Malgré l’usure de 16 ans de pouvoir et ces deux dernières années de guerre économique, la révolution bolivarienne conserve un socle remarquable de 42 % des suffrages. Même si les deux tiers des sièges parlementaires donnent à la droite une grande marge d’action, le chavisme dispose pour l’heure du gouvernement et de la présidence, de la majorité des régions et des mairies, et de l’appui d’un réseau citoyen.
Avec l’élection de deux tiers de députés de droite (au Vénézuala), vient de se répéter le scénario médiatique qui accompagna la défaite électorale des sandinistes au Nicaragua en 1990. Le pays semble rentrer dans l’ordre néo-libéral, on reconnaît que la « dictature » est une démocratie, on félicite les perdants pour leur reconnaissance immédiate des résultats.
Mais pourquoi Caracas, au lendemain du scrutin, était-elle si triste ? Pourquoi une telle victoire n’a-t-elle déclenché la moindre liesse dans le métro, dans les rues ? Comment comprendre la mobilisation de collectifs populaires, ou que les syndicats se déclarent en « situation d’urgence », alors qu’il y a trois jours, une partie de même cette base populaire ne s’est pas mobilisée en faveur des députés bolivariens ?
Dès l’élection de Chavez en décembre 1998, nombre d’institutions révolutionnaires se sont peuplées du « chiripero » – surnom donné à la masse d’employé(e) qui troquèrent en vingt-quatre heures la casquette du populisme des années 1990 pour une chemise rouge (alors que souvent les révolutionnaires authentiques étaient écartés). L’angoissante guerre économique a rendu insupportables la surdité ou la corruption de ce secteur de fonctionnaires face à l’exigence d’une protection forte, d’un État plus efficace, plus participatif, travaillant à écouter les citoyen(ne)s.
Parallèlement, le « changement » promis par la droite, a été interprété comme la fin de la guerre économique : les rayons des magasins se rempliraient de nouveau, les files disparaîtraient avec le retour du secteur privé au pouvoir. Or les leaders de l’opposition ont d’ores et déjà annoncé qu’il ne sera pas possible de régler le « problème économique » à court terme et que la priorité sera d’appliquer un programme visant à modifier les lois et acquis sociaux.
Fedecámaras, organisation des commerçants et des chefs d’entreprises du secteur privé, demande à l’Assemblée nationale d’annuler la Loi organique du travail (1). En ligne de mire : la protection des travailleurs contre les licenciements, les conditions trop favorables des congés de maternité, la réduction de la durée du travail à 8heures par jour, les samedis libres, le paiement des heures sup, les bons d’alimentation.
Les syndicats annoncent déjà des mobilisations de rue, réclament la nationalisation de la banque. Menacée et traitée de « cloaque » par le leader de l’opposition Ramos Allup, la chaîne parlementaire Antv vient d’être remise intégralement à ses travailleurs par le gouvernement, et le président Maduro décrètera la protection des travailleurs du service public, en étendant l’interdiction de licenciement de 2016 à 2018.
La droite – elle ne s’en cache pas – veut revenir sur beaucoup d’autres acquis (loi des semences anti-Ogm, loi de la réforme agraire, de protection des locataires, éducation gratuite, santé gratuite, construction de logements publics..) et organiser avec les États-Unis la privatisation du pétrole et des autres ressources du pays, l’annulation des accords de coopération énergétique avec les pays plus pauvres des Caraïbes et de tout autre accord qui défie la vision unipolaire de Washington (Alba, etc.). Elle cherchera pour cela, dans les mois qui viennent, à destituer le président bolivarien par une sorte de coup parlementaire comme celui subi par Fernando Lugo au Paraguay.
FAIRE LA REVOLUTION N’EST PAS SIMPLE
On voit la difficulté de construire une révolution socialiste sans démocratiser la propriété des médias, sans s’émanciper de cette prison culturelle de consommation massive, d’invisibilisation du travail, de fragmentation du monde, de passivité du spectateur.
Le récent « rapport sur l’imaginaire et la consommation culturelle des vénézuéliens » réalisé par le ministère de la culture, est en ce sens une excellente analyse politique. Il montre que la télévision reste le média préféré et que la majorité associe le Venezuela à l’image de Venevision ou Televen : « Jolis paysages/jolies femmes ».
Comment mettre en place une production communale à grande échelle, sans la corréler avec un imaginaire nouveau où la terre n’est plus la périphérie de la ville mais le centre et la source de la vie, de la souveraineté alimentaire ? Comment transformer des médias en espaces d’articulation et d’action populaire, de critique, de participation, si le paradigme anglo-saxon de la communication sociale (« vendre un message à un client-cible ») reste la norme ?
EN CONCLUSION
Une immense bataille commence, et deux issues sont possibles.
Soit un repli du camp bolivarien, avec répression des résistances sociales (les liens de la droite vénézuélienne avec le paramilitarisme colombien et la Cia sont bien documentés) (2), vague de privatisations, retour à l’exploitation et à la misère des années 1990 et silence des médias internationaux – comme lors du retour des néo-libéraux au Nicaragua de 1990 à 2006.
Soit les politiques de la droite serviront de fouet à la remobilisation populaire que Nicolas Maduro a appelée de ses vœux en provoquant la démission du gouvernement et en organisant une réunion avec les mouvements sociaux et le Parti socialiste Uuni.
Malgré l’usure de 16 ans de pouvoir et ces deux dernières années de guerre économique, la révolution bolivarienne conserve un socle remarquable de 42 % des suffrages. Même si les deux tiers des sièges parlementaires donnent à la droite une grande marge d’action, le chavisme dispose pour l’heure du gouvernement et de la présidence, de la majorité des régions et des mairies, et de l’appui d’un réseau citoyen – conseils communaux, communes, mouvements sociaux.
Si le président réussit à repartir rapidement sur des bases nouvelles, sans diluer ses décisions dans une négociation interne entre groupes de pouvoir, si toutes ces énergies de transformation se reconnectent et agissent en profondeur, la leçon aura été salutaire.
NOTES:
(1) Lire « La nouvelle loi du travail au Venezuela », http://bit.ly/1IR9Q0I
(2) Lire « Venezuela: la presse française lâchée par sa source ? » http://bit.ly/1NQgl43
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** Thierry Deronne est licencié en Communications Sociales. Après un passage (1986-1988) par l’éducation populaire du Nicaragua révolutionnaire, il s’établit au Venezuela ou il vit et travaille.
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