Le parlement panafricain, qui représente-t-il ?

Les membres du parlement panafricain  sont choisis par l’Exécutif de leur pays respectif, par les mêmes chefs d’Etat qui détiennent en dernier ressort le pouvoir dans l’Union africaine. Comme si cela ne suffisait pas, le Pp n’a qu’un pouvoir consultatif. Les efforts pour changer cet état des choses, afin que la population africaine ait une représentation significative, rencontrent une résistante continue. La population africaine doit faire de gros efforts afin de transformer cet organisme important qu’est l’Union africaine.

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Zegabi News

Un appel lancé par Pambazuka News pour des contributions à une édition spéciale (http://www.pambazuka.org/newsletter - édition n° 775) a soulevé nombre de questions importantes concernant le panafricanisme au 21ème siècle et le rôle de l’Union africaine dans la promotion ou  l’empêchement de sa réussite. Parmi ces questions  on se demandait : «L’Union africaine est-elle la bonne institution pour promouvoir et protéger l’unité africaine ?», «L’Union africaine doit-elle être restructurée afin de devenir une véritable institution centrée sur les populations ?», «Que doit-on faire pour que l’Union africaine et les Etats membres dépassent les questions de chartes, conventions et protocoles ?» et «L’unité des peuples africains est-elle toujours possible dans ce monde globalisé ?»

Cet article va tenter de contribuer au débat en dépassant les questions de chartes, conventions et protocoles.

Il est évident que dans un court article comme celui-ci, on ne peut prétendre décrire le statut du panafricanisme du 21ème siècle, encore moins discuter ses réalisations historiques ou ses origines. Toutefois il est important de souligner que «le panafricanisme est une idéologie et un mouvement qui encourage la solidarité des Africains dans le monde entier». Il est basé sur le credo que l’unité est vitale pour le progrès économique, social et politique et vise à «unifier et à encourager les populations d’origine africaine». [1]

L’Union africain a été fondée en 2000 afin de poursuivre, à l’instar de son prédécesseur l’Organisation de l’unité africaine (Oua), le travail du mouvement panafricain au cours du 21ème siècle et, en particulier, de contribuer à l’intégration régionale et au développement socioéconomique de l’Afrique. Cet objectif, l’Oua a été incapable de l’atteindre. [2] L’Union africaine allait être différente de l’Oua en terme de processus décisionnel. Les chefs d’Etat et de gouvernement, rassemblés à Lomé au Togo, ont adopté l’Acte constitutif de l’Union africaine du 11 juillet 2000 et l’ article 17, contient les dispositions pour la création du Pp, afin de «permettre la totale participation de la population africaine dans le développement et l’intégration régionale de l’Afrique». [3]

La session inaugurale du Pp a eu lieu le 18 mars 2004 à Addis Ababa, en Ethiopie, et son quartier général a été établi à Midrand, en Afrique du Sud. [4] Plus de dix ans après sa création, le Pp est toujours un organe consultatif qui ne peut que faire des recommandations ou donner son avis à l’assemblée des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine. Toutefois, le désir de changer cette situation s’est manifesté le 27 juin 2014 à Malabo, en Guinée équatoriale, au cours du 23ème sommet ordinaire de l’Union africaine. A ce sommet, les chefs d’Etat et de gouvernement ont adopté le Protocole additionnel  de l’Acte constitutif en relation avec le parlement panafricain. [5]

L’adoption de ce protocole représente un changement fondamental qui vise à augmenter la participation de la population africaine aux affaires du continent. Par exemple le Protocole additionnel au Pp lui accorde le pouvoir de développer et de présenter des lois uniformes (connues sous le nom de lois modèles) à l’Assemblée des chefs d’Etat et de gouvernements de l’Union africaine. [6] Un autre changement fondamental proposé par le Protocole inclus la sélection des membres en dehors des parlements ou sénats nationaux. Cette disposition n’a pas particulièrement plu aux membres actuels du parlement qui sont directement choisis dans leur parlement ou sénat national.

Le Protocole demande aussi que les Etats membres démontrent leur engagement total à l’encontre du corpus législatif du continent, en finançant entièrement la participation de leur cinq députés au parlement. [7] Cette disposition ne fût pas non plus bien accueillie, les actuels membres craignant que ceci crée des inégalités en matière de rémunération et allocations.

