Tourner la page et regagner la dignité du Mali, en finir avec la corruption des élites, c’est la promesse d’Ibrahim Boubacar Keïta, mais compte tenu de son passé politique il est presque sûr que la déception sera à la hauteur des espoirs.
Le Conseil Constitutionnel du Mali a, sans surprise, proclamé Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) comme le cinquième président de la République ; ses très bons scores, tant au premier qu’au second tour, n’ont pas permis aux autres candidats de contester les élections en faisant état de nombreux problèmes qui ont émaillé ce scrutin et qui ont empêché des dizaines de milliers de Maliens de voter. En effet IBK a recueilli 39,7% des voix au premier tour et, loin derrière, Soumaïla Cissé en a obtenu 19,7% ; quant au second tour, IBK l’a remporté haut la main avec plus de 77% de voix.
Ces résultats confirment la volonté des populations maliennes de balayer les caciques de l’ancien régime regroupés dans le Front pour la démocratie et la République (Fdr, anti-junte). En effet, le candidat de l’Adema, le plus important Parti du Mali qui soutenait l’ancien président Amadou Toumani Touré (ATT) et dont était issu le président intérimaire Dioncounda Traoré, a reçu un cinglant désaveu puisqu’il s’est retrouvé en troisième position avec seulement 9, 6% des voix, plongeant ainsi cette formation dans une profonde crise et ce d’autant plus que son candidat a appelé à voter IBK contre la décision de son parti qui appartient au Fdr comme Soumaïla Cissé.
Ce vote est en cohérence avec la popularité du coup d’état, conduit par le capitaine Sanogo, désormais général et qui n’est pas exempt de critiques, loin de là. Mais son mérite pour les Maliens fut de donner un grand coup de pied dans la fourmilière de l’establishment corrompu de Bamako. Un soutien populaire qui a été systématiquement occulté par les grands medias occidentaux pour justifier la nomination d’un proche d’ATT comme président intérimaire et ainsi étouffer les mobilisations populaires.
LES RAISONS DU SUCCES D’IBK
IBK est, avant tout, un vieux routier de la politique malienne puisqu’il fut ministre de Konaré en 1993. A cette occasion il n’avait pas hésité à réprimer dans le sang les grèves estudiantines. Dirigeant de l’Internationale socialiste, il a ses entrées à Paris et n’est pas du tout disposé à remettre en cause les relations néocoloniales qu’impose la France au Mali et s’est prononcé pour le maintien du dispositif Serval.
Deux raisons essentielles expliquent son succès. Il a pris soin d’apparaître comme l’opposant d’ ATT et n’a pas rallié le front anti putsch. Il est ressenti comme quelqu’un en dehors du clan des politiciens largement honnis. La deuxième raison, non des moindres, est sa réussite à bénéficier de l’appui des dignitaires musulmans au Mali qui ont un poids de plus en plus important dans la société malienne.
Tourner la page et regagner la dignité du Mali, en finir avec la corruption des élites, c’est la promesse d’IBK, mais compte tenu de son passé politique il est presque sûr que la déception sera à la hauteur des espoirs.
Le parti Sadi, qui représente la gauche radicale au Mali, avec le peu de moyen et la campagne de dénigrement dont il a été victime, a toutefois réussi à faire un score estimable proche de 3%. Dans ses fiefs, comme à Niono, Koutiala, Kolondieba, Kodie, il est même arrivé en tête. Il est probable que Sadi a fait les frais « du vote utile » pour IBK contre les principaux responsables de la crise malienne. Après consultation des dirigeants et militants, le parti Sadi a appelé à voter IBK comme un premier pas pour sortir le Mali de la crise.
UNE CRISE QUI DEMEURE
Dans la région de Kidal, au nord du Mali, les populations ont quasiment boycotté les élections, laissant apparaître une fracture qui reste importante. Les divisions entre les communautés sont tenaces, de violents affrontements ont lieu dans le désert entre communauté arabe et touarègue, autour de Tombouctou. Les accords de Ouagadougou avaient pour simple but de d’organiser la tenue d’élections sur l’ensemble du territoire et permettre à un gouvernement légitime d’entamer les discussions pour trouver une solution de sortie de crise.
La vaste région du nord du Mali est loin d’être sécurisée et beaucoup de djihadistes se sont réfugiés dans les villages disséminés et continuent à mener des opérations militaires.[1] L’autre élément, largement sous-estimé, est la crise sociale ; les prix des produits de première nécessité ont flambé obligeant les familles populaires à n’avoir plus qu’un repas par jour au lieu des trois traditionnels.
NOTES
[1] http://bit.ly/151spJG
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** Paul Martial est rédacteur d’Afrique en lutte (http://www.afriquesenlutte.org)
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