Le déclin des syndicats nigérians
A leur apogée, le leadership des syndicats a joué un rôle inestimable dans le progrès de la société nigériane. Il a organisé les masses et promu leurs intérêts contre des relations exploitantes, manipulatrices et injustes. Il a participé au processus de décolonisation et a lutté contre les régimes néocoloniaux pour obtenir des concessions afin de protéger les intérêts socioéconomiques des laissés pour compte. Mais les évènements récents montrent que leur faiblesse prépare aux masses et aux travailleurs des lendemains difficiles.
Lorsque le gouverneur controversé de la Central Bank of Nigeria (CBN), Mallam Sanusi Lamido a mis les pieds dans le plat, encore plus que d’habitude, en insultant l’intelligence des masses nigérianes lors de la deuxième retraite de l’Annual Capital Market Committee à Warri, dans l’Etat du Delta, en déclarant "qu’au moins la moitié des forces de travail nigérianes devrait être mise à la porte", nombreux ont été ceux qui ont pensé qu’il avait pris le tigre par la queue et qu’il allait devoir en subir les conséquences. Selon le gouverneur, le Nigeria dépense près de 70% de ses recettes en salaires et émoluments pour les fonctionnaires. Diviser en deux ce montant libérerait de l’argent pour des infrastructures pour le développement, a-t-il avancé.
Dès que j’ai lu sa proposition dans Punch Newspaper, j’ai pensé pouvoir prédire la réaction à ce commentaire, me disant que les dirigeants du National Labour Congress (NLC) allaient se manifester immédiatement par un communiqué vilipendant Sanusi et peut-être demandant sa démission ; la société civile se lèverait comme un seul homme pour réprimander l’homme de main du capitalisme ; nos trop zélés Femi Falana et d’autres "camarades en toge" instruits et préoccupés, mettraient en garde cet agent de destruction pour qu’il surveille son langage ; nos gratte-papier si articulés commenceraient à ouvrir nos yeux sur le degré élevé de corruption et sur l’argent qui s’accumule dans la Banque Centrale sous l’égide de Sanusi et l’Assemblée Nationale lui enjoindrait d’arrêter de surchauffer la scène politique. Puis tout un chacun, y compris le NLC, retournerait à son sommeil et Sanusi continuerait de profiter de tout le luxe que sa fonction lui procure. Après tout, on est au Nigeria et il est attendu de tout le monde d’avoir la mémoire courte.
Dans chacune des manifestations qui ont eu lieu depuis la déclaration provocante et anti-populaire, il s’avère que l’auteur avait raison. Curieusement, le seul incident inattendu venu s’ajouter à l’affaire a été l’entrée en scène du Congress for Progressive Change (Cpc) qui a sévèrement critiqué les dirigeants du Nlc pour avoir appelé à la démission de Sanusi. Pour ce parti, le patron du Cbn n’est rien de plus qu’un individu incapable d’influencer la politique du pouvoir exécutif. On mesure, à travers cette déclaration, le degré d’intelligence de ceux qui composent le Cpc. Elle indique aussi qu’en matière de politique tous les actuels partis politiques capitalistes du Nigeria sont du même acabit.
Mais comment pourrait-on critiquer la position du Cpc ? Après tout, l’un de ses dirigeants, Mohammadou Buhari, a déclaré lors de l’un de ses débats présidentiels en 2011 qu’il n’y a rien de mauvais dans le système d’instruction du Nigeria. Pour lui " tout est parfait".
Au-delà de ces considérations, les propos de Sanusi et du Cpc sont le reflet de l’érosion du potentiel hypothétique d’intimidation du leadership de la Nlc. Ils le font apparaître comme un tigre en papier qui ne fait que paraître effrayant, alors qu’il est dépourvu des véritables attributs du tigre. Dans un climat capitaliste, l’évocation d’un syndicat suffit pour intimider les cercles oppresseurs de la classe dirigeante. Même le président d’un pays ne peut pas s’autoriser à dire que les travailleurs ne sont pas utiles. Idem pour les partis politiques. Le pouvoir que les dirigeants des syndicats exercent sur les masses devrait être suffisant pour contraindre les politiques à montrer des égards à l’endroit du leadership du Nlc. Mais c’est à la situation contraire qu’on assiste. Qu’un parti politique, qui dépend toujours du vouloir des population, puisse dire aux dirigeants du Nlc d’aller au diable et "d’arrêter d’être hypocrites" est un triste constat du niveau de popularité du Nlc.
Sanusi peut être tout sauf bête. Il connaît le Nigeria et sait que c’est le seul pays où un agent du gouvernement peut faire une telle déclaration sans que les syndicats exigent sa démission. Dans un autre contexte, son mandat serait terminé à l’heure qu’il est. Mais la Nlc n’est qu’un tigre en papier dont les menaces ne dépassent pas les pages des journaux.
