L’indépendance il y a 50 ans: Les chances pour une indépendance renforcée au 21è siècle

Dans son ignorance de la marche l’histoire, ainsi que de l’évolution des civilisations et des peuples, le président français Nicolas Sarkozy a pu voir en l’Afrique un continent figé. Mais c’est l’image que peut lui renvoyer une Françafrique dont les réseaux tissés à Paris semblent immuables depuis cinquante ans. Car si les formes de domination ont changé, les mécanismes d’assujettissement et d’exploitation demeurent. Sauf que l’Afrique respire aujourd’hui à travers de nouvelles pulsions qui lui tracent « ses propres concepts pour son présent et pour son futur ». Car, note Prince Kum’a Ndumbe III, « nous disposons suffisamment de génie pour concevoir », note-t-il.

Le monde bouge, les géostratégies se transforment, l’Afrique a de nouveau ses chances. L’Europe coloniale des métropoles s’est muée en une puissante Union Européenne face à laquelle aucun Etat africain ne fait le poids tout seul. Mais à l’intérieur des rangs de l’Occident, il n’y a plus de délégation pour une représentation globale des intérêts de l’Occident, comme ce fut le cas pendant la guerre froide. La France, à cette époque-là, a eu le privilège de jouer le « gendarme de l’Afrique », grâce à la complicité et à la collaboration stratégique, politique, militaire et financière des autres pays occidentaux, y compris les Etats Unis. En 2010, les Etats-Unis d’Amérique entendent jouer leur rôle directement sur le continent africain et défendre leurs propres intérêts, sans intermédiaire européen.

Avec Barack Obama, fils d’un Kenyan à la tête des Etats-Unis, la perception de l’Afrique est un peu différente, les Etats-Unis attendent surtout de l’Afrique qu’elle s’émancipe de ses liens coloniaux avec l’Europe et qu’elle se définisse elle-même sur la scène internationale. Or cette scène internationale est aujourd’hui bousculée par la Chine de Pékin et par l’Inde. Face au traditionnel sommet franco-africain et au développement des sommets Europe - Afrique, la Chine a mis sur pied le sommet Chine - Afrique qui a réuni, en novembre 2006, quelque 48 chefs d’Etats Africains sur 53. Le président Chinois a déjà pris l’habitude de sillonner l’Afrique. Le sommet Inde-Afrique, avec la participation de 14 chefs d’Etats, vient de se terminer ce 9 avril 2010 à New Delhi et un nouveau rendez-vous est pris pour 2011.

A Abuja, au Nigeria, déjà en novembre 2006, se tenait le premier sommet Afrique-Amérique Latine, et en septembre 2009 se tint au Venezuela le 2e sommet Afrique-Amérique Latine avec 20 chefs d’Etats africains et 8 chefs d’Etats latino-américains. Le Brésil, avec 80 millions de Noirs et Métis, soit près de 48% de ses habitants, compte la deuxième population noire au monde après le Nigeria. Nous sommes donc loin du monde bipolaire est-ouest qui avait déterminé l’accession des pays africains à l’indépendance. Les tentatives des pays africains, asiatiques et latino-américains dans les années 1960 à 1980, pour un espace politique de non alignement, n’avaient pas réussi et les pays africains, dans leur écrasante majorité, étaient forcés à demeurer dans le camp occidental.

Aujourd’hui, nous sommes passés de l’hégémonie occidentale à un polycentrisme de fait dans la Realpolitik internationale. Il est significatif que les pays africains participent en bloc dans ces sommets, sous l’égide de l’Union africaine, et non plus en rangs dispersés. Les débats des années 1960 ont repris, avec des partisans qui militent pour une Union Africaine avec un gouvernement centralisant certains pouvoirs, et d’autres qui souhaiteraient voir en l’UA un club de chefs d’Etats n’engageant pas vraiment les pays jaloux de leur souveraineté.

Soyons sincères : les chefs d’Etats qui, depuis 1963, ont refusé un gouvernement africain centralisant certains pouvoirs, nous ont fait perdre du temps. Leurs calculs ne visaient que leur propre pouvoir personnel et celui de leurs mandataires extérieurs, ce qui peut se comprendre. Mais nous en avons assez ! La priorité des priorités d’une Afrique qui se veut indépendante est une Union Africaine avec un gouvernement central fédéral sous la forme d’Etats-Unis d’Afrique avec de solides structures d’intégration régionale et sous-régionale. Pour aller dans cette direction urgente, chaque Etat africain devrait se doter dès maintenant d’un ministère chargé de l’Unification de l’Afrique et de l’Intégration régionale.

