant qui cherche « à attirer et à réaliser en lui les attributs seigneuriaux de la totalité ».
Seule la mort ôtera à Mamadou Dia son engagement politique de Mamadou Dia (qui remonte aux années 1946) et le ravira de l’action militante. Or, précise Souleymane Bachir Diagne, « ce n’est pas un moi et une identité de la contemplation qui peut véritablement témoigner de Dieu ; c’est un moi et une identité de l’action (…). Celui qui est en mesure de témoigner de l’unicité de Dieu, celui qui seul peut dire qu’il atteste qu’il n’est de Dieu que Dieu, celui-là ne le fait que s’il a d’abord mis sa propre individualité à l’épreuve de l’action transformatrice sur le monde ».
Selon Bachir Diagne, entre la vie contemplative et la vie active, le mariage est certes difficile, mais rien ne se fait dans le retranchement. Toutefois, quand l’épreuve du retranchement s’impose, il faut la prendre comme telle. « Et c’est ainsi qu’il a accueilli cette épreuve terrible dans sa vie que fut la prison ; il l’a accueillie en homme de spiritualité qui voit dans l’obligation de s’adonner à la vie contemplative un moment privilégié aussi de réalisation ». Oui, en décembre 1962, accusé de tentative de coup d’Etat, Mamadou Dia a été jugé et condamné à la perpétuité par la Haute cour de justice. Il passera douze ans de sa vie, emprisonné à Kédougou, à l’est du Sénégal, avant d’être gracié et libéré en 1974.
* Assane Saada est un journaliste sénégalais vivant à Paris
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