En dépit du désir d’accorder plus de pouvoir au parlement par l’adoption du Protocole en juin 2014, les Etats membres de l’Union africaine semblent peu désireux de donner plus de pouvoir aux Africains - au travers des membres du Parlement - qui leur permettraient de prendre part au processus décisionnel de l’organe  du continent. Presque deux ans après l’adoption du Protocole, le 1er  avril 2016, seul le Mali l’a ratifié. La République du Mali s’est engagée en faveur des dispositions du Protocole le 14 janvier 2015. [8]

En revenant à l’idée que la création de l’Union africaine est en partie issue du mouvement panafricain du 21ème siècle et au fait que les chefs d’Etats et de gouvernement, en fondant l’Union africaine voulaient que la population africaine joue un rôle plus important dans le processus d’intégration régionale et le développement socioéconomique de l’Afrique, il est légitime de se demander pourquoi les dirigeants résistent à l’élection des membres du parlement directement par la population. N’est-ce pas une contradiction lorsque les dirigeants africains affirment qu’ils croient aux aspirations d’unification de la population africaine et au développement du panafricanisme tout en excluant sa participation ?

Le fait que les actuels députés au parlement sont nommés par l’Exécutif de leur pays respectif - et parfois sans s’arrêter pour se demander si la personne est la bonne personne pour représenter la population au parlement - est en contradiction avec le discours des chefs d’Etat et de gouvernement d’impliquer les Africains dans les affaires de l’Union africaine et ainsi réaliser les aspirations du panafricanisme. Une autre question importante qui se pose est de savoir pourquoi les dirigeants africains adoptent un document sachant qu’ils ne s’engageront pas ou feront le moins possible pour la mise en œuvre de ses dispositions ?

Le fait est qu’il n’y a pas que le Protocole qui a été adopté sans être mis en œuvre par les Etats membres de l’Union africaine. Il y a cinquante traités, chartes, protocoles et conventions que l’Oua et l’Union africaine ont adopté depuis 1963. Le degré de mise en œuvre de ces instruments légaux divers, au niveau des pays, est vraiment inacceptable. De plus, si l’on considère qu’au cours des deux dernières années seule la République du Mali a ratifié le Protocole, il est permis de se demander, au rythme d’un pays tous les deux ans, quand est-ce que les 28 ratifications nécessaires à l’entrée en vigueur seront enfin obtenues.

On ne peut qu’espérer que l’adoption du Protocole n’est pas juste une répétition d’une autre formalité de la part des dirigeants africains qui n’ont pas véritablement envisagé les implications de leur action. Lors d’une réunion de parlementaires régionaux de l’Afrique de l’Est, organisée en novembre 2014 par les dirigeants du Pp afin de promouvoir la ratification et la mise en œuvre au niveau national de la Charte africaine pour les Elections, la démocratie et la gouvernance, il était évident qu’il n’y avait pas (il n’y a peut-être toujours pas !) de soutien en faveur du Protocole parmi les nombreux parlementaires nationaux et les membres actuels du Pp. Malheureusement ces deux catégories de personnes sont très  importantes pour pousser à la ratification au niveau national. Considérant l’expérience de la réunion des parlementaires régionaux susmentionnée, nombres d’Africains peuvent se demander pourquoi nous élisons des dirigeants dans nos parlements  et sénats nationaux qui ne nous représentent absolument pas.

On peut avancer qu’il y a une forte corrélation entre les choix des citoyens le jour des élections et le genre de leadership que nous voyons dans nos pays respectifs, tant au parlement que dans l’exécutif. Ceci s’applique également au comportement actuel de certains chefs d’Etat et de gouvernement au niveau de l’Union africaine et parmi les membres du Pp, parce qu’ils sont le résultat - selon la volonté populaire ou non - des élections au niveau national. Même si le Protocole n’est pas ratifié au cours des dix prochaines années, il y a toujours  moyen de réformer le Pp en faisant des choix judicieux lors des élections nationales. Les membres du Pp qui représentent un Etat membre de l’Union africaine donné représentent la maturité politique de ce pays : ce qui dit aussi si, véritablement, il représente, ou non, la population de ce pays.

