Les positions conservatrices des agences internationales et des écologistes des pays riches nient à l’Afrique l’accès aux technologies qui pourraient améliorer sa sécurité alimentaire et transformer son agriculture à l’image de celle des pays développés du monde.
Félix M’mboyi, un scientifique kényan, a défrayé la chronique l’an dernier, lorsqu’il s’est insurgé contre les opposants aux modifications génétiques des cultures agricoles pour dire : "Les riches Occidentaux ont le luxe du choix du genre de technologie qu’ils utilisent pour produire leurs aliments. Pourtant leur sensibilité et leur influence refusent à de nombreux pays en voie de développement l’accès à ces technologies". Directeur exécutif de l’African Biotechnology Stakeholders Forum, une association industrielle basée au Kenya, M. M’mboyi a déclaré au quotidien The Guardian : "Ce genre d’hypocrisie et cette arrogance s’accompagne du luxe d’un estomac plein".
Ce sont des propos forts, mais la science semble lui donner raison. L’Afrique doit augmenter sa production alimentaire de 40%, selon l’International Food Policy Research Institute. Près de 3,5 millions d’enfants meurent de malnutrition chaque année, selon l’Oms. Les techniques agricoles en elles-mêmes ne vont pas résoudre ce problème. Mais elles ont un rôle important à jouer dans ce que Calestous Juma, professeur en développement international à Harvard et auteur de "New harvest : agricultural innovation in Africa", désigne sous le terme de "boîte à outils" à la disposition des paysans africains confrontés à des défis croissants.
De nombreux militants anti-Ogm affirment que cette technologie ne profitera pas aux petits paysans dans les pays en voie de développement mais ne feront qu’enrichir les multinationales de l’agro-alimentaire. Toutefois des recherches récentes sèment le doute quant à ces affirmations. L’International Service for the Acquisition of Agri-biotech Applications (Isaaa) a publié un rapport le 7 février 2012, qui montre que 90% des 16,7millions des cultivateurs d’Ogm sur 162 millions d’hectares dans le monde entier en 2011 étaient des petits paysans dans des pays en voie de développement, aux moyens limités.
D’aucuns ont émis des doutes quant à ces chiffres parce qu’Isaaa est une Ong new-yorkaise qui fait la promotion des cultures Ogm. Par exemple, le libre choix des paysans chinois est douteux. Au Brésil, la majeure partie des bénéfices provient de grandes fermes industrielles. En Inde, bien qu’il semble y avoir une corrélation entre l’adoption des Ogm et l’augmentation des récoltes, une analyse plus poussée montre que d’autres facteurs sont à l’œuvre, qui ne sont pas moins importants.
Ecrivant dans le South Africa Farmer’s Weekly, Hans Lombard a trouvé que les petits paysans nomment le maïs inoculé avec le gène Bt iyasihluthisa "ce qui vous remplit le ventre". En 2010, quelque 20 000 hectares ont été plantés avec ces semences et la récolte a augmenté de 60%. Un chef local a rapporté que la moisson a passé de 1,5 tonne l’hectare à 4 tonnes l’hectare, grâce au maïs Bt avec des économies substantielles d’insecticides. Un autre a rapporté un revenu additionnel de Rd 2000 (environ $ 230) par hectare pour chacun des petits paysans de son district, grâce à une production accrue de maïs.
Un paysan de Soweto, près de Johannesburg, a dit à Lombard : "J’ai payé Rd 344 ($ 40) pour les semences Bt au lieu de R 172 ($20) pour un hectare de semences conventionnelles. La récolte a été de 9650 kg/hectare comparée à 7200 kg/hectare. Mon profit avec le maïs Bt a été de Rd 13 166 ($ 1500) comparé à Rd 9 908 ($1125). Avec le maïs Bt je fais du bénéfice financier et j’ai une meilleure qualité de vie.
Le paysans sud africain, Mark Coulson a choisi de passer au maïs Ogm parce que cela diminue le nombre de pulvérisations de moitié, ce qui diminue les coûts de production et signifie moins de produits chimiques dans la chaîne alimentaire. Ceci a aussi diminué le coût en carburant et en mécanique ainsi qu’une diminution de l’exposition aux produits chimiques du paysan et de ses ouvriers. "Cela fait sens aussi bien du point de vue économique que de l’environnement", a-t-il écrit dans une lettre.
Pourquoi les paysans adopteraient-ils la stratégie des Ogm s’ils pensaient que le résultat serait l’appauvrissement, la ruine de leurs terres ou que la santé de leurs consommateurs serait affectée ? Et qu’est-ce qui conduirait les écologistes des pays industrialisés, loin des terres poussiéreuses de l’Afrique, à dénoncer ces choix ?
