La Chine continue sa marche aux côtés de l’Afrique

Pour un éminent économiste à l`ONU, Jeffrey Sachs, la Chine pourrait sortir le monde de la crise financière internationale. En Afrique, par exemple, alors que des signes de restrictions financières apparaissent, de la part des pays occidentaux, tous les indicateurs économiques sur les niveaux des investissements chinois sur le continent continuaient à augmenter. Mais les préoccupations montent aussi au regard des impacts environnementaux et sociaux des interventions chinoises sur le continent. Cependant, comme en réponse à ces préoccupations, on a vu les efforts menés par de grandes sociétés chinoises en vue d’améliorer leur image publique. C’est dans ce contexte que la réunion annuelle du Parlement Chinois a permis de comprendre les tendances politiques et les idées des dirigeants Pékin.

Conseiller économique du Secrétaire General de l`ONU, Jeffrey Sachs, voit la Chine comme une planche de salut face à la crise financière internationale. «La République chinoise, a-t-il déclaré lors de la réunion du Fonds Monétaire International qui vient de se tenir à Dar-es-Salam (10-11 mars 2009), n`a pas la même bulle spéculative que les Etats-Unis ou l`Europe. Au contraire, elle détient une grande réserve monétaire en devises étrangères, un surplus commercial et s’affirme comme un pays privilégié par les investisseurs. La Chine a les moyens nécessaires pour développer une reprise économique rapide. Si cela arrive pendant l`année en cours, toutes les autres économies en seront bénéficiaires».

Pour M. Sachs, il s’agit d’une perspective d’autant plus salutaire que la crise mondiale actuelle peut retarder ou affaiblir les possibilités d’atteindre les Objectifs de Développement du Millénaire, en 2015. Surtout si les pays plus riches réagissent en réduisant tant les aides humanitaires que les investissements financiers attendus d’eux.

Aujourd’hui, le constat est que l`intérêt économique de la Chine pour l’Afrique n’a pas été altéré par le contexte de crise internationale. Pékin a ainsi réaffirmé, par exemple, son intention de procéder avec un plan d`investissement pour 9 milliards de dollars, destiné à l`exploitation minière et à la construction d’infrastructures en République Démocratique du Congo. Il s’agit là du plus grand investissement chinois en Afrique, à travers lequel Kinshasa bénéficiera de réseaux routiers, de réseaux ferroviaires, d’hôpitaux et d’écoles. Mieux, la Chine a garanti un approvisionnement de longue durée en ressources métallifères, pour 50 milliards de dollars à prix courants.

En Algérie, la compagnie chinoise de télécommunications, Huawei Technologies est en train de développer deux réseaux de téléphonie mobile, à la place de l’ancien monopole détenu par la compagnie publique Algérie Telecom et son rival, la compagnie privée Djezzy gérée par l`égyptienne Orascom.

En Zambie, le président de la République à lancé un projet de 400 millions de dollars pour développer un projet hydroélectrique sur la rive nord du fleuve Kariba. Il sera cofinancé à 85% par la banque chinoise Eximbank et sa réalisation a été confiée à la société Sino Hydro, la plus grande entreprise opérante dans le secteur énergétique chinois.

Au Mozambique, la Chine s`est engagée à augmenter de 2,5 million de dollars le budget originaire, pour permettre la finition de la construction du Stade National, qui est menée par des entreprises chinoises, avant la Coupe du monde 2010. Cette compétition se joue en Afrique du Sud, mais le Mozambique espère tirer profit de sa proximité avec ce pays pour accueillir certaines équipes nationales dans leur préparation. Cet apport financier de la Chine a porté le cout total du projet à 60 millions de dollars.

Au Nigeria, une des plus grandes multinationales chinoises du pétrole, la CNOOC, a annoncé avoir commencé, avant le terme prévu, le développement du projet « OML 130 » dans la région de Akpo. La partie chinoise détient 45% du projet et représente « un des plus grands projets d`exploitation en profondeur » à réaliser.

