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Mandela laissera un jour en héritage un modèle d’action, mais également un enseignement. L’hommage unanime de la planète à son endroit est donc amplement mérité. L’occasion nous est donc donnée de nous pencher un peu de manière comparative sur la situation de Madagascar et des hommes politiques malgaches.

Alors que Nelson Mandela se bat pour ne pas rendre son dernier souffle, le monde entier retient le sien. Et dans la course au scoop, à savoir être le premier à annoncer à la planète le décès de ce grand homme, certains se sont singularisés par des faux départs pitoyables. Rafael Nadal à Roland Garros a envoyé un tweet dans ce sens qu’il a ensuite effacé, et, géographiquement plus près de nous, le site d’actualité sénégalais Dakaractu a voulu faire l’intéressant en révélant dimanche dernier la mort de l’ancien président sud-africain. Dakaractu a depuis effacé cette page qui a ridiculisé le peu de crédibilité qu’il avait, mais beaucoup de gasy se sont empressé de reprendre sur Facebook cette intox sénégalaise sans fondement. Il est vrai que dans une civilisation du tsaho et du honohono, cela n’est pas étonnant. Enga anie ka irin-ko faty vao ela velona !

Cet émoi prématuré et stupide de la blogosphère part toutefois d’un bon sentiment, dans la lignée du respect mondial dont s’est rendu digne Madiba pour son combat contre l’apartheid. Soulignons cependant le rôle joué par Frederik de Klerk à la fois dans l’histoire de l’Afrique du Sud et celle de Mandela. Mais Mandela a sans doute gagné ses galons de véritable homme d’Etat quand, une fois arrivé au pouvoir, il a œuvré pour bâtir une Afrique du Sud multiraciale, qui sache dépasser les rancœurs laissées par la ségrégation chez les non-Blancs, mais qui sache également rassurer la communauté qui était autrefois dominante. Sa vision exprimée au forum de Davos en 1992 était de transformer l’Afrique du Sud en un pays « uni, démocratique, non racial et non sexiste ». Tous ceux qui ont eu l’occasion de voir « Invictus », le fameux film de Clint Eastwood aux multiples récompenses (Oscar, César, Golden globes), comprennent que la mise en place de la « Nation arc-en-ciel » a dû se faire en oubliant l’esprit de vengeance qui aurait pu être compréhensible de la part des frustrés.

L’homme laissera un jour en héritage un modèle d’action, mais également un enseignement, dont cette formidable citation : « L’honneur revient à ceux qui, même quand l’heure est sombre, ne s’écartent jamais de la vérité, suivent encore et toujours la même voie, ceux que les insultes, les humiliations et même les défaites ne découragent pas ».

Dans son combat contre l’apartheid, Nelson Mandela ne fut pas seul, même s’il fut le plus célèbre, et aujourd’hui il est juste de rappeler des noms tels que ceux de Steve Biko, Walter Sisulu ou Oliver Tambo. Pour véhiculer leur idéal et leur résistance, ces leaders furent aidés par la musique qui adoucit les mœurs. Myriam Makeba, Paul Simons ou encore Johnny Clegg ont ensuite aidé à éveiller la conscience de la planète sur la situation inacceptable qui se déroulait en Afrique du Sud (mais aussi dans d’autres pays de la région). Le Malgache Rossy ne sera pas en reste avec son titre « Papa Mandela », dans un contexte où la deuxième République avait également apporté son aide à l’Anc en lui permettant d’émettre à partir des studios de la Radio télévision malgache. Sans doute une des rares choses estimables que Ratsiraka ait fait de bien dans ce pays...

L’hommage unanime de la planète envers Nelson Mandela est donc amplement mérité, même si je suis de ceux qui pensent qu’objectivement, ce sont les afrikaners blancs qui ont permis à l’Afrique du Sud d’être la puissance régionale qu’elle est aujourd’hui, en lui bâtissant des fondations économiquement solides. Si ce pays avait été laissé à lui-même comme plusieurs du continent noir après la décolonisation, il aurait eu des chances de se retrouver voisin de Madagascar ou du Zimbabwe dans les classements internationaux. Ceci étant dit, la clairvoyance des dirigeants noirs post-apartheid (Nelson Mandela, Thabo Mbeki, Kgalema Motlanthe et Jacob Zuma) a permis de capitaliser ces acquis, au lieu de les détruire.