Le travail de ce ministère consisterait à travailler en étroite collaboration avec tous les autres ministères d’un pays en question pour veiller à ce que les décisions majeures de chaque ministère aillent dans la direction de cette unification et de cette intégration. Ce ministère, dans un pays donné, serait en communication permanente avec les autres ministères du même genre installés dans les autres pays africains, pour la coordination des efforts communs au sein de l’Union Africaine actuelle.

On pourrait m’objecter : et la souveraineté nationale des Etats actuels ?

Ma réponse : nous avons besoin de patriotes africains à la tête de nos Etats actuels pour parvenir aux Etats-Unis d’Afrique. Ceux-là comprennent l’urgence de telles structures qui, dans chaque pays, sont, de toute façon, sous la tutelle de la présidence des Républiques actuelles. Les Etats-Unis d’Afrique ne vont pas abolir les structures ou le pouvoir politique local, mais permettront à l’Afrique de parler d’une seule voix devant des partenaires mondiaux devenus puissants. Ce n’est qu’en renouant avec ce concept des Etats-Unis d’Afrique des pères visionnaires de l’indépendance africaine que nous pourrons jeter les bases d’une monnaie unique et d’un développement africain authentique, centré sur nos besoins et respectant nos mentalités et notre vision du monde.

Il faudrait rendre un hommage mérité à Marcus Mosiah Garvey qui, le 1er août 1920, à New York, sous la bannière de l’UNIA (Universal Negro Improvement Association and African Communities League crée en août 1914), proclama les Etats-Unis d’Afrique et en devint le premier président (1) Par la suite, les panafricanistes W.E.B. Dubois, Kwame Nkrumah, des leaders du RDA comme Sékou Touré et autres plaideront pour les Etats-Unis de l’Afrique, sous une forme ou une autre, bien avant 1960 et aussi après, surtout pour faire face à la balkanisation du continent, ce morcellement qui a fait de nos Etats des entités incapables de survivre seuls.

L’Afrique a besoin de ses propres concepts pour son présent et pour son futur et nous disposons suffisamment de génie pour concevoir. Merci pour tous ces modèles importés. Ils nous ont assez détourné, ils nous ont assez ruiné comme ça ! Nous ne voulons pas devenir des pays dits émergeants avec des habitants pauvres. Nous ne voulons pas travailler pour les autres dans notre propre pays et vivre dans la misère parce que ce sont eux qui auront conçu notre travail, parce que ce sont eux qui auront conçu et financé l’exploitation de nos ressources. Que chaque gouvernement africain s’engage à s’impliquer dans ce slogan : « Concevoir l’Afrique et son destin, c’est l’affaire des Africains et de personne d’autre ! ».

Nous avons le génie pour, mettons les structures en place dans chaque pays en collaboration avec les politiques, les intellectuels, les chercheurs, les artistes, les écrivains, les créateurs, les dépositaires de la tradition africaine, avec toutes les couches de la population, réinventons notre culture de dialogue et de palabres africaines et en dix ans seulement l’Afrique aura fait un grand bond en avant. Nous aurons dégagé un consensus pour la direction commune à prendre, et les débats et travaux de l’Union Africaine à Addis-Abeba ne seront plus seulement réservés à des initiés ou à des experts si peu proches de nos populations. Avec des concepts de gouvernement et de développement basés sur un consensus propre aux Africains et à leur vision du monde, les conditions de bonne gouvernance, la promotion de l’esprit d’entreprise, l’atmosphère favorable aux investissements seront renforcés dans ce marché de plus d’un milliards d’habitants d’un continent très riche.

Le monde bouge, l’Afrique bouge et à l’intérieur des pays industrialisés les citoyens attendent une autre Afrique, une Afrique de la bonne gestion, une Afrique de l’espoir. Des citoyens dans ces pays se mobilisent pour que change la politique d’une Afrique qui doit seulement être pillée, pour que leurs pays développent une nouvelle conception d’une Afrique véritablement partenaire dans un jeu gagnant–gagnant, au-delà des slogans.

