La Justice transitionnelle au Mali : Etat des lieux
Trois ans après le coup d’Etat militaire, le Mali cherche aujourd’hui à sortir des crises multidimensionnelles qui l’ont ébranlé jusque dans ses fondements. La réconciliation se trouve au centre de toutes les actions nationales et internationales actuellement menées. Elle constitue aussi une préoccupation générale et un idéal pour les Maliens. Mais le processus appelle des changements dans les attitudes, les émotions, les sentiments, les aspirations et aussi les croyances. Tout comme il est clair que la réconciliation n’exclut pas la justice.
Le désordre politique, social et institutionnel qui s’est installé au Mali en 2012 a débouché sur un renversement du régime, légal et constitutionnel de l’ex-président Amadou Toumani Touré. Depuis lors, la spirale de la crise semble sans fin, avec des espoirs de solution toujours différés ou anéantis.
Le 22 mars 2012, la mutinerie qui a éclaté dans le camp Soundiata de Kati s’était achevée dans un coup d’Etat. Résultat : un pays disloqué. Le Mali en était arrivé là quelques mois après une montée en puissance de la rébellion armée du Mouvement national de libération de l’Azawad (Mnla), suivie de l’occupation des trois régions du nord du pays - Tombouctou, Gao et Kidal- par les soldats de cette idéologie littéraliste, le terrorisme, que sont Al-Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi), le Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) et Ansar Dine.
La rébellion n’est pas un phénomène nouveau au Mali : depuis l’indépendance, le pays en a connu quatre. Ce qui l’est en revanche, c’est l’occupation opérée par lees jihadistes et narco-trafiquants du Mujao, d’Aqmi et d’Ansar Dine, qui ont semé la terreur dans les villes, commis des atrocités et des exactions à l’encontre des populations. Le fanatisme religieux, qui a ruiné l’Afghanistan, embrasé l’Algérie, muselé l’Iran et qui fait que la charia défie la loi fédérale au Nigéria, s’était installée dans la partie nord du Mali. Des mausolées ont été détruits, des couples qualifiés d’adultèrins ont été fouettés, ceux qui ont été accusés de vol ont eu la main coupée…
Les dommages corporels et le traumatisme subis par les populations ont été immenses : viols de personne, crimes de guerre… En outre, la rébellion a réveillé les vieux démons de la division. Au lieu du régionalisme, on s’est retrouvé dans la tribu, signe incontestable d’un Etat perdu par sa faiblesse
A Bamako, le coup d’Etat militaire a aussi été suivi de crimes commis contre les militaires restés fidèles au président déchu ; ce qu’on appelle l’affaire dite « des bérets rouges disparus ».
Ensuite est venue l’affaire de la mutinerie de Kati, le 30 septembre 2013, au cours de laquelle des militaires ont disparu, avec comme source de leurs contestations le non respect des promesses de promotion et d’augmentation de salaire faites par Amadou Haya Sanogo qui venait d’être bombardé général. Le 16 juin 2013, au colloque sur la justice transitionnelle tenu à Bamako, Malick Coulibaly, alors ministre de la Justice et Garde des Sceaux, déclarait alors : «Les mois écoulés, le Mali a connu la page la plus sombre de son histoire consécutive à la crise. Cette page sombre a été marquée par les pires violations des droits humains dans le Nord du pays (...) Nous nous interdisons d'oublier les graves violations des droits humains commises dans le sud du pays. Il faut, aujourd'hui comme hier, reconnaître qu'à la faveur des convulsions sociopolitiques nombreuses et graves ont été perpétrées des violations du droit à la vie, du droit à la sécurité de la personne et du droit à la propriété.» (1).
Mais en matière de droits humains, des bornes infranchissables sont posées. Depuis le procès de Nuremberg (1946-1947), des tribunaux ont été établis dans le dessein de juger ceux qui se sont rendus coupables de crimes contre l’humanité, et cela en vue de permettre la réconciliation nécessaire pour «recoller les morceaux». Le processus démocratique a repris au Mali, cette quête de justice demeure fondamentale.
RECONCILIATION, DEVELOPPEMENT, MAIS AUSSI JUSTICE
En septembre 2013, Ibrahim Boubacar Keïta, candidat du Rassemblement pour le Mali (Rpm), a remporté la présidentielle avec 77,62% des suffrages exprimés ; un raz-de-marée électoral qui a tourné la page d’une période de transition et placé le pays dans la voie conduisant à remonter la pente des profondes crises institutionnelle et sécuritaires creusées par la rébellion et l’occupation du nord par des terroristes.
