Dans l'épreuve que traverse la Côte d’Ivoire, la lucidité du peuple ivoirien et des Africains résidents est exemplaire. Nous devons les soutenir par des textes qui mettent l’accent sur les conditions lui permettant de perdurer. Il faut centrer le débat sur la nécessité de la démocratie et sur les obstacles à surmonter pour en faire un objectif réalisable et un processus irréversible.
En Afrique, une démocratisation politique ne peut être défendue durablement par un peuple que si elle est associée à la fois au progrès social, à la mise des ressources naturelles du sol et du sous sol au service du développement économique national ou sous régional autocentré, et au panafricanisme anti-impérialiste. Sinon, c’est l’échec assuré. Je voudrais attirer l’attention sur les techniques que les puissances impérialistes occidentales mettent en œuvre aujourd’hui pour bloquer la convergence de ces trois exigences, en tenant les gouvernements en joue par la présence de bases militaires ou en créant des rebellions.
Pourquoi les Etats Unis ont-ils précipité leur seule colonie africaine, le Liberia, dans le chaos et ont-ils jugé utile avec Londres d’étendre ce chaos en Sierra Leone ? Nous prétendons qu'ils avaient pour objectif majeur de contraindre les Américano-libériens et les Anglos sierra-leonais à partager le pouvoir avec les « Natives » afin d’élargir la base sociale du contrôle sur les mines des diamants et des réserves forestières. Au départ, son appartenance raciale aux deux groupes (mère native et père libéro-américain) et son tempérament ont joué en faveur de Charles Taylor. Mais, en pleine guerre, il a donné l’impression de se rapprocher de Houphouët Boigny et donc de la France. Ils ont donc décidé qu’il ne resterait pas chef d’Etat. Nonobstant son élection selon les règles et sous la supervision de la communauté internationale, il a été contraint de démissionner, contre la promesse de trouver asile au Nigeria. Il est aujourd’hui devant la Cour pénale de La Haye.
Au Nigeria, le projet impérialiste en cours d’exécution se résume en ceci: le pétrole de ce pays doit être mis au service exclusif de la sécurité énergétique des Etats unis. Moyennant quoi les classes dirigeantes peuvent gaspiller la rente à leur guise et inciter les peuples à s’entretuer au nom des différentes manières d’adorer le même dieu. Un mouvement de rébellion fabriqué de toutes pièces tient les entreprises non occidentales et parfois non anglo-saxonnes à distance. Dans ce cadre on peut même reconnaître au Nigeria un rang de puissance régionale, tout en sachant qu’il faut le maintenir dans la situation d’un géant aux pieds d’argile.
Le Sahel, région qui symbolise la famine, est devenu une zone de ressources naturelles stratégiques et donc foyer d’une AQMI dont l’origine remonte aux brigades islamiques recrutée par les USA dans la lutte contre un pouvoir laïc. Le Niger et le Mali sont entrain de servir de terrain d’expérimentation ou mieux de terrain de simulation de la lutte contre des gouvernements qui tenteraient de nationaliser des entreprises minières ou pétrolières ou de laisser des entreprises non occidentales investir dans l’exploitation des minerais stratégiques. Au Niger, le prétexte d’un changement de Constitution a suffi pour justifier un coup d’Etat qui a permis de remettre en question les prétentions chinoises d’investir dans l’uranium, et cela après que, dans le cadre des mini rivalités franco-américaines, le Niger a été accusé de livrer du minerai d’uranium à l’Iran.
Au Soudan, John Garang, qui avait pourtant pour projet de faire du Soudan un Etat confédéral et qui était un allié subordonné à l’impérialisme collectif, a été assassiné dans le but d’une part d’éliminer un "ami qui en savait trop" et d’autre part de transformer son projet de confédération soudanaise en projet de deux Etats souverains, le nouveau devant abriter des bases militaires de l’OTAN.
Dans ces conditions, on comprend que les peuples de l’Afrique de l’Ouest s’opposent à une intervention militaire de la CEDEAO en Côte d’Ivoire, car ils savent que les Etats-unis et l’Union européenne sont dans la logique de la monopolisation des ressources naturelles de l’Afrique occidentale enrecourant à deux stratégies complémentaires : l’installation ou le renforcement des bases militaires et l’instauration du chaos pour se présenter en sauveur de peuples en péril. L’Afrique de l’Ouest a besoin d’une régionalisation qui soutienne les efforts des peuples pour contrôler leur destin.
* Bernard Founou Tchuigoua – Forum du Tiers monde
* Veuillez envoyer vos commentaires à [email protected] ou commentez en ligne sur www.pambazuka.org
- Identifiez-vous pour poster des commentaires
- 263 lectures