Ces mouvements ne font que s’amplifier et demandent le retour dans les pays africains des biens mal acquis détournés par les dirigeants et fonctionnaires africains et ayant obtenu un refuge peu honorable chez eux. Ces citoyens se battent pour une éthique politique et économique à l’intérieur de leur propre pays et ne veulent pas que cette éthique soit souillée par des dirigeants étrangers peu scrupuleux, fussent-ils africains. Ainsi, leur action pour une transparence dans la gestion chez eux devient un acte de solidarité pour les peuples africains.

Avec la révolution des nouvelles technologies de l’information, ces mouvements prennent une ampleur impressionnante dans une jonction transcontinentale. Les patriotes africains ne sont donc plus seuls quand ils réclament une gestion transparente des affaires dans leurs pays. La mobilisation est devenue mondiale, avec des structures de rencontres et d’échanges efficaces pour un monde plus juste.

L’Afrique est un continent d’avenir, et en 2010, les peuples africains aussi ont évolué. Ceux qui aujourd’hui ont cinquante ans n’ont pas connu le colonialisme direct dans plusieurs pays, ils ont d’autres comportements et ne voudraient plus attendre. En plus de cela, la population africaine est surtout jeune et la jeunesse tend à dépasser les 50% de la population dans beaucoup de pays. La jeunesse du monde entier sera de plus en plus africaine. En 2050, 29% des jeunes du monde seront des Africains et ils n’attendront pas encore quarante ans pour prendre leur destin en main. Le monde bouge et l’Afrique bouge. Les indépendances des années 1960 et 1970, malgré leurs échecs et insuffisances, ont été un tremplin important pour la construction des Etats du continent.

Cinquante ans après, nous disons que nous sommes prêts pour la deuxième étape de libération. Nous nous battons et nous continuerons à nous battre pour que l’Afrique avec ses immenses richesses soit habitée par des citoyens qui vivent dans la dignité financière et dans la dignité humaine. Alors, l’Afrique, cette Afrique-là, donnera le meilleur d’elle-même à l’humanité entière.

Note
1) Notons qu’après avoir mis en place une véritable Marine Nègre au travers de la Black Star Line, Garvey mit en place les jalons d’un Etat Panafricain et de son armée. Il le fit au travers de la première convention de l’UNIA qui eut lieu le 1er août 1920 à New York. La Convention rassembla des milliers de délégués du monde entier représentant la grande et puissante nation Nègre contemplée. Nation qui ne peut aller sans un corps armé constitué. Ainsi, devant des dizaines de milliers de personnes, d’importantes troupes défilèrent au pas cadencé. « Il y avait là la Légion d’Afrique dans sa tenue bleue foncée, aux pantalons à raies rouges avec l’épée pour les officiers ; il y avaient là les Infirmières de la Croix Noire ; « l’Universal Africa Motor Corps » ; « le Black Eagle Flying Corps » (Corps d’Aviation de l’Aigle Noir ») ; il y avait là les chœurs et les troupes spéciales des jeunes réservistes ».

Garvey alla même jusqu’à établir la noblesse du futur Etat Noir, parmi lesquels on pourrait citer le Duc du Nil, le Comte du Congo, le Vicomte du Niger, le Baron du Zambèze... On mit en place une véritable administration avec ses hauts conseils, ses juridictions et son exécutif, on adopta un drapeau (celui de l’UNIA), on composa même un hymne national (Ethiopie, toi terre de nos ancêtres), on rédigea et on adopta une « déclaration des droits des peuples noirs dans le Monde » et Marcus Mosiah Garvey fut élu Président intérimaire de l’Afrique. In : http://www.africamaat.com/Marcus-Garvey-1887-1940-Architecte

* Le Prince des Bele Bele, Kum’a Ndumbe III, est écrivain, Docteur en histoire, Docteur en Etudes Germaniques (Université de Lyon II), titulaire d’une habilitation en Sciences politiques (Université Libre de Berlin).

* Ce texte est partie d’un discours prononcé lors de la Conférence inaugurale sur les 50 ans des indépendances africaines organisé par la Fondation AfricAvenir International, section d’Allemagne Fédérale, Berlin, 15 avril 2010.

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