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C’est sur la compréhension de la notion de segmentation du « marché politique » que Jean-Louis Robinson a fait une grossière erreur dans la campagne pour le second tour, tandis que Hery Rajaonarimampianina y a grappillé des voix. On ne peut pas se prétendre rassembleur, et entretenir par la parole des clivages au sein de la population.

Afin de ne pas avoir la prétention de nous substituer à la Cour électorale spéciale (Ces), nous nous abstiendrons avant son verdict de nous positionner dans le débat actuel sur le vainqueur des élections présidentielles. La seule chose que nous pouvons constater à l’heure présente est un pays divisé en trois : ceux qui ont voté pour Hery Rajaonarimampianina ; ceux qui ont voté pour Jean-Louis Robinson ; et ceux qui n’ont voté ni pour l’un, ni pour l’autre. Majorité silencieuse, majorité blasée, majorité qui s’en fout ? Mais au-delà de cette découpe simpliste, chacun de ces groupes va avoir ses déclinaisons.

Certains ont voté pour Hery Rajaonarimampianina parce qu’ils étaient convaincus par lui ; d’autres parce qu’il était soutenu par Rajoelina ; d’autres parce qu’il était le représentant de la Révolution orange ; et d’autres parce qu’ils n’aimaient pas Marc Ravalomanana. Le même genre d’arguments, mais dans le sens contraire, peut se retrouver chez les électeurs de Jean-Louis Robinson. Et enfin, parmi les 50% d’abstentionnistes, il y a également des nuances entre ceux qui étaient attachés à un candidat particulier vaincu au premier tour, et qui ont refusé de s’intéresser à un duel sans celui-ci au second ; ceux qui pensaient que de toutes façons le régime hâtif allait se livrer à des fraudes massives, et qu’il était donc inutile de voter ; ou ceux qui pensaient que cette élection ne servait à rien, car quel qu’en soit le résultat, elle ne permettra pas de résoudre la crise. Il faut donc avoir une capacité d’analyse assez étriquée comme certains bonnets d’ânes du forum qui se reconnaîtront pour s’accrocher à des équations pour simples d’esprit du style « anti-Rajoelina » = systématiquement « pro-Ravalomanana ». Tout comme il serait faux de considérer qu’être anti-Ravalomanana, c’est être dans tous les cas un pro-Rajoelina. Ou encore, qu’être pro-Rajaonarimampianina, ce serait être pro-Rajoelina ; et que pro-Robinson = à coup sûr pro-Ravalomanana.

C’est sur la compréhension de cette notion de segmentation du « marché politique » que Jean-Louis Robinson a fait une grossière erreur dans la campagne pour le second tour, tandis que Hery Rajaonarimampianina y a grappillé des voix. Le candidat du parti Avana, soutenu par la mouvance Ravalomanana, a oublié que les électeurs malgaches n’étaient pas tous des « zanak’i Dada ». Dr Robinson devait donc tenter de séduire bien au-delà de ce cercle, qui ne pouvait en aucun cas représenter la majorité des électeurs, et aurait également dû s’adresser en plus :

- aux légalistes, qui étaient anti-Rajoelina sans être pro-Ravalomanana (comme votre serviteur) ;
- aux partisans de la Révolution orange qui ont été déçus des résultats désastreux accumulés depuis 2009, et les utiliser pour renforcer le vote-sanction ;
- aux 40% d’abstentionnistes au premier tour ;
- à ceux qui ont voté pour d’autres candidats.

Mais malheureusement, il a fait le choix de se comporter en candidat des « zanak’i Dada », clan limité en nombre, et à les caresser dans le sens du poil sur des thématiques qui les séduisaient (promesse de nommer Neny comme Premier ministre, etc.). Les résultats ont suivi, mais pas dans le sens escompté, aussi bien sur les votes en sa faveur que sur le taux de participation au vote. En outre, l’utilisation de certains termes (foza etc.), qui est acceptable dans une conversation privée (ou sous la plume d’un éditorialiste...), est par contre tout à fait impropre dans la bouche de quelqu’un qui a pour ambition d’être le président de tous les Malgaches. On ne peut pas se prétendre rassembleur, et entretenir par la parole des clivages au sein de la population. Utiliser ce terme ne pouvait pas être accepté chez un candidat à la Magistrature suprême, ni comme un mot d’esprit, ni comme un trait d’humour.

