La Confédération des forces de gauche, mise sur pied au Sénégal, veut se constituer en une force politique capable de «…conquérir le pouvoir politique et le faire exercer par les masses populaires pour mettre en œuvre les politiques de libération du peuple…». Mais cet objectif progressiste est-il atteignable dans ce pays qui est encore culturellement régie par des valeurs féodales, dans un contexte de grande pauvreté qui fait que la survie au jour le jour est le souci principal de la majorité de la population ?
L’histoire politique du Sénégal des années 1950 à nos jours a été déterminée par la lutte entre d’une part la Gauche constituée de partis d’obédience marxiste-léniniste et nationaliste-panafricaniste et d’autre part les partis conservateurs, «socialistes démocrates » et libéral-travaillistes.
Le camp conservateur a triomphé et assuré, sans discontinuer, le gouvernement de l’Etat tout en s’administrant les mues organiques requises pour la pérennité de son pouvoir, surtout à la suite de la révolte de 1968, quand la coalition de la jeunesse estudiantine et des syndicats de travailleurs a ébranlé le gouvernement.
La Gauche, contrainte à l’exil, à la clandestinité ou à la collaboration pendant un temps, a connu des clivages idéologiques et des scissions organiques qui l’ont affaibli et développé en son sein des rancœurs et des frustrations tenaces.
Après l’instauration du multipartisme intégral en 1981, et une décennie passée dans l’opposition légale, ses principales composantes, le Parti de l’indépendance et du travail et la Ligue démocratique se sont résolus à participer au gouvernement du Parti socialiste et du président Abdou Diouf.
La Gauche sénégalaise ne s’est finalement retrouvée, tous partis confondus, que deux fois. Chaque fois pour faire la promotion et assurer la victoire du camp opposé. En 2000, ce fut pour assurer l’alternance du Parti socialiste par le Parti démocratique sénégalais et Me Abdoulaye Wade. Puis ce fut pour assurer la deuxième alternance en 2012, cette fois au profit de Macky Sall et de l’Alliance pour la République, excroissance du Pds.
Il faut avoir ce contexte à l’esprit pour saisir le sens de la réunion organisée par «le groupe de Gauche» pour le «lancement de la Confédération des forces de Gauche» les 21 et 22 février 2015.
Le groupe de Gauche est un regroupement de vieux partis «nationalistes-panafricanistes» et d’obédience marxiste-léniniste : le Parti de l’indépendance et du travail, la Ligue démocratique, le Rassemblement national démocratique, l’Union pour la démocratie et le fédéralisme, Yoonu Askan wi, l’Observatoire pour la démocratie et la citoyenneté et le Rassemblement des travailleurs africains.
La Confédération des forces de gauche, mise sur pied, veut se constituer en une force politique capable de «…conquérir le pouvoir politique et le faire exercer par les masses populaires pour mettre en œuvre les politiques de libération du peuple, pour bâtir un Sénégal démocratique, républicain, laïque et souverain, dans une Afrique solidaire, intégrée et ouverte…». Mais cet objectif progressiste est-il atteignable dans ce pays qui est encore culturellement régie par des valeurs féodales, dans un contexte de grande pauvreté qui fait que la survie au jour le jour est le souci principal de la majorité de la population ?
La stratégie proposée par la Confédération des forces de gauche est de «lutter aux côtés des masses populaires, pour lever toutes les entraves aux libertés démocratiques dans le pays, aux libertés syndicales dans l’entreprise capitaliste privée ou dans le secteur public et para public… de se dresser contre toutes les injustices envers les couches populaires des villes et des campagnes, pour créer les conditions de transformation de la force sociale de la classe ouvrière et des paysans pauvres, petits et moyens, en force politique autonome…»
N’est-ce pas précisément cette stratégie, articulée autour des «masses populaires» et de la «classe ouvrière», vue comme «l’avant-garde», que la Gauche sénégalaise a toujours adopté depuis au moins 1950, avec les résultats que l’on sait ? Ne devrait-on pas plutôt se donner des objectifs spécifiques concernant des problèmes de développement identifiés, déclinables en fonction des réalités, au niveau régional, départemental et communal ?
Par exemple, l’accès à la terre pour tous, dans des conditions permettant une exploitation productive, sans discrimination de genre, l’accès à l’eau potable et pour l’irrigation, l’accès à la santé, la refondation de l’école républicaine, d’une université capable d’impulser la formation et la recherche pour un développement autocentré, le développement d’une culture populaire en phase avec le 21e siècle…
Quant à la classe ouvrière, ne devrait-on pas enfin reconsidérer et sa nature et son rôle quand on sait que les industries, usines et assemblages se comptent désormais sur les doigts d’une seule main, que les travailleurs sont pour la plupart des journaliers dont la culture ne prédispose en rien à une «conscience de classe» ouvrière ?
En plus d’une redéfinition et d’une analyse plus fine de sa stratégie, l’autre défi qui se pose, à notre avis, à l’ambition de la Confédération des forces de gauche de se constituer rapidement en «une nouvelle gauche moderne, ouverte, débarrassée des clichés, qui n'est ni sectaire, ni dogmatique (...)», selon les mots de son coordonnateur Pape Demba Sy, est relative à la mobilisation d’un plus grand nombre de citoyens, notamment des femmes et des jeunes.
Sur les 400 à 500 participants de la réunion de lancement, nous avons estimé que les femmes et le jeunes représentaient à peine 10%, la majorité étant constituée d’hommes du troisième âge, d’anciens combattants des luttes estudiantines et syndicales des années 1970/1980.
Pour atteindre et mobiliser les Sénégalais, dans leur diversité et en nombre, ne devrait-on pas indiquer des options de politiques de développement répondant aux préoccupations spécifiques des différents groupes : l’accès à la terre pour les femmes, la libéralisation de l’avortement, l’adoption des langues nationales comme langues officielles, les grands travaux d’équipement pour l’emploi des jeunes par exemple ? Ne devrait-on pas communiquer autrement dans l’objectif de changer les mentalités et comportements en utilisant les radios, les télévisions et les médias sociaux ?
Une vidéo sur Youtube, un message vocal ou écrit sur téléphone portable, le parrainage de manifestations par des stars locales de la musique, Dj ou autres artistes reconnus peuvent permettre de toucher un public varié, à moindre coût.
En somme, si la constitution de la Confédération des forces de gauche du Sénégal est déjà un pas en avant dans la bonne direction, il nous semble que pour qu’elle atteigne son objectif, qu’elle devra nécessairement procéder à son aggiornamento, autant aux plans idéologique et stratégique qu’aux plans des tactiques et des méthodes de mobilisation des citoyens et des électeurs…
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** Alymana Bathily est éditorialiste de SenePlus
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