Médiateur du Groupe international de contact sur le Madagascar, Dr Simao déroule sa feuille de route. Et malgré les heurts et malheurs d’un processus autour duquel la classe politique malgache a du mal à s’accorder, il maintient le cap. Ce qui fait penser à A. Ndimby que «la communauté internationale est pressée de se débarrasser de la gestion de la crise de Madagascar, et se dit qu’une mauvaise feuille de route vaut mieux qu’une bonne guerre civile».
Le Dr. Simao est donc de retour, pour tenter encore une fois de faire avaler sa potion sous forme de Feuille de route (1). Et le devenu illustre et incontournable personnage voit grand : le document devrait être signé à Antananarivo en présence du président de l'Union africaine, du président de la SADC, du président de l'organe de la SADC et du président de la Commission de l'Union africaine, sans oublier une brochette de hauts responsables internationaux.
Finalement, Rajoelina aura peut-être son Sommet international, après avoir été privé de sommet de l’Union africaine en juin 2009 pour cause de coup d'Etat. Et il aura même l’autorisation de parler, et n’en sera donc pas empêché comme à New-York en septembre 2009. De quoi faire une belle photo pour montrer à ses enfants, et leur raconter que maintenant les Africains aussi l’appellent Monsieur le « Prrrrésident » Ce revirement à venir de la communauté internationale ne sera pas un scoop : votre serviteur l’avait annoncé dès le début de l’année (http://www.madagascar-tribune.com/2011-une-grande-annee-pour-le,15315.html), au vu de la perte progressive d’influence de l’opposition, comme des membres en mal de viagra.
Quatre personnes doivent commencer à faire fonctionner ce qui leur sert de neurones en vue de cette signature. Primo, la Ministre des affaires étrangères Yvette Sylla, sur les épaules de qui l’organisation de l’événement va reposer. Secundo, le ministre de la Communication Rolly Mercia, pour voir comment optimiser la propagande, et comment compter le nombre de vazaha présents. Tertio, le tailleur de l’ex-DJ, dont la créativité sans limite doit déjà cogiter pour savoir si pour cette grande occasion, il va déguiser son client en Radama, en Mickael Jackson, en maréchal des logis, ou bien en Momota. Et quarto, le photographe attitré du Grand Hâtif, doit déjà compter le nombre de murs à Iavoloha sur lesquels il n'y a pas encore de portait géant du chef d'Etat parvenu, afin de compenser. Cela m'étonne encore que 'jusqu'à présent Rajoelina n'ait pas pensé à mettre une bâche injetisée avec son portrait géant sur la colline d'Ampamarinana.
SAUVER CE QUI PEUT L’ETRE…
(…) Certes, la Feuille est encore loin d'être signée, car le consensus sur ce fameux amendement concernant Ravalomanana est encore dans le ventre du zébu, comme dirait un bon malgache intellectuellement colonisé. Mais je suis prêt à parier qu'à terme, on va se retrouver avec le schéma que j'avais prédit depuis des mois : consensus impossible entre les quatre mouvances et forcing du régime hâtif sur un accord à minima avec les groupuscules et les défroqués qui lui sont inféodés. A défaut de la qualité, on se contentera donc de la quantité. En d'autres termes, un rassemblement de copains et de coquins dans le style de l'Accord politique d'Ivato : inclusivité bancale, consensualité tordue. Et au final, une sortie de route façon Quasimodo. Reste à savoir avec quoi la communauté internationale va se cacher les yeux pour ne pas voir que cette feuille de route mal fichue ne peut que servir de bouillon de culture à une future crise.
Il est vrai toutefois qu’il n’y a plus beaucoup de choix. L’enlisement de la crise montre que Madagascar s’approche dangereusement du point de rupture. Au mois d’octobre 2009, j’avertissais sur le spectre du « failed state » qui guettait Madagascar. Et il y a trois semaines, Olivier de Schutter, Rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation, lançait lui aussi un avertissement à la communauté internationale sur l’impact des sanctions : « nous sommes en train de recruter Madagascar dans la liste des Etats fragiles ». Certes, M. de Schutter est venu à Madagascar à l’invitation des autorités de transition, et ses conclusions anti-sanctions arrangeaient bien ses hôtes. Toutefois, il serait stupide de nier la réalité des faits contenus dans son diagnostic, juste pour ce motif.
Regardons objectivement la situation : telles qu’elles étaient conçues et appliquées, les sanctions ont fait plus de mal à la population malgache qu’aux dirigeants hâtifs. On dira même que l’atmosphère de semi-autarcie dans lequel le pays vit depuis 2009 ont renforcé les dirigeants de transition, qui ont eu l’occasion de faire ce qui leur plaisait, sans que qui que ce soit ne puisse poser des questions sur la corruption, la bonne gouvernance ou les violations des règles démocratiques. Et Dieu sait qu'il y avait des sujets d'interrogation.
