En cinquante ans d’indépendance, aucune transition ne s’est déroulée au Tchad selon les règles constitutionnelles: la violence et le factionnalisme armé ont toujours prévalu dans ces moments déterminants.Et après dix-huit ans de multipartisme, l’image des partis politiques de l’opposition n’est pas celle des structures aptes à apporter le changement. Affaiblis par les efforts de cooptation du régime, dépourvus de moyens d’expression et confrontés à la lassitude de leurs militants, leurs principaux leaders ont assez souvent accepté des mariages précaires en entrant dans le gouvernement, souligne Tordeta Ratebaye.
Territoire militaire en 1900, puis civil en 1920, le Tchad a été rattaché jusqu’en 1958 au gouvernement de l’Afrique
Equatoriale française (AEF). En 1946, un Conseil représentatif doté de pouvoirs administratifs et financiers est constitué. Il prend, en 1952, le nom d’Assemblée territoriale. La colonie du Tchad devient territoire d’Outre-Mer en 1946. Elle élit un député (1945-1956), puis deux (1956-1958) à l’Assemblée nationale, deux sénateurs et trois conseillers de l’Union française. La loi-cadre du 23 juin 1956 et ses décrets d’application du 4 avril 1957 élargissent les pouvoirs de l’Assemblée et créent un Conseil de gouvernement présidé par le gouverneur et composé de ministres élus par l’As-semblée. Gabriel Lisette est vice-président.
A la suite du référendum du 28 septembre 1958, l’Assemblée territoriale proclame, le 28 novembre 1958, la République du Tchad, Etat autonome membre de la communauté. Lisette, Sahoul¬ba et Koulamallah sont successivement présidents du gouvernement provisoire. Une Constitution est mise en vigueur le 31 mars 1959. Le 11 août 1960, le Tchad devient indépendant et accède à la souveraineté internationale. Ngarta Tombalbaye, chef de l’Etat en 1960, est élu président de la République le 22 avril 1962. Une Constitution est établie le 28 novembre 1960, une seconde promulguée le 16 avril 1962 sera modifiée le 29 décembre 1965 et le 7 février 1967. Ngarta Tombalbaye sera réélu président de la République le 15 juin 1969 et renversé par un coup d’Etat militaire le 13 avril 1975.
Un Conseil Militaire Suprême est institué sous la présidence du général Félix Malloum. Celui-ci, devenu Président de la République, partage le pouvoir avec Hissein Habré, Premier ministre, aux termes de la Charte fondamentale du 29 aout 1978. A la suite des troubles du 12 février 1979, des conférences inter africaines ont eu lieu à Kano et à Lagos et ont abouti à la constitution de deux gouvernements successifs d’union nationale et de transition. Le premier présidé par Lol Mahamt Choua (29 avril-29 aout 1979) et le second par Goukouni Weddeye (10 novembre 1979).
En 1982, une période de dictature s’instaure avec la prise du pouvoir par les forces armées du nord (FAN), avec à leur tête Hissein Habré. Période très sombre de l’histoire du Tchad où l’on a dénombré plus de quarante mille assassinats (Amnesty International). Chef d’Etat-major des Armées sous Hissein Habré, Idriss Déby prendra la route des montagnes de l’Est (refuge des mouvements de rébellion par excellence) pour revenir un 1er décembre 1990 - aucune transition ne s’est déroulée au Tchad selon les règles constitutionnelles: la violence et le factionnalisme armé ont toujours prévalu dans ces moments déterminants. Cette date marquera pour le Tchad, une nouvelle ère de gouvernan¬ce appelée la démocratie (« Je ne vous apporte ni or ni argent mais la liberté », extrait du discours de Deby, le 3 dé¬cembre 1990).
Une série d’événements vont poser les jalons d’un nouveau départ tant sur le plan politique, économique que social. Une Conférence Nationale Souveraine (CNS) s’est tenue du 15 janvier au 7 avril 1993 et a conduit à l’adoption, par référendum, d’une Constitution, le 31 mars 1996, puis à des consultations populaires démocratiques (présidentielles et législatives) en 1996 et 1997. Ces différentes consultations ont vu la victoire Mouvement Patriotique du Salut (MPS) avec Idriss Deby toujours comme Président de la République et une majorité à l’Assemblée Nationale. Ces résultats se confirmeront encore en 2001 et 2002. Des institutions viables existent et fonctionnent (la Cour Suprême, le Conseil Constitutionnel, le Parlement…).