Ibrahim Boubacar Keïta a été élu pour construire un Etat de droit. Il a une tache immense dont les principaux chapitres sont la reforme de l’armée, la réconciliation nationale, la lutte contre la corruption et l’éducation. Parmi tous ces chantiers, le plus délicat reste la réconciliation nationale, processus politique aux implications profondes, néessaire dans toute société sortant d’un conflit comme ce fut le cas dans nombre de pays d’Afrique tels le Rwanda ou l’Afrique du Sud.
Après les viols, les exactions, la torture, les pillages, les enrôlements d’enfants soldats, le souhait le plus partagé au Mali est la réconciliation, le pardon. Mais, il ne fait aucun doute que tout cela a un prix : la vérité, la justice. Sous la transition, Dioncounda Traoré avait créé une commission dite « Dialogue et Réconciliation». A peine élu, Ibrahim Boubacar Keïta a recadré le projet en ajoutant le mot «Vérité», comme l’avait recommandé le colloque national sur la justice transitionnelle au Mali, tenu en 2013, avant de l’envoyer à l’Assemblée nationale.
Editorialiste au journal Le Républicain, Adam Thiam notait que ceci «n’enlève rien à la vision méritoire du gouvernement pour lequel la vérité doit aller au-delà des crises répétées de ces dernières décennies pour affronter le mal à sa racine. Ainsi donc, les exactions, atrocités commises par l’Etat et les rébellions depuis 1963 seront concernées. C’est dire que les autorités ont pris en compte l’impératif de devoir de mémoire que réclamaient des cadres de la rébellion, notamment Kel Tamasheq et ce en relation avec la manière dont la révolte de Kidal a été réprimée en 1963 ainsi que les représailles exercées par l’armée contre des populations civiles nomades au cours des rébellions ultérieures. Le côté surréaliste de la concession est que le travail de mémoire essentiel au retour durable de la paix et de la confiance ouvre le procès d’une époque et d’une pratique. Il s’agira - et ce n’est pas la chose la plus simple - de gérer alors l’opinion dominante qui est celle du sud. Acceptera t-elle de voir dans son héros Dibi Silas Diarra l’éventreur ou le dynamiteur en série de simples bergers ou d’épouses de bergers, comme tendent à l’accréditer les versions du « Nord » ? » (4).
La remise à plus tard de la mise en place de la Commission, par le gouvernement, n’est pas vue d’un bon œil par ceux qui estiment qu’elle aurait dû être mise en place bien avant les pourparlers, pour participer aux négociations en proposant une politique de réconciliation nationale aux différentes parties et sur la base de laquelle les responsabilités des uns et des autres allaient être fixées. Cela aurait facilité la divulgation de la vérité, la cicatrisation et la réparation à défaut d’une justice équitable pour tous.
La Commission aurait pu, compte tenu des missions qui lui sont assignées, porter le processus de réconciliation et amener l’opinion nationale à se l’approprier. Car elle consistera, quelle que soit la gravité des crimes commis, à « sociabiliser la justice ».
Au ministère de la Justice, Sylvestre Kamissoko, chargé de Communication, affirme qu’ils sont «en train de mettre en place des groupes mobiles qui vont permettre aux victimes de mieux s’exprimer, en dénonçant ce qui leur est arrivé. Ces groupes vont faire remonter les informations à une autre structure qui va les traiter». A la question de savoir si les victimes d’exactions au nord seront autant prises en compte, il rétorque que « Le gouvernement est en train de prendre des mesures et de voir comment les indemniser. Actuellement aucun juge ne peut aller au Nord ; tout le monde s’arrête à Gao. Dès qu’il y aura la paix, les juges seront redéployés et pourront rendre justice. Tant qu’il n’y a pas la paix, on ne peut rien faire. Après la paix, il y aura la justice, l’indemnisation. »
NOTES
1) Quelle justice transitionnelle pour le Mali ? Pnud, 17 juin 2013
2) Le principe d’humanité, Jean-Claude Guillebeau, Seuil, 2001
3) La justice transitionnelle, une voie vers la réconciliation et la construction d’une paix durable, Conférence Paper, 2011
4) Chronique du vendredi, Le prix de la réconciliation, le coût de la vérité, Adam Thiam, Le Républicain, 14 mars 2014
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** Moussa Camara – article paru dans Flamme d’Afrique, journal publié par l’Institut Panos Afrique de l’Ouest à l’occasion du Forum social mondial 2015 (http://flammedafrique.org/fsm2015/)
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