La Cour de la CEDEAO doit être préservée

Plusieurs organisations de la société civile ouest-africaine ont publié un communiqué pour s'opposer aux propositions d'amendements introduites par la Gambie, sur les conditions d'accès à la Cour Communautaire de Justice de la CEDEAO. Pour elles, il s'agit d'un moyen d'affaiblir cette institution dans sa capacité à connaître effectivement des cas contre les gouvernements tyranniques qui foulent au pied les droits de leurs citoyens. Et la Gambie a beau jeu de s'engager dans ce processus. Le communiqué note que "priver les citoyens d'un accès libre à la Cour Communautaire équivaut à les livrer à la tyrannie et l'arbitraire des Etats où le pouvoir judicaire est un bras armé de l'Exécutif". Or, "en Gambie, le gouvernement du président Jammeh a réduit le système judicaire à une force placée directement sous sa dictature".

La République de Gambie a introduit auprès de la Commission de la CEDEAO une proposition d'amendement des dispositions relatives à la compétence et aux conditions d'accès à la Cour Communautaire de Justice de la CEDEAO sur la base du protocole établissant cet organe.

A travers un projet d'Acte Supplémentaire qu'il a soumis à la Commission, le gouvernement Gambien propose des amendements aux articles 9(4) et 10(d) du Protocole Supplémentaire (A/SP.1/01/05) instituant la Cour Communautaire de Justice.

L'amendement proposé vise à conditionner la compétence de la Cour de la CEDEAO à l'épuisement des voies de recours nationales ; et comme le Comité d'Experts va se réunir le 28 septembre 2009 pour examiner la proposition, nous exprimons de vives préoccupations au sujet de ce projet.

Nous exhortons les gouvernements démocratiques de notre sous-région ainsi que les groupes de citoyens, les institutions et organisations à protester contre l'adoption par la CEDEAO des amendements proposés par la Gambie. Le gouvernement gambien propose ces amendements pour que la Cour soit affaiblie dans sa capacité à connaître effectivement des cas contre les gouvernements tyranniques qui foulent au pied les droits de leurs citoyens.

De façon spécifique, le gouvernement gambien, sous la direction du président Yahya Jammeh, n'a pas le droit moral d'initier un tel amendement parce que ce pays qui est actuellement cité devant la Cour pour des violations graves de droits humains, a affiché un total mépris vis-à-vis de cette institution. Dans l'affaire de la disparition du journaliste Chief Ebrima Manneh, la Gambie n'a jamais répondu aux convocations de la Cour et a empêché cinq agents de sécurité, supposés avoir joué divers rôles dans l'enlèvement du journaliste, de comparaître devant la juridiction.

En plus de l'épuisement des voies de recours nationales, la Gambie proposes que "dans les affaires relatives aux droits humains, la compétence de la Cour doit se limiter à l'application des instruments juridiques internationaux qui ont été ratifiés par le pays mis en cause".

Nous ne sommes pas surpris par cette formulation car la Gambie qui est engagée dans un procès pour torture devant la Cour de la CEDEAO (Musa Saidykhan vs. The Gambia), est l'un des rares pays africains à n'avoir pas ratifié la Convention des Nations Unies contre la Torture, les Traitements Cruels, Inhumains et Dégradants. La proposition d'amendement vise à empêcher la Cour de connaître de cette affaire pendante contre la Gambie et limiter le nombre d'affaires relatives aux droits humains que la Cour peut examiner.

La Cour Communautaire de la CEDEAO est pour les citoyens ouest-africains une importante protection contre la cruauté et l'arbitraire. Elle promeut un accès direct à un instrument judicaire indépendant qui n'est pas généralement disponible dans plusieurs pays de la région.

La Cour Communautaire est une avancée dans la promotion de la bonne gouvernance et l'intégration régionale, sur la base des principes et structures démocratiques en ce sens qu'elle protège les droits des citoyens de la région tels que envisagé par les pères fondateurs.

Pour nous, priver les citoyens d'un accès libre à la Cour Communautaire équivaut à les livrer à la tyrannie et l'arbitraire des Etats où le pouvoir judicaire est un bras armé de l'Exécutif.

En Gambie, le gouvernement du président Jammeh a réduit le système judicaire à une force placée directement sous sa dictature. Selon son humeur, il révoque les juges, y compris les présidents de la Cour Suprême et s'assure que les décisions de justice qui vont à l'encontre de sa volonté ne soient pas exécutées. La Cour de la CEDEAO a été précisément mise en place pour protéger les citoyens contre de telles dérives.

Nous signataires (liste partielle des organisations de promotion des droits humains en Afrique de l'Ouest) maintenons résolument que la révision de l'instrument instituant la Cour, telle que proposée par la Gambie sera une trahison de la confiance basée sur l'indépendance de la Cour Communautaire mais aussi un recul de l'engagement de cet organe régional à garantir la sécurité, les droits humains et la justice aux citoyens de la sous-région.

Nous demandons à ce que la Commission de la CEDEAO invite les organisations de la société civile de la sous-région à envoyer des experts pour prendre part à la réunion prévue des experts. Autrement, cette réunion devrait être reportée jusqu'à la tenue de larges consultations avec les représentants des organisations de la société civile.

Signataires

1. Media Foundation for West Africa, Accra
2. Union des Journalistes de l'Afrique de l'Ouest (UJAO), Dakar
3. Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l'Homme
(RADDHO), Dakar
4. Media Rights Agenda, Lagos
5. Institut Panos Afrique de l'Ouest, Dakar
6. International Press Center, Lagos

7. Inter-Africa Network for Women, Media, Gender Equity & Development, (FAMEDEV), Dakar
8. Réseau des Journalistes pour les Droits de l'Homme (RJDH), Niamey