La volonté du régime en place de se maintenir au pouvoir par la modification de la Constitution (article 61), ayant abouti en 2005, cela a créé d’une part une impasse politique interne sans précédent, d’autre part elle a alimenté la rébellion en hommes et matériels de guerre (désertion dans les rangs de l’armée mais surtout de la garde présidentielle).
La crise du Darfour (2003) a été un facteur amplificateur de l’instabilité institutionnelle du Tchad. Les relations avec certains Etats voisins (notamment le Soudan), à travers des guerres par « procuration » ou, en d’autres termes, le soutien inconditionnel (armes, moyens financiers et logistiques) qu’apporte chaque régime aux rebelles de l’autre côté des frontières, ont été des plus exécrables ces dix dernières années. La présence des forces internationales (Résolution 1778 du Conseil de Sécurité) n’a pour autant pas apporté les résultats escomptés.
Sur le plan interne, et en réponse la décision du MPS d’amender la Constitution pour conserver le pouvoir, l’opposition politique a choisi, en 2002, de se constituer en une Coordination Pour la Défense de la Constitution (CPDC), prônant le boycott de toutes les consultations électorales. Cette situation à donc débouché sur une impasse. Faute d’obtenir un dialogue inclusif avec les trois acteurs (la majorité, l’opposition démocratique et les partis politico-militaires) du conflit (le camp présidentiel refusant cette possibilité), le CDPC a consenti à négocier seul avec le gouvernement, négociations qui ont abouti à la plateforme politique du 13 août 2007.
Notons au passage, qu’après dix-huit ans de multipartisme, l’image des partis politiques de l’opposition n’est pas celle des structures aptes à apporter le changement. Affaiblis par les efforts de cooptation du régime, dépourvus de moyens d’expression et confrontés à la lassitude de leurs militants, leurs principaux leaders ont assez souvent accepté des mariages précaires en entrant dans le gouvernement.
Les cinquante années d’indépendance ont produit, sur le plan socio-économique, des résultats mitigés. Avec une population estimée à 2,5 millions d’habitants en 1960, le pays compte 9,9 millions en 2009 (PNUD). Le Tchad demeure une économie fragile de par la faiblesse de son PIB par habitant ($,646) et son classement IDH en 2009 (170ème/179). Selon les dernières estimations de l'Institut National de la Statistique, des Etudes Economiques et Démographiques (INSEED), le taux de croissance de l’économie se situerait à 1,9% en 2009, contre +0,01% en 2008. Au demeurant, pays à vocation agro-sylvo pastorale, le Tchad est entré dans le club des pays producteurs de pétrole (2003, date de commercialisation) grâce à ses gisements de brut dans le sud (Doba et environs) faisant naître de grands espoirs de changements et de développement, délaissant de ce fait les mamelles traditionnelles de son écono-mie (coton, élevage…).
Le projet de construction du pipe-line Doba-Kribi (Cameroun) était alors l’investissement terrestre le plus élevé de l’Afrique. L’accord signé avec la Banque Mondiale et le consortium (Exxon, Chevron et Pétronas) confiait à l’Etat tchadien un rôle d’arbitrage et de redistribution qui aurait pu lui permettre de restaurer son image et d’améliorer ses services publics. Fort malheureusement, la remise en cause du modèle initial de gestion (voir la Loi 001/ PR/99 du 11 janvier 1999 portant gestion des revenus pétroliers) a aggravé la crise de confiance en l’Etat.
Après un demi-siècle d’indépendance, des défis majeurs de gouvernance se posent avec acuité : la qualité du système de santé, d’éducation (leur accessibilité), les infrastructures (routes), la réforme du secteur de la sécurité (en particulier la mise sur pieds d’une armée républicaine), la transparence dans la gestion et le devoir de rendre compte, l’indépendance du pouvoir judiciaire (consacrée théoriquement par la Constitution). Loin de paraître une occasion de faste, le 11 août 2010 doit être pour les Tchadiens une étape importante non pas seulement pour faire un bilan de cinquante années, mais bien plus un moment pour diagnostiquer les multiples obs¬tacles au développement de leur pays.
* Tordeta Ratebaye, Diplomate de Formation, diplômé de l’ENA de Paris (Gestion Internationale des Conflits) et de l’Institut des Relations Internationa¬les du Cameroun (IRIC), membre du CODESRIA. (lire dans le bulletin de l’IAG : http://www.iag-agi.org/spip/IMG/pdf/Bulletin-IAG-_Francais_septembre.pdf)
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