La présence chinoise en Afrique se renforce donc, mais elle suscite également des préoccupations. Ainsi, la signature d`un accord de développement entre la Libéria et la compagnie China-Union, pour 2,6 millions de dollars, a fait l’objet de dénonciation par plusieurs ONG qui s’inquiètent des possible effets sur l`approvisionnement des communautés et sur certaines clauses fiscales. En même temps, ces ONG se posent des questions sur la capacité de l`Etat et de la société civile à surveiller la correcte application des termes de l`accord, pour un projet qui doit employer 3000 ouvriers.

Concernant le Congo, un éminent scientifique en primatologie a informé le Congrès américain que les besoins en matériaux métallifères de la Chine et l’exploitation des ressources sont en train d’augmenter le niveau de déforestation et de destruction du patrimoine naturel de ce pays.

Pour l`économiste namibien Julius Likela, « il est important, pour les entrepreneurs locaux, de comprendre la stratégie utilisée par les Chinois pour pénétrer le marché national et ajuster , en conséquence, les stratégies de partenariat et d’offres de produits et services. Avec ou sans le patronage du gouvernement, les entrepreneurs locaux doivent apprendre à opérer dans un system compétitif ».

On constate, aujourd’hui, que les sociétés chinoises cherchent à améliorer leur image comme acteurs sociaux responsables. Dans ce cadre, une importante entreprise des télécommunications chinoise a annoncé son implication dans un projet sponsorisation de l`ONU, le Global Compact. Il s’agit d’une initiative comprenant 7000 sociétés au niveau mondial, qui s`engagent à promouvoir l`application de dix principes portant sur les droits humains, le droit au travail, l`environnement et la lutte contre la corruption.

Mais, la vraie question est de savoir comment la Chine perçoit son rôle dans l`économie mondiale et spécialement au regard de l`Afrique. Une réponse partielle a été fournie à l’occasion de la réunion annuelle du Congrès National du Peuple (CNP), le Parlement chinois (ouvert le 4 mars 2009). Cette conférence annuelle représente une plateforme autour de laquelle les politiciens les plus influents peuvent présenter leurs idées, comme le font les PDG des entreprises en présentant les objectifs annuels de leurs sociétés. La conférence donne aussi la possibilité à certaines organisations d’adresser des questions aux autorités. Cette année, par exemple, le groupe environnementaliste Amis de la Nature (Friends of Nature) a envoyé une lettre ouverte aux délégués, demandant que le paquet financier destiné à soutenir la reprise économique soit utilisé pour promouvoir une politique économique réduisant l`émission de Co2, mais pas pour développer des technologies polluantes qui infirment la crédibilité du gouvernement à atteindre ses objectives de réduction en matière de pollution et de préservation énergétique.

Parallèlement aux débats du Congrès, les discours et conférences de presse tenus par les conférenciers du gouvernement ont fourni une meilleure compréhension des tendances politiques, particulièrement pour ceux qui ont l`habileté à comprendre le sens caché du langage politique. Un exemple intéressant, à ce propos, reste le discours de deux heures tenu par le président de la République chinoise, M.Wen Jiabao, sur la condition de l`économie. Dans ses propos, il a réaffirmé l`engagement de son pays à investir un paquet de 585 milliards de dollars. Sauf que l`absence des nouveaux détails à irrité les marchés internationaux qui, dans l’attente d’une fructueuse ouverture, espéraient avoir plus de détails sur le paquet économique chinois.

Cependant, un rapport présenté pendant une réunion informelle du CNP, par le Directeur de la Commission Nationale pour les Reformes et le Développement et publié par le magazine indépendant « Caijing », a fourni une version plus exhaustive du paquet économique. Le document prévoit une diminution des investissements pour le secteur du bâtiment, en vue d’un renforcement des travaux publics dans les zones rurales et des programme d`aide social. En analysant le rapport, l`agence de presse Reuters a souligné une tendance politique vers une réalisation des objectifs concernant les politiques environnementalistes et les économies d’énergie région par région, malgré la diminution des investissements publics.

De même, ceux qui savent lire derrière les formules politiques et diplomatiques peuvent comprendre que la conférence tenue par le ministre des Affaires étrangères Yang Jiechi, en marge d’une rencontre politique, ouvre plusieurs perspectives. A cette occasion, M. Yang a déclaré : « Premièrement, on doit se concentrer sur l’objectif qui est fortifier l`économie chinoise afin de permettre un développement économique rapide en Chine ». Il a aussi souligné l`importance qu’il y a d`organiser des réunions multilatérales et la nécessité de développer une réaction commune à la crise. Il s’agit sûrement d’une bonne nouvelle pour le président américain, avec qui le ministre chinois souligne que les relations connaissent un très bon début.