L’occasion nous est donc donnée de nous pencher un peu de manière comparative sur la situation de Madagascar et des hommes politiques malgaches. On sait que si on leur donnait un micro, même le hibou, le vautour, l’hyène, le chacal, le lapin ou même l’écrevisse (marbrée) prétendraient tous être de la famille de la mésange pour essayer de grappiller un peu de sa notoriété d’excellente chanteuse. Il ne fallait donc pas s’étonner quand en 2009, en pleine tension avec la Sadc et l’Union africaine, le président de la transition (Pt) Andry Rajoelina a voulu faire l’intéressant : « En Afrique australe, notre référence, c’est Nelson Mandela. Et certainement pas Robert Mugabe ». Règle d’or de la communication : ce que l’on énonce, c’est ce qui ne va pas de soi. Ce que l’on a besoin de préciser, c’est ce qui est sujet au doute.

Alors, en termes de notoriété nationale et internationale, Rajoelina est-il plus proche de Mandela ou de Mugabe ? En termes de performance économique, Rajoelina est-il plus proche de Mandela ou de Mugabe ? Mandela est arrivé au pouvoir par des élections libres. Ce n’est pas le cas de Rajoelina, qui montre d’ailleurs en matière de sens démocratique de fortes accointances avec le Mugabe style, même si ce dernier n’est pas un Dj et affiche même un nombre impressionnant de diplômes universitaires.

Par conséquent, avant d’afficher ses références, Rajoelina ferait mieux de réviser ses classiques, car on finit par se dire que ce qui sort de ce Pt sent souvent mauvais. Rappelons également que Mandela s’est contenté d’un seul mandat, alors que sa stature lui aurait sans doute permis de rester président à vie sans que qui que ce soit n’y trouve à redire. Cette classe devrait inspirer ceux qui prétendent l’afficher comme modèle, mais qui font des coups d’Etat, tripotent la Constitution, font des marchandages, provoquent des crises institutionnelles ou s’abaissent à des chantages pour s’accrocher indéfiniment au pouvoir, même quand la loi électorale les oblige à démissionner.

Rajoelina et sa clique sont arrivés au pouvoir en affirmant apporter le changement, et même certains de ses ex-amis putschistes qui se sont défroqués depuis pour se porter candidats aux présidentielles, affirment sur Facebook que « le changement, c’est maintenant ». Outre le manque de scrupules du complice de coup d’Etat, il y a là un manque d’imagination : soit dit en passant, c’est un plagiat éhonté d’une thématique de François Hollande à la dernière présidentielles françaises. Quatre ans et demi ont permis de voir le genre de changement apporté par les oranges pourries de la Révolution du même nom, qui a amené 92% des Malgaches sous le seuil de pauvreté (source : Banque mondiale).

Ce manque de performance économique et démocratique n’est étonnant que pour ceux qui ont refusé d’avoir les yeux en face des trous au premier trimestre 2009, alors qu’on savait a priori à quoi s’attendre de la part d’aventuriers politiques sans formation, sans expérience et surtout, sans éthique.

Là où on en revient à Mandela, c’est que contrairement à lui, le Pt et ses sbires n’ont en tête qu’à répliquer les mêmes âneries que Ravalomanana, soit pour assouvir de basses vengeances, soit pour s’en servir comme prétexte justificatif. Le Pt ferme des radios et télévisions ? « Mais Ravalomanana a aussi fermé Viva, non ? ». Le Pt sort des Notam ? « Mais Ravalomanana a aussi fait des Notam contre Pierrot Rajaonarivelo, non ? ». Les affaires du clan mafieux qui entoure le Pt ont le vent en poupe ? « Mais Ravalomanana a aussi développé Tikoland, non ? ». Le Pt s’acharne contre la Fjkm pour lui faire payer ses liens avec l’ancien Président ? « Mais Ravalomanana s’en est aussi pris à la Fpvm, non ? ». Et ainsi de suite.

Même après le retrait de Mandela de la vie publique en 2004, toutes les personnalités internationales qui se sont rendues en Afrique du Sud après cette date ont tenté d’obtenir le privilège de lui rendre visite, et surtout de se faire prendre en photo avec lui. Il en fut ainsi de Nicolas et Carla Sarkozy, de Bill et Hillary Clinton, qui furent parmi les rares à se voir accorder cet honneur. Je ne sais pas trop qui se précipite à Madagascar pour être pris en photo avec le Pt, à part Bernard Tapie, le frère de George Bush Junior et quelques Arabes qui sont tellement princes qu’ils en « oublient » même de payer leur facture d’hôtel.

Si un jour Mandela meurt (ce qui arrivera fatalement un jour ou l’autre), la planète entière lui rendra hommage, et dira à sa mémoire : « Bravo et merci ! ». Tous les chefs d’Etats ne pourront pas prétendre à cela, et certains, à l’annonce de leur décès (ce qui arrivera fatalement un jour ou l’autre), n’auront sans doute droit qu’à un « Enfin ! Bon débarras ! ».

CE TEXTE VOUS A ETE PROPOSE PAR PAMBAZUKA NEWS



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** Ndimby a publié cet éditorial dans Madagascar Tribune du mercredi 12 juin 2013

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