Madagascar : Etat résiduel et forcing capitaliste
Le nouveau président annonce vouloir sortir les Malgaches de la pauvreté et engager le pays vers le « développement », enrayer la corruption, etc., mais la marge de manœuvre pour que cela profite réellement aux larges masses semble bien étroite dans le rapport de forces avec l’impérialisme et les multinationales. ?
La Grande île de l’Océan Indien a enfin, depuis le début de cette année, un nouveau président de la République : Hery Rajaonarimampianina, inamovible ministre des Finances des gouvernements successifs qui ont géré le pays après le coup d’Etat militaro-civil de mars 2009. Pour rappel, ce putsch a fait tomber le pouvoir autocratique et corrompu de Marc Ravalomanana, homme d’affaires et chef religieux protestant réformé, et a installé le clone de ce dernier, le populiste Andry Rajoelina, à la présidence d’une Haute autorité de transition vers une Quatrième République. Les institutions financières internationales ont reconnu que Rajaonarimampianina a réussi à « contenir l’inflation » pendant cette longue transition !
Initialement inspiré par la société civile dès après le coup d’Etat mais instrumentalisé par la suite par la « communauté internationale », le processus électoral de sortie de crise, interdit aux deux tycoons belligérants Ravalomanana et Rajoelina, a connu sur la fin des sommets jamais atteints à Madagascar en matière d’opportunisme politicien. L’expert-comptable diplômé de l’université Trois Rivières, au Canada, a été, dans cette présidentielle, l’homme-lige du putschiste Rajoelina mais s’en est détaché après le scrutin pour pouvoir tenter de mettre en place un rassemblement autour de lui (à la manière du Didier Ratsiraka de 1975) d’une majorité des fractions dirigeantes malgaches.
Les ambitions poutiniennes de l’ex-ambianceur-Dj’ Rajoelina d’accéder à la primature ayant été réduites à néant, les lignes entre ex-amis et/ou ex-ennemis ont effectivement pu bouger et les alliances au sein du microcosme politico-affairiste malgache être redéfinies et construites sur la base des exigences d’un Etat de droit réclamé de toute part mais surtout par les réseaux de société civile et d’une « normalisation » capitaliste (« amélioration » du climat des affaires, baisse de la fiscalité etc., logorhée libérale classique !), énoncée dans l’entre-deux tours, par les institutions financières internationales et leurs alliés et thuriféraires locaux (chambres de commerce, organisations patronales etc.).
Mais le nouveau président malgache, deux mois après avoir été mal élu (par 53% des votants certes ! mais par seulement 25% des inscrits en fait !), a quelques difficultés à construire un gouvernement acceptable par l’ensemble des institutions financières et des puissances étrangères, anciennes comme émergentes (et donc les fractions dirigeantes rivales locales qui leur sont alliées), soucieuses d’abord les unes et les autres de leurs intérêts dans les énormes enjeux stratégiques sur les ressources en cours… Où on voit qu’avoir donné quantité de gages libéraux semble encore insuffisant aux « partenaires » sollicités !
Un nouveau plan d’ajustement structurel, la Snrd ou Stratégie nationale de relance du développement, était d’ailleurs annoncé dès novembre 2013. Cette Snrd est apparemment préparée par les appels lancinants actuels aux investisseurs étrangers avec offres d’accès aux ressources foncières, minières, halieutiques, etc. La reprise des engagements occidentaux (10e Fed - Fonds européen pour le développement, Agoa - African Growth and Opportunity Act qui facilite l’accès des produits du pays au marché américain, etc.) suspendus pour cause de coup d’Etat en 2009 et pénalisant d’abord et surtout la population, pas vraiment les putschistes, est annoncée mais reste conditionnée.
Le sort de la population malgache est aujourd’hui plus que critique : selon la Banque mondiale (en juillet 2013), 92% des Malgaches vivent sous le seuil de pauvreté, soit avec moins de 2 dollars par jour et par personne. Le chaos libéral malgache est rythmé par la conversion idéologique au « Samy mandeha, samy mitady, ’zay voa mandady » (chacun roule et cherche pour soi, le perdant rampera) entamée depuis les années quatre-vingt, aux temps de la faillite du « socialisme administratif » ratsirakien : cette conversion, engagée depuis les privatisations et dérégulations appliquées dans le cadre des ajustements structurels successifs imposés ces 30 dernières années par les institutions financières internationales, fait plus que jamais effet de masse.
À quand alors le réveil du peuple malgache ? Et quel réveil car Madagascar reste aujourd’hui un champ de paradoxes ? Le nouveau président annonce vouloir sortir les Malgaches de la pauvreté et engager le pays vers le « développement », enrayer la corruption, etc., mais la marge de manœuvre pour que cela profite réellement aux larges masses semble bien étroite dans le rapport de forces avec l’impérialisme et les multinationales. Des luttes pour des droits contre des puissances avérées se construisent de façon indépendante çà et là, mais l’appauvrissement extrême chloroforme des pans entiers de la population. Les réseaux de société civile restent potentiellement puissants (de par leur histoire) mais sont relativement affaiblis par leur non-réactivité face à diverses instrumentalisations politiciennes : Madagascar bénéficiera-t-elle d’un positionnement indépendant de la société civile et du mouvement syndical par rapport au cours actuel ?
Détournée, perturbée et réprimée pendant des décennies dans ce pays, la construction dans l’action d’une vision clairement anticapitaliste, si elle ne va pas toujours de soi, fait sereinement son chemin. On sait bien que, dans l’histoire malgache, l’agenda des populations et des mouvements sociaux n’est jamais celui des puissants.
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** Jean-Claude Rabeherifara est sociologue (sources : afriquesenlutte.org)
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