On notera également la médiocrité des prestations de Dr Robinson lors des débats télévisés. Agressif, mais sans pouvoir être en contrepartie une force de proposition en-dehors de la résurrection du Madagascar Action Plan (MAP), distancé à plusieurs reprises par son adversaire sur la maîtrise des chiffres et des dossiers, sans vision innovante en dehors de son secteur d’origine qu’est la santé, avec en plus de temps à autre des blagues foireuses, c’est sans doute sur ces trois rencontres télévisées qu’il a perdu l’élection. Ses prestations ont découragé ses soutiens modérés, et a éloigné irrémédiablement beaucoup d’abstentionnistes du premier tour.

Résultat : une baisse du taux de participation par rapport au premier tour, au lieu de voir un afflux de votants en sa faveur ; une perte de certaines régions où il était en position de force, malgré la contribution de certains politiciens éminents dans les zones côtières. Les 250 000 voix qui lui manqueront pour remporter l’élection correspondent probablement à 250 000 téléspectateurs. Rappelons que tous les livres de communication politique enseignent une chose : dans une élection, on ne convainc pas les électeurs en se contentant de critiquer l’adversaire, mais en faisant d’abord et surtout valoir ses propres qualités ainsi que la pertinence de sa vision par rapport aux enjeux.

À ceci s’ajoute que Dr Robinson a été dès le départ phagocyté par un cercle, qui a filtré jusqu’à la déraison l’accès à quelqu’un qui devait pourtant s’approcher du maximum de personnes. Des « petits » candidats comme Patrick Raharimanana et Vahombey ont révélé avoir été traités avec dédain par le staff de Dr Robinson. Des gens qui ont tenté de le contacter pour proposer des conseils ou leur soutien ont vu leurs approches classées sans suite, et ont constaté que leurs conseils auraient pourtant pu être profitables à Dr Robinson. Celui-ci a été entouré d’un cercle d’amateurs et d’aventuriers, à laquelle se sont associés les faucons de Ravalomanana. Sont-ce ces derniers qui le poussent à refaire le schéma de 2002 ?

Tous ces gens l’ont coupé des réalités, l’ont maintenu sous vase clos, et ont bridé un candidat au naturel ouvert et sympathique qui avait un réel potentiel. La récente guéguerre de communication au sujet des finances de campagne mettant aux prises l’équipe de Dr Robinson et celle de la mouvance Ravalomanana illustre également que la greffe artificielle a du mal à croitre dans la stabilité. On voit également dans cette situation les lacunes d’un candidat devenu favori (ou super-outsider) par hasard, qui s’était plus préparé à jouer les figurants Zevira, mais qui s’est retrouvé à jouer les premiers rôles. Il n’a donc pas vraiment eu de stratégie cohérente ni de sherpa expérimenté pour l’éclairer. Résultat : beaucoup de bricolage, et un patchwork hétéroclite entre ce qu’il voulait, et ce que le clan Ravalomanana désirait : le retour de Dada.

Concernant certaines anecdotes de campagne qui ont fait les choux gras des feuilles de choux sensationnalistes, telles que l’appartenance de Dr Robinson à la Franc-maçonnerie, sa prétendue ébriété un après-midi à l’IEP ou son statut de métis, je doute que cela ait vraiment eu une importance sur le vote. Les crânes d’œuf et cervelles de moineaux qui ont agi dans la manipulation à outrance de ces thématiques ont juste montré la profondeur de leur (ca)niveau.

UTILISER LE SYSTEME POUR LE COMBATTRE ET LE CHANGER

L’idée n’est pas de se résigner ou de gober l’inacceptable, mais de le faire dans les formes et les normes. Je suis le premier à dire que ces élections étaient loin d’être idéales, propres, fiables et démocratiques : la démocratie aurait voulu que Ravalomanana ait une chance de se présenter face au verdict des électeurs. Je suis le premier à dire qu’il y a de fortes réserves sur les accointances entre Mme Attalah et le clan Rajaonarimampianina, et ce, depuis le passage de la magistrate dans cette usine à réseau qu’est le Centre d’études diplomatiques et stratégiques (Ceds), prémices à son intégration dans le cabinet du ministère des Finances. Je suis le premier à dire que l’histoire de la Ces est loin de rassurer quant à son indépendance et sa capacité à éviter les considérations politiques, qu’il s’agisse des jugements contradictoires entre Ces 1 et Ces 2, mais aussi dans le timing farfelu de l’abrogation du décret scélérat d’août 2013.