Un autre point intéressant évoqué par M. Yang reste la nécessité de « renforcer la protection diplomatique des envoyés chinois à l`étranger et des intérêts des citoyens et compagnies chinoises opérant en dehors des frontières nationales. Du fait que beaucoup de nos citoyens et des entrepreneurs ont besoin de voyager et de faire des affaires à l`étranger, on doit absolument renforcer la protection diplomatique ». Le ministre chinois des Affaires étrangères d’ajouter : «On fournira des services et des indications aux compagnies chinoises opérant au niveau global… Nous [le gouvernement chinois] continuerons à protéger les droits et les intérêts de nôtres compatriotes et entreprises à l`étranger’.

Il est tout aussi intéressant de noter qu’en répondant à une question posée sur les relations sino-russe, M. Yang a déclaré : « La Chine, la Russie, le Brésil et l’Inde sont aujourd`hui des nations très influentes dans le monde. Elles sont appelées ‘les grandes nations émergeantes’. On fait face à beaucoup des défis, mais on a beaucoup d’opportunités pour le développement. Les dirigeants et les ministres des Affaires étrangères de ces pays doivent périodiquement se concerter et se réunir. Personnellement, je pense que cela peut être très utile’.

M. Yang Jiechi a également reconnu l’importance du rôle joué par l’Afrique, dans son soutien international aux politiques chinoises, déclarant : «Nous [l`Etat Chinois] apprécions très fort le grand soutien des nos frères et amis africains sur questions comme Taiwan, le Tibet, l`hébergement des Jeux Olympiques et dans la lutte contre les calamités naturelles. Les dirigeants de certains pays africains ont dit aux dirigeants chinois qu`ils sont si pauvres que la seule chose que ils peuvent donner à la Chine c`est leur cœur. On a été touchés par ces mots. Les Africains sont vraiment comme des frères et des amis pour nous. Il y a pas longtemps, le président Hu Jintao a visité certains pays d`Afrique (du 10 au 17 février, Hu Jintao a été au Mali, au Sénégal, en Tanzanie et à Maurice). Pendant son voyage il a déclaré que la Chine continuera à supporter le développement africain et la voix du continent au niveau international et régional ».

Le ministre chinois des Affaires étrangères a écarté l`idée répandue selon laquelle l`intérêt de la Chine en Afrique est uniquement lié à ses besoins en ressources minières. Pour M. Yang, « le développement des relations étrangères mené par la Chine n`est pas seulement tourné vers les pays riches en hydrocarbures. Demandez aux pays africains sans ressources naturelles, comme le gaz et le pétrole, s`ils ont une meilleure impression de la Chine ou des autre pays. Notre coopération avec l`Afrique est basée sur un avantage réciproque. »

Dans la politique chinoise, les questions de coopération économique internationale et d’aide au développement restent liés. « Maintenir le développement de l`économie de manière constante et rapide représente la plus grande contribution que la Chine peut faire au monde pour combattre la crise. Une autre contribution fondamentale est d`avoir augmenté l`assistance vers les pays en développement, notamment les pays africains. En plus, on a demandé aux autres nations d’honorer leurs engagements sur l`aide promise », souligne le ministre des Affaires étrangères.

Tout cela semble augurer de belles perspectives pour le continent africain, mais la complaisance est toujours mauvaise conseillère. Plus les activités menées par la Chine contrastent avec celles des autres acteurs, plus il y a nécessité, pour les gouvernements et les populations africaines, de s’outiller pour mieux bénéficier de cette relation. Un espoir est que le prochaine rencontre du G20, en avril 2009, puisse déterminer de manière claire combien la Chine et l`Afrique, `frères et amis’, sont l`un près de l`autre.

* Stephen Marks est chercheur Associé et Coordinateur du Projet ‘La Chine en Afrique’ à Fahamu.
* Sanusha Naidu est directeur du Projet ‘La Chine en Afrique à Fahamu

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