Hormis la dispute consistant à savoir si les Ogm profitent aux petits paysans plutôt qu’aux seules grandes opérations commerciales, un des facteurs pourraient être la lente insinuation de recherches qui affirment avoir trouvé des effets dommageables pour la santé chez des animaux nourris aux Ogm. Un exemple récent est une étude conduite par un scientifique français, Gilles Eric Séralini, qui a fait des grands titres grâce à des photos horrifiantes de rats porteur de grosses tumeurs présumées cancéreuses.
Toutefois, dès la publication des résultats, des scientifiques, les législateurs et même des journalistes écologistes, préalablement sympathisants, ont commencé à attaquer l’étude. M. Seralini et ses collègues étaient coupables d’une présentation sélective des données afin d’exagérer leur découverte, soutiennent les critiques.
Dans l’intervalle, en France, Agnès Ricroch, chargée de cours en génétique des plantes à AgroParisTech et professeur adjoint à la Penn State University aux Etats-Unis, a procédé à une revue de la littérature concernant des projets de recherche financés par des fonds publics afin d’éliminer les aspects tendancieux provenant d’intérêts commerciaux. Avec son équipe de toxicologue et de biologistes, elle a examiné 24 études sur les effets à long terme des aliments Ogm sur toute une variété d’animaux. Aucune de ces études n’a trouvé d’impact significatif sur la santé des animaux observés selon l’article publié dans Food and Chemical Toxicology Journal.
De même aucune étude crédible n’a encore trouvé de risques significatifs pour les humains qui consomment des aliments Ogm. Pour l’essentiel la composition chimique de ces aliments n’est pas substantiellement différente des aliments non Ogm, ainsi ils ne présentent pas plus de risques. Les normes de sécurité décidées par les agences internationales sont basées sur le contenu plutôt que sur le processus de production.
Dans une étude publiée dans le journal de biotechnologie Landes Biosciences, basé à Austin (Texas), Graham Brookes et Peter Barfoot, consultants en industrie agroalimentaire, montrent qu’entre 1966 et 2011 l’effet combiné de la résistance aux insecticides et aux herbicides a permis une diminution de l’utilisation de ces produits de 17,6 %. Même si ce chiffre semble minime, il signifie une économie de 443 000 tonnes de ces produits chimiques. Les paysans économisent une bonne quantité d’argent et évitent les effets indésirables dus à l’utilisation de ces produits chimiques, comme les atteintes à la santé des consommateurs et des ouvriers agricoles ainsi que l’atteinte à l’environnement.
Dans un autre article, deux économistes ont évalué l’impact économique des cultures Ogm au niveau mondial en terme de quantité, considérant les quatre principales cultures : le soja, le maïs, le coton et le colza. Ils ont examiné les coûts de production, le revenu des paysans et l’impact indirect sur le revenu des paysans et ont trouvé des bénéfices économiques nets substantiels pour les paysans d’une valeur de 14 milliards de dollars pour la seule année 2010.
Pour une bonne part, le bénéfice économique provient des modifications génétiques qui résultent en une meilleure moisson par hectare, une augmentation de la résistance à la sécheresse qui rend des terres marginales ou dégradées plus productives ainsi que le moindre effort pour du travail physique et mécanique pour combattre les mauvaises herbes. Le rapport de Isaaa, précédemment cité, fait état de bénéfices économiques similaires, lesquelles se produisent pour 55% dans les pays en voie de développement et pour 45% dans les pays développés.
Outre l’amélioration de la productivité des paysans et l’impact moindre sur l’environnement, les cultures Ogm jouent aussi un rôle significatif dans la fortification des aliments, c'est-à-dire l’addition d’éléments nutritionnels désirables comme davantage de vitamines ou de protéines dans des produits qui autrement en manqueraient, résolvant ainsi d’autres problèmes de santé.
L’Afrique n’est pas étrangère aux aliments fortifiés. Le dit "quality protein maze" ou Qpm, un type de maïs créé par des sélections afin de doubler le contenu en protéines, a été introduit il y a un demi-siècle. Il est utilisé pour combattre la malnutrition infantile et les infections dues au Vih. La majorité de ces cultures se trouve maintenant en Afrique. Un article dans le journal AgBioForum de Carl Pray et d’autres, décrit cet hybride comme "un succès à la fois technique et commercial" malgré la nécessité de fréquemment racheter les semences. Un autre hybride conventionnel connu sous le nom de "orange-fleshed sweet potato" ou Ofsp (patate douce à la chair orange) a augmenté les récoltes et diminué les carences en vitamines A chez les enfants de 24%, selon cet article.