A leur apogée, le leadership des syndicats a joué un rôle inestimable dans le progrès de la société nigériane. Il a organisé les masses et promu leurs intérêts contre des relations exploitantes, manipulatrices et injustes. Il a participé au processus de décolonisation et a lutté contre les régimes néocoloniaux pour obtenir des concessions afin de protéger les intérêts socioéconomiques des laissés pour compte. Il s’est souvent insurgé contre le laxisme, la négligence et la corruption dans la gestion des affaires de l’Etat et a promu un projet national relativement unifiant, à la différence des politiques de la classe dirigeante de l’époque post-coloniale nigériane qui divisaient.
L’ironie c’est qu’on ne peut pas en dire autant de l’actuelle brochette de dirigeants. Alors que la situation au Nigéria continue de se dégrader, les petits progrès réalisés par les mouvements syndicaux en faveur des travailleurs sont entrain d’être érodés. Les travailleurs sont maintenant plus inquiets, déconcertés et perturbés, attendant de leurs dirigeants qu’ils leur montrent un chemin concret pour aller de l’avant. Mais ce leadership est occupé à vivre des romances et des dîners avec la classe dirigeante.
La façon décevante dont le Nlc a mis un terme aux protestations de masse en janvier est encore fraîche dans les mémoires des masses, les dirigeants syndicaux affirmant qu’ils ont agi de la sorte parce que l’administration Jonathan a promis d’implanter des programmes qui amélioreraient le sort des masses de travailleurs. Malheureusement, le résultat démontre la futilité qu’il y a à être doux et conciliant face à des voyous. A peine deux mois plus tard, le même gouvernement a ouvertement suspendu l’implantation des "palliatifs" limités proposés à cet égard, et le prix du carburant est vendu - quoique officieusement - au tarif de 120 nairas dans de nombreux Etats du pays.
Le résultat de telles trahisons est visible dans l’autorité déclinante du Nlc sur les syndicats de l’industrie, entraînant le mécontentement parmi les troupes, le déclin de la popularité des représentants syndicaux, une apathie et un abattement croissants des travailleurs. Lorsqu’un nombre considérable de sections du Nlc livraient bataille au gouverneur de leur Etat pour n’avoir pas appliqué la règle du salaire minimum de 18 000 nairas, il n’y a eu aucune réponse concrète de la part du leadership national. Lorsque le travail intérimaire est devenu une politique principale dans de nombreux Etats du sud-ouest et que le gouvernement fédéral a proposé son "U-Win", le leadership national a froidement refusé de combattre les maléfices du capitalisme. De même, pendant que les universités dans tout le pays augmentaient les frais d’inscription à des niveaux astronomiques, au-delà de la portée des citoyens ordinaires et que les syndicats progressistes sont proscrits, le Nlc et son homologue du Trade Union Congress (TUC), ont simplement ignoré la situation.
Des compromis déguisés en consultations remplacent les méthodes syndicales établies de confrontation. La stratégie fallacieuse d’accord supplante les principes enracinés dans l’idéologie comme tactique de lutte. La pertinence sociale des syndicats va rapidement avoisiner zéro et la pertinence politique des dirigeants syndicaux a été diluée. La situation est encore plus déconcertante au niveau des Etats. De nombreux responsables paradent simplement entre le paraétatique et la maison du gouverneur, demandant des nominations et des contrats afin de gonfler leur propre bourse. Jamais la situation des syndicats nigérians n’a été aussi difficile.
Les objectifs des travailleurs ne peuvent être atteints par un groupe de dirigeants qui disent une chose en public et une autre en privé. Ils ne peuvent être réalisés par un groupe de dirigeants qui déclameront les principes du socialisme du haut d’une tribune seulement lorsqu’ils veulent quelque avantage pécuniaire. Les dirigeants actuels du NLC et du TUC ne donnent plus de directions.
Maintenant que le financier de la classe dirigeante nigériane a parlé, le Nlc ne doit pas se leurrer et croire que Sanusi a parlé tout seul. Il a révélé de façon tactique ce que le gouvernement Jonathan a en réserve pour les masses nigérianes après les élections de 2015 : les syndicats et les masses feraient bien de se préparer pour les batailles à venir.
Dire que les interventions du Nlc sont cruciales pour la croissance et la durabilité d’un véritable développement au Nigeria ne fait pas de doute. Mais la capacité du Nlc à jouer un rôle actif dans la promotion de ces principes, ainsi que sa capacité à servir de porte-parole des masses ont été sévèrement affaiblies au cours des cinq dernières années. Pour que le Nlc et le Tuc soient de nouveau sérieusement pris en compte, aussi bien par l’Etat que par les employeurs, ses dirigeants doivent réfléchir à leurs actions.
Enfin, alors qu’il est considéré que le leadership actuel des syndicats peut apprendre à faire mieux avec le temps, une inconstance délibérée, qui devient presque la norme, n’annoncera pas seulement la faillite des syndicats. Elle érodera également la confiance de toute la population. Il s’en suit que l’actuel leadership des syndicats doit se reprendre. A défaut ils resteront stagnants, non seulement à leurs propres risques et périls, mais aussi aux risques et périls des masses qui attendent les syndicats comme les sauveurs.
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** Adelawe Stephen est basé au département d’histoire de l’université de Obafemi Awolowo de Ife Ife, Etat d’Osun, Nigeria – Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger
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