Pour revenir à la question initiale de cet article, à savoir «Qui est représenté dans le parlement panafricain ?», la réponse dépend de la maturité politique de chaque délégation nationale. Le rôle, l’indépendance et le degré de représentation de la population africaine au Pp dépend largement des choix de chaque Etat membre constituant l’Union africaine. Si le pays X mène des élections crédibles pour élire des membres du parlement qui représentent véritablement la population, ce choix sera manifeste au niveau du Pp. En effet, ce pays est bien plus susceptible de choisir ses députés au Pp en vertu de leur rôle et responsabilité de membre du Pp plutôt qu’en raison de leur appartenance régionale, partisane, ethnique et autres raisons fallacieuses. Si tous les Etats membres de l’Union africaine en étaient à ce stade de démocratisation, l’actuel Pp serait le véritable représentant de la population africaine. Malheureusement ce n’est pas le cas. Dans de nombreuses nominations par l’Etat, les députés au Pp sont choisis en fonction de calculs politiques dans leur pays respectif plutôt qu’en fonction de leurs mérites.

La méthode de sélection actuelle, conjuguée au fait que l’organisme n’est rien de plus qu’un organe consultatif, montre l’urgence qu’il y a à ratifier le Protocole afin que le Pp devienne véritablement représentatif des populations africaines. Cet article reconnaît qu’il y a des Africains qui ne croient pas du tout en l’Union africaine et à ses nombreux organismes. Ils sont bien sûr libre de leur opinion, mais celle-ci apparaît peu constructive parce que l’Union africaine ne peut réussir que si tous les Africains - ou tout au moins la majorité - lui accordent le soutien dont elle a un pressant besoin.

L’aspiration de l’Union africaine de travailler en faveur d’une intégration régionale et au développement socioéconomique de la population africaine est atteignable. Mais ceci requiert le soutien des Africains et de leurs dirigeants. Actuellement, le Pp peut être une authentique représentation des Africains si nous le voulons. Le Pp peut contribuer  à l’intégration régionale des pays africains ; il peut contribuer à atteindre le développement socioéconomique auquel les Africains aspirent à la condition que les Africains aient suffisamment de maturité politique pour élire les personnes adéquates (sous le statut actuel du Pp) dans leur parlement et sénat nationaux. Ou pousser vers la ratification  et la mise en œuvre du Protocole qui leur donne le droit d’élire directement les membres du Pp.

En conclusion, pour que les aspirations du panafricanisme deviennent réalités, il doit devenir conviction et engagement individuels. Le panafricanisme n’est pas une idée abstraite. Il peut être atteint si les la population africaine croit et veut vraiment œuvrer  à l’unité de l’Afrique afin de réaliser des progrès socioéconomiques. Le Pp est l’organe clé de l’Union africaine mais il ne peut aboutir que si la population veut qu’il aboutisse.

Au final, nous ne devons pas blâmer l’Union africaine et ses organes. Chacun doit se demander comment faire pour élire les bons dirigeants africains parce que ce sont eux qui feront aboutir l’Union africaine et ses organes comme le Pp. Le panafricanisme du 21ème siècle est réalisable mais nécessite les efforts concertés de la population africaine. Un des moyens pour y parvenir est de s’assurer que la population africaine a son mot à dire dans les organes clés comme l’Union africaine et le Pp.

NOTES

[1] See African Union. (2013). AU Echo, Special Edition for the 20th AU Summit, Issue 05, 27 January. Addis Ababa: African Union. p. 1.

[2] Murithi, T. (2007). ‘Reflections on Leadership: From the OAU to the AU’. Conflict Trends. Vol. 2. pp.8-14.

[3] Constitutive Act of the African Union, Article 17 http://www.au.int/en/sites/default/files/treaties/7758-treaty-0021_-_con... accessed on 7 May 2016

[4] The Pan-African Parliament: http://www.panafricanparliament.org/about-pap accessed on 5 May 2016

[5] See http://www.au.int/en/treaties/protocol-constitutive-act-african-union-re... accessed on 7 May 2016

[6] Idem

[7] Idem

[8] Ratification status of the Protocol to the Constitutive Act of the African Union relating to the Pan-African Parliament:see http://www.au.int/en/sites/default/files/treaties/7806-sl-protocol_to_th... accessed on 6 May 2016

 

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** Yves Niyiragira commente et écrit sur les affaires africaines. Il est actuellement le directeur exécutif de Pambazuka News. Ce qui précède n’engage que lui et ne représente pas nécessairement les vues de Fahamu.

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