La raison pour laquelle l’Angola achète des avions militaires décrépits à la Russie, qui vont coûter une fortune en maintenance, reste un mystère. Qui va voler avec ces avions ? Où l’Angola s’apprête-t-il à combattre ? Ces questions et de nombreuses autres cherchent réponse
La Russie prévoit d’augmenter sa présence sur le marché de l’armement en Afrique, comme le montre un dernier accord de vente de matériel militaire puissant, avec des avions de combats Su-30K, la construction d’une usine de munition et la prestation de services de maintenance pour un montant estimé à 1 milliard de dollars à l’Angola. Diverses questions montent dans le milieu des experts, entre autres, celle de savoir si la Russie est entrain de réarmer l’Afrique au détriment du soutien au développement, contribuant ainsi à augmenter la dette sur le continent comme à l’époque soviétique.
En octobre de l’année dernière, Voice of Russia (VoR), citant le directeur du département des organisations internationales du ministère des Affaires étrangères dirigé par Vladimir Sergeev, rapport ait que la Russie a annulé la dette des pays africains pour un montant de 20 milliards de dollars. Des dettes contractées lors d’achats d’armements à l’époque soviétique. Professeur émérite de l’université de KwaZulu-Natal en Afrique du Sud, professeur à l’Université des Hautes études économiques à Moscou et auteur de "The hidden thread : Russia and South Africa in the Soviet era", soulingne à ce propos : "Il n’y a aucun doute qu’une bonne partie des exportations de la Russie vers l’Afrique est constituée d’équipements militaires. La Russie n’a pas trouvé de débouchés en Afrique pour ses nombreux autres produits d’exportation. Ceci est à l’évidence une source fiable de fonds pour Rosvooruzheniie et au final pour le budget russe. A mon avis, ceci n’est pas une bonne utilisation de l’argent par les pays africains dont, par exemple, le gouvernement angolais. Mais si c’est ce qu’ils veulent, il n’y pas de raison pour la Russie de ne pas satisfaire la demande tout en se faisant de l’argent, étant donné qu’il est l’un des grands producteurs au monde".
L’agence de presse russe, Ria Novosti, rapportait ainsi le 16 octobre, que les services étatiques d’exportation d’armements russes ont «signé un accord avec l’Angola pour la livraison d’équipement militaire pour le montant de 1 milliard de dollarss, incluant la construction d’une fabrique de munition et des services de maintenance". Citant le journal financier Vedomosti, l’articile soulignait aussi que Rosoboronexport fournirait 18 avions de combats SU-30K à l’Angola.
L’avion de combat Su-30K fait partie d’un lot d’avions qui avait été initialement fourni à l’Inde à la fin des années 1990, jusqu’à ce que Delhi reçoive les avions multifonction plus élaborés de la gamme des SU-30MK. Ils ont été alors rendus à la Russie en 2007, lit-on dans Vedomosti, et sont depuis lors restés au sol, dans des ateliers de réparation en Biélorussie. Ils avaient été d’ailleurs précédemment proposés à la Biélorussie, au Soudan et au Vietnam. Dans la liste de vente, il y a aussi des hélicoptères de transport Mi-17, des tanks, de l’artillerie, des armes à feu et des munitions, rapporte l’article. On y apprend aussi que Rosoboronexport s’occupera de la maintenance de l’équipement militaire russe utilisé par l’armée angolaise.
Rosoboronexport et le ministère de la défense russe n’ont pas commenté les allégations faites à propos de cet accord qui, selon Vedomosti, avait été signé lors du voyage du vice Premier ministre russe, Dimitri Rogozin, en Angola, un allié géopolitique de la Russie depuis l’époque soviétique.
Par le passé, à l’instar de l’Inde qui a eu à retourner des avions de combats SU-30K qu’elle avait achetés, l’Algérie a aussi renvoyé 15 avions de combats Mig russes, affirmant qu’ils étaient défectueux. Ces appareils constituaient la première livraison dans le cadre d’un contrat de 8 milliards de dollars. Mais les premiers avions livrés en mars 2007 contenaient des pièces de mauvaises qualités.
Les forces aériennes indiennes avaient aussi commandé plusieurs lots qui, au total, se montaient à plus de 200 Su-30MKI .Les premiers avions livrés étaient des modèles de base. Ce sont ces modèles initiaux (10 avions SU-30MK et 8 SU-30K, livrés entre mai 1997 et décembre 1999) qui ont été retournés en Russie et qui ont été remplacés par des avions d’une technologie plus avancée comme le SU-30MKI. L’Inde avait le projet d’améliorer ces avions mais a choisi de les échanger contre de nouveaux. Selon le Air Force Daily, ils ont été retirés du circuit en 2006 et renvoyés à la réparation à Baranovichi, en Biélorussie, une ancienne République soviétique, entre août et novembre 2001. Ils y sont restés, propriété de la compagnie Irkut.
En juin de cette année, le vice directeur général de Rosoboronexport, Alexandre Mikheyev a dit que si un client était désireux d’acheter les Su-30s, sa compagnie était prête à réparer, à améliorer et à livrer ces avions dans les six mois. A ce moment, quatre anciens avions indiens Su-30s étaient entrain d’être remis à neuf.
L’an dernier, en septembre, lors du rallye africain aérospatial et de la défense, qui s’est déroulé près de Pretoria, Mikheyev a déclaré que la Russie était prête à exporter des Su-30s en Afrique, en particulier vers des pays comme l’Ouganda, l’Angola et l’Ethiopie. L’Angola a reçu 6 avions de combats multifonction SU-30MK2 en 2012.