Mais, là aussi, cette technologie a rencontré l’opposition de groupes écologistes comme Greenpeace. Cette opposition est dénoncée par Patrick Moore, un fondateur de l’organisation qu’il a quittée suite à une controverse sur des positions de plus en plus radicales. Selon lui, l’opposition aux aliments Ogm est "un crime contre l’humanité". L’argument de M. Moore est que le riz enrichi au béta-carotène, connu sous le nom de "riz doré" n’est pas différent des cultures résultant d’une culture sélectionnée. Il dit dans le magazine BioTechNow : "D’autres variétés de riz Ogm permettent d’éliminer les carences en micronutriments dans les pays consommateurs de riz, qui affligent des centaines de millions de personnes et qui sont à l’origine du fait qu’entre un quart et un demi million de personnes deviennent aveugles et meurent chaque année en raison d’un carence en vitamine A, faute de vitamine béta-carotène dans le riz. Nous pouvons mettre du beta-carotène dans le riz par des modifications génétiques mais Greenpeace nous l’a empêché".
Si le Riz doré est un succès, d’autres aliments fortifiés suivront bientôt. En particulier des pommes de terre enrichies aux protéines, le manioc avec de nombreuses améliorations génétiques y compris les vitamines, le fer, le zinc et des protéines ainsi que des caractères agronomiques. Suivra aussi le sorgho.
Toutefois, le document Pray met en garde sur le fait que M Moore pourrait avoir raison concernant de Greenpeace l’opposition aux aliments Ogm qui met en péril la réussite de la fortification des aliments. A l’inverse, dit le document, la demande pour des aliments fortifiés n’a pas conduit à l’acceptation et au succès des technologies Ogm.
Les Ogm ne sont pas fatales. Les cultures Ogm sont conçues pour être résistantes aux herbicides, mais les mauvaises herbes développent aussi des résistances au fil du temps. Comme dans l’agriculture conventionnelle, les herbicides et les pesticides doivent être alternés afin de réduire cette menace. Les craintes du public concernant les aliments Ogm peuvent aussi poser un défi aux gouvernements africains et à leurs politiques.
Certains opposants aux cultures Ogm ont accusé les semenciers d’Ogm de se montrer très agressifs et de traduire en justice, pour violation du droit des patentes, des paysans dont les cultures ont été malencontreusement contaminées par des Ogm à partir de fermes voisines. Toutefois, une Cour fédérale à Manhattan a rejeté, au début de cette année, une plainte collective provenant de quelque 300 000 fermiers, représentés par l’Organic Seed Grower and Trade Association aux Etats-Unis contre Monsanto, un des principaux semenciers Ogm, considéré comme particulièrement agressif par les opposants aux Ogm. La Cour a estimé qu’aucun des plaignants n’a été poursuivi en justice par Monsanto ou subi des dommages et que les 13 plaintes annuelles, en moyenne, contre Monsanto, sont insignifiantes en regard des quelque 2 millions de fermiers américains.
Il serait sage pour les pays qui cherchent à profiter des avantages des cultures Ogm d’établir des banques de semences des variétés non génétiquement modifiées. Ceci garantirait non seulement une diversité génétique à des fins de recherche, mais fournirait aussi une assurance. Si des risques futurs ou si le comportement commercial des semenciers Ogm devait rendre la chose nécessaire, de telles banques donneraient accès aux paysans à des stocks libres de patentes. Une telle politique pourrait en effet atténuer les craintes que les paysans, supposés ignorants, des pays pauvres, soient séduits par les semenciers Ogm et soient ensuite forcés et contraints, bon an mal an, d’acheter des semences Ogm sans possibilité de revenir aux semences ordinaires aux multiples moissons.
Les politiques d’étiquetage sur une base volontaire et la prévention de la fraude sont relativement faciles à administrer. Si les fermiers et les détaillants affirment que leurs aliments sont sans Ogm, ces affirmations doivent être vérifiables et véridiques. A l’inverse, l’étiquetage obligatoire des aliments Ogm est complexe et impose un coût significatif aux aliments Ogm qui sont ainsi de façon artificielle, rendus moins compétitifs.
Le professeur Juma est préoccupé par le fait que seul quatre pays africains - l’Afrique du Sud, Egypte, le Burkina Faso et depuis cette année le Kenya - ont permis l’importation de culture Ogm. A l’évidence M. M’mboyi a raison. Les positions conservatrices des agences internationales et des écologistes des pays riches nient à l’Afrique l’accès aux technologies qui pourraient améliorer sa sécurité alimentaire et transformer son agriculture à l’image de celle des pays développés du monde
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** Ivo Vegter est un éditorialiste sud africain écrivant sur des sujets économiques, politiques, légaux et écologiques et est l’auteur de "Extreme environment", un livre qui dit combien les exagérations écologiques nuisent aux économies émergentes. En 2011, il a été finaliste pour le prestigieux prix de journalisme le Bastiat Prize qui reconnaît les travaux qui font la promotion de la société libre
Source : http://gga.org/publications/africa-in-fact-november-2012 - Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger
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