Les exécutions en Gambie trois ans après : Silence, secret et impunité

La violence d’Etat érigée en mode de gouvernance

Trois ans après les exécutions arbitraires de neuf prisonniers en Gambie, toujours pas de réponses pour les familles.

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CFM

Dans la nuit du 23 aAoût 2012, la célèbre prison de Mile 2 a été secouée par les exécutions surprenantes de neuf prisonniers : sept Gambiens et deux Sénégalais. Ces exécutions tant décriées par la communauté internationale ont été ordonnées par le président Yahya Jammeh après trente ans de moratoire sur la peine de mort. Parmi les personnes exécutées, trois n’avaient pas encore épuisé les voies de recours légales et on y comptait un déficient mental et des prisonniers politiques.

Le président Yahya Jammeh a osé publiquement franchir une étape en mettant à exécution les menaces proférées devant la télévision gambienne lors de son message de l’Eid El Fitr, lorsqu’il annonçait que tous les condamnés à mort seront exécutés avant fin septembre, sous prétexte qu’il voulait dissuader les criminels.

Ces exécutions étaient illégales et arbitraires tant sur la forme que sur le fond. Elles ont eu lieu dans un contexte où la plupart des procès qui ont abouti à ces condamnations sont aussi iniques et inéquitables les uns que les autres : les droits de la défense ont été bafoués et des preuves et aveux pour incriminer les accusés, obtenues sous la torture sont utilisées comme c’est généralement le cas dans les procès notamment politiques.

Neuf prisonniers ont été arbitrairement choisis et exécutés et cet acte a fini par révéler la face odieuse du régime de Banjul à ceux qui doutaient encore de l’ampleur des atrocités et des violations des droits humains dans ce pays.

Au-delà de l’illégalité de l’acte, le caractère inhumain de cette décision a été poussé à l’extrême pour refuser aux prisonniers des droits minimaux : pouvoir prononcer leur dernière volonté, parler à leurs proches ou avocats et en ultime ressort, le droit à la sépulture...

Les victimes n’ont pas été ni directement ni indirectement informées à travers leurs familles ou leurs avocats. Pour les étrangers, les missions diplomatiques n’ont pas été informées de la décision de les exécuter. Cette démarche constitue une violation grave du droit international et des règles qui régissent les relations diplomatiques entre Etats.

Dans la nuit du 23 août 2012, beaucoup parmi les prisonniers condamnés ont été bouleversés, la plupart ont été déplacés et mis dans l’isolement, ne sachant pas le sort qui leur sera réservé. L’angoisse aidant, chacun se demandait s’il fera partie ou non des personnes à exécuter cette nuit-là ou dans les jours à venir.

L’horreur de la nuit des exécutions reste encore gravée dans les mémoires de beaucoup de détenus qui ont échappé à la mort grâce à la mobilisation de la communauté internationale. Ces exécutions ont également renforcé le climat de peur collective dans le pays. Les médias qui ont tenté de donner l’information ont été arbitrairement fermés, certains journalistes et les personnes publiques qui se sont opposées à ces exécutions ont été traqués et persécutés.

Personne ne peut expliquer la raison qui a motivé cette décision horrible de passer à l’acte ; les vrais motifs de ces exécutions restent encore et toujours obscurs.

Pourquoi les voies judiciaires n’ont pas été utilisées ? Pourquoi les familles, les avocats et les détenus n’ont pas été informés ? Enfin, pourquoi le gouvernement gambien a, jusqu’à présent, refusé de rendre les corps aux familles ou au moins d’indiquer les lieux où ils sont enterrés ? Autant de questions que continuent de se poser les familles des personnes exécutées comme cette femme dont une proche a été exécutée et qui ne demande que sa sépulture.

La vérité sur ces exécutions illégales et arbitraires et sur tant d’autres cas reste encore gardée au secret, l’impunité perdure, mais pour combien de temps encore ! Les Rapporteurs spéciaux des Nations Unies sur la torture et les exécutions sommaires ont indiqué après leur mission de novembre 2014 des préoccupations qui ne doivent plus laisser la Cedeao et l’Ua dans leur mutisme sur la Gambie. La Commission africaine des Droits de l’homme et des peuples a exigé une mission d’établissement des faits depuis février 2015 ; au-delà des résolutions, elle doit conditionner sa coopération avec la Gambie au respect de ses décisions et ne plus y tenir ses sessions tant que les violations continuent.

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** Fatou Jagne Senghor est Directrice régionale de Article 19 Afrique de l’Ouest

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