Il n’y a rien de rationnel dans l’achat par l’Angola de ces vieux coucous de deuxième main, qui sont restés à l’air libre pendant de nombreuses années (aussi bien en Inde qu’en Biélorussie). Cela n’a pas de sens, selon de nombreux experts.
Malgré les besoins de la reconstruction du pays, l’Angola qui regorge de pétrodollars devrait rechercher un meilleur moyen pour consolider sa position de puissance régionale émergente, plutôt que d’acquérir ce qui s’avère être essentiellement de la vieille ferraille, probablement à peine capable de voler et nécessitant de la maintenance intensive.
Soit dit en passant, ce n’est pas la première fois que la Russie vend de l’équipement militaire et de l’armement obsolètes, ou même en dessous des standards, à l’Afrique, confie Dr Shaabani Nzori, expert indépendant et un analyste de la politique étrangère basé à Moscou. "Ce à quoi nous assistons, c’est que la Russie et ses dirigeants essaient toujours de se débarrasser de leurs machineries et leurs équipements démodés, obsolètes et inutiles en Afrique et chose surprenante, les dirigeants angolais l’ont accepté !". Et d’ajouter : "Bien sûr que l’Afrique ne doit pas arrêter d’acheter des armes russes. Ce qui est vraiment requis, c’est que les dirigeants africains eux-mêmes soient plus exigeants et demandent des armes et des équipements militaires modernes et n’acceptent pas d’être la poubelle et le dépotoir de la machinerie russe obsolète".
Le professeur adjoint à Elliott School of International Affairs, à l’université de Washington, David Shinn, ancien ambassadeur américain en Ethiopie (1996-1999) et au Burkina Faso (1987-1990) a déclaré, dans une interview par email accordée à Business Africa, au vu des derniers développement concernant l’acquisition des avions Su-30K par l’Angola, que l’on doit se demander pourquoi l’Angola a besoin d’avions de combat si performants et qui est l’ennemi potentiel ? Selon lui, "l’Angola est un pays riche en pétrole et peut s’offrir cet achat, mais il semble que cet argent pourrait être utilisé de façon plus judicieuse. Il y a aussi la question de sav oir qui va piloter ces avions et qui va s’occuper de la maintenance. L’Angola a-t-il des pilotes formés pour voler avec ces Su-30Ks ? J’en doute. Jusqu’à ce que les pilotes angolais soient formés, des pilotes étrangers seront-ils engagés ? Et si oui, à quoi cela rime-t-il ? Je suis plus préoccupé par la logique qui mène à l’achat de ces avions que par l’état de ces avions particuliers", affirme Shinn.
Il ajoute : "En toute justice à l’égard de l’Angola, d’autres pays africains ont acquis ou prévoient d’acquérir des SU-30s en Russie. L’Ouganda en a reçu six et a exprimé son intérêt pour six autres. Je soulèverais les mêmes questions, que celles mentionnées à l’égard de l’Angola, à l’égard de l’achat par l’Ouganda, qui n’est pas un riche pays pétrolier même si du pétrole a été découvert là-bas".
L’Ethiopie a acheté des avions SU-27 au cours de la guerre avec l’Erythrée et se montre, paraît-il, prête à recevoir des SU-30s. Alors que la confrontation entre l’Ethiopie et l’Erythrée – qui possède des MIGs russes de haute performance – persiste, ceci n’est pas une façon sage de dépenser ses maigres réserves de devises, compte tenu des immenses besoins en matière de développement économique dans les deux pays, ajoute Shinn.
Tous ces pays sont indépendants et peuvent prendre leurs propres décisions. Mais au final ils devront rendre des comptes à leurs populations. Dieu sait que les Etats-Unis, pendant des années, ont pris des décisions fâcheuses et acquis des programmes et du matériel militaires extrêmement coûteux. Aucun pays ne semble à l’abri d’erreurs dans ce domaine, selon un ancien haut diplomate et professeur.
Dans un nouveau rapport de recherche intitulé "Angola, Russia and Angola : the rebirth of a strategic partnership ?", paru en octobre, les auteurs Ana Christina Alves, Alexandra Arkhangelskaya et Vladimir Shubin reconnaissent que "la défense demeure la dimension la plus solide de la coopération entre l’Angola et la Russie. A ce jour, la Russie est le partenaire militaire le plus stratégique de l’Angola"
Pour Ana Alves, chercheur au Global Powers and Africa Programme, à l’Institut sud africain des affaires internationales, "l’équipement militaire est sans aucun doute l’aspect le plus profitable et le plus important du commerce de la Russie avec l’Afrique dont, malheureusement, les chiffres n’apparaissent pas dans les données officielles du commerce bilatéral. Si ceux-ci étaient comptabilisés, le volume commercial bilatéral serait beaucoup plus impressionnant. C’est peut-être là la plus importante dimension dans les affaires que la Russie mène en Afrique en ce moment, mais en raison de la nature de ces transactions, peu de choses sont connues en-dehors des cercles militaires et il est difficile de se faire une idée".
Pour des raisons historiques, souligne Alves, l’approvisionnement en équipements militaires et en armement (ainsi que les services connexes) demeure un élément crucial des relations entre la Russie et l’Angola et persistera de façon générale, dans un avenir prévisible, dans les relations entre la Russie et l’Afrique.
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** Kester Kenn Klomegah est journaliste et un chercheurr indépendant sur les engagements de la Russie et de la Chine avec l’Afrique. En 2004 et encore en 2009, il a été le lauréat du Golden Word Price pour une série d’articles analytiques sur la coopération économique de la Russie avec des pays africains. Traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger
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