Mais même dans ce contexte qui prête à questionnement, il faut un jour accepter de mûrir pour apprendre à jouer dans le cadre des institutions existantes, et se débrouiller pour faire valoir ses droits. Par exemple, je m’étonne toujours qu’au-delà des effets d’annonce et de bluff, l’équipe de Dr Robinson n’ait toujours pas été fichue de sortir sur Internet un tableau comparatif des résultats par bureau de vote entre ce que la Ceni-T a publié, et les propres chiffres qu’elle aurait en sa possession. Cela aurait pourtant été un bon départ pour prendre à témoin les citoyens, les observateurs nationaux et internationaux, ainsi que la société civile.

Une fois encore, j’assume ma position de légaliste anti-coup d’État, tout en revendiquant de ne pas être un « zanak’i Dada ». Et j’ai déjà eu à plusieurs reprises l’occasion de critiquer le choix insurrectionnel de Marc Ravalomanana le 22 février 2002, qui est en bonne place dans la source des problèmes que nous affrontons aujourd’hui. Je n’ai jamais été convaincu par le mythe du « premier tour dia vita » de 2002, qui n’était qu’une construction affabulatrice pour éviter de passer au second tour. J’exprime des réserves identiques, sinon encore plus fortes, sur toute démarche insurrectionnelle pour 2013. Car entre 2002 et 2013, il y a une grande différence.

Premièrement, en 2002, la société civile malgache, avec l’appui des bailleurs de fonds, avait pu bâtir un Consortium d’observation dont les résultats partiels avaient pu servir de prétexte au coup d’État (déclaration de victoire de Marc Ravalomanana avec 50,49% des voix par son directeur de campagne sur la base des résultats de 75% des bureaux de vote traités par le Consortium). Deuxièmement, en 2002 le pays sortait d’un quinquennat plus ou moins stable politiquement et économiquement, alors que 2013 a été précédé d’une crise politique aux effets socio-économiques sévères.

Dans ces conditions, les finances publiques, les entreprises et les citoyens seraient-ils encore capables d’une aventure insurrectionnelle aux résultats aléatoires ? Les choix à faire dépendent de façon collective des deux candidats au second tour, qui doivent marcher l’un vers l’autre vers l’apaisement et la réconciliation, et se débarrasser des chaînes avec les bords extrémistes de leurs camps. Et si jamais Hery Rajaonarimampianina devenait président, il devrait se rendre compte que son premier opposant risque d’être... Rajoelina, et qu’il lui faut une base de contrepoids solide, qui pourrait passer par une alliance avec des pro-Ravalomanana modérés afin de créer une masse critique centriste et centrale entre les faucons et les vrais de chaque camp. « Paris vaut bien une messe », disait Henri IV pour justifier sa conversion du protestantisme au catholicisme...

Sur la base du paragraphe qui précède, je m’estime entièrement libre d’apporter des critiques constructives pour éclairer le chemin de Dr Robinson, et lui permettre de remettre son équipe en ordre de bataille à l’aube du combat pour faire valoir ses droits qu’il estime spoliés. S’il veut démontrer qu’il a une quelconque légitimité à représenter la majorité des électeurs, il doit commencer par dépasser l’envergure d’un simple chef de clan. Et surtout, se garder d’imiter les illuminés qui, sur la base de 150 000 personnes sur une place publique, ont prétendu être investi d’une mission au nom du peuple malgache. Dans le choix de sa route future, Robinson doit faire le tri entre ce qu’il veut, ce qui est bon pour le pays, et ce que Marc Ravalomanana veut.

Les conseilleurs ne sont jamais les payeurs, et les va-t-en-guerre de forum à plusieurs milliers de kilomètres du théâtre des opérations (ou même à Antananarivo) n’ont jamais su démontrer leur capacité en cinq ans à faire la conquête de la rue face aux bidasses à la solde d’Andry Rajoelina. Qu’est-ce qui a changé depuis, à part la démonstration par les urnes que Ravalomanana et Rajoelina ne rassemblaient plus sur leurs noms qu’un électeur sur quatre, tandis qu’un électeur sur deux ne leur accorde aucun intérêt ? Si Dr Robinson ne pèse pas correctement tous les paramètres, il finira par se retrouver isolé comme sur une île déserte, abandonné de ceux qui se prétendaient être ses fidèles, sans même un Vendredi pour lui servir de compagnon.

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** Cet éditorial de Ndimby A. a été publié dans Madgascar Tribune

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