La communauté internationale se trouve donc à la croisée des chemins. Soit elle décide de continuer à mettre la pression pour aboutir à une hypothétique gestion consensuelle et inclusive de la Transition. Dans ce cas, le risque est que l’attente supplémentaire aggrave les dommages collatéraux, sans pour autant s’assurer d’un résultat positif : l’échec de Maputo, deux ans après leur signature, en est une illustration. Soit elle décide de faire contre mauvaise fortune bon cœur, et pour parler trivialement, faire avec ceux qu’il y a, et tant pis pour les autres. Dans ce cas, le risque est alors de bricoler une mauvaise sortie de crise, avec un fort potentiel de réplication plus tard. La tendance au sein de la communauté internationale va plutôt vers la seconde option : sauver ce qui peut l’être, pour éviter d’aller vers une situation vraiment ingérable. Et pour ce qui risque de se passer dans quelques mois ou années, on verra bien le moment venu. Ce ne sont pas les diplomates oisifs qui manquent pour s'enrôler comme médiateurs…
Bien sûr, au nom de la foi qui déplace les montagnes et de l’éthique démocratique, beaucoup vont s’offusquer en arguant que le seul sentiment qu’on devrait légitimement éprouver envers un pouvoir putschiste, c’est un mépris éternel. Cela n’est pas faux, à condition que l’opposition ait de quoi justifier son assise réelle et l’adhésion de la population à sa cause. Or, dans les deux cas, c’est niveau presque zéro. La communauté internationale est pressée de se débarrasser de la gestion de la crise de Madagascar, et se dit qu’une mauvaise feuille de route vaut mieux qu’une bonne guerre civile. Les Malgaches de Madagascar en ont marre, car finalement, que ce soit Rajoelina, Ratsiraka, Ravalomanana ou Toto le Django qui pose son fondement dans les fauteuils d’Ambohitsorohitra, ce qu’ils veulent surtout, c’est que leurs entreprises fonctionnent, que leurs enfants aillent à l’école, et que leurs salaires soient payés à la fin du mois.
Finalement, il n’y a plus que les Malgaches de la Diaspora qui continuent à animer la flamme de la résistance. Mais malheureusement pour eux et pour la Grande Île, un combat politique efficace doit se dérouler dans le pays concerné, et non sur Internet comme le télé-enseignement.
« Tsy hanaiky an’io feuille de route io mihintsy izahay » m’avait dit un ami basé aux États-Unis. Et quand je lui ai rétorqué « tsy hanaiky ary rangaha, dia hanao inona ? », il m’a répondu : « tsy manaiky fotsiny ka… ». Mais le roi des pitres fut celui qui me disait lors d’un chat sur facebook : « ce qu’il faut c’est des actes, pas des éditos. Il ne faut pas qu’on aie peur d’utiliser la violence contre les putschistes ». Avant que je ne découvre que ce théoricien de la révolution habitait à Toulouse, et avait donc le vaillant courage de celui qui est à 10.000 kms du théâtre des opérations.
EVITER UNE TRANSITION A LA MODE TITANIC
Tous les indicateurs montrent que le bateau hâtif prend eau de toute part, et la propagande lénifiante et même stalinisante d'autrefois commence à ne plus faire effet. Si la sortie de crise ne se dessine rapidement, la IVème République pourra être baptisée « le Titanic ». Après deux ans de blabla pour tenter de faire croire que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, et que la révolution orange avait le soutien de toute la population, le dernier Conseil des ministres reconnaît enfin l'existence de graves problèmes d'insécurité, de détérioration sociale et de baisse de la confiance de la population envers les autorités. Je suis mort de rire que les hâtifs reconnaissent enfin qu'ils ne sont pas à la hauteur, même si je présume que dans ce qui leur sert de cervelle, les vrais coupables du marasme actuel seront systématiquement du coté du voisin, et jamais chez eux.
L’ex-DJ, qui comprend donc vite, à condition qu’on lui explique longtemps, a donc fini par se rendre compte que faire un coup d’État pour voler le pouvoir à la tête d’un pays est une chose, mais le diriger avec efficacité en est une autre. Et ça ne s’apprend pas sur les dance-floors.
Le problème, c’est que si la transition sombre comme le Titanic, il n’y aura pas que les hâtifs et leurs griots dedans, mais également les autres mouvances, l'ensemble de la population et la communauté internationale. Je n’ai aucun scrupule à dire que si un partisan de la révolution orange a perdu son entreprise, son emploi, ou même plus, à cause de la crise, ce sera bien fait pour lui. Mais il ne faudrait pas que tout le monde subisse le même sort. C'est sans doute le genre d'arguments dans la tête de ceux qui vont s'intéresser à la feuille de route, même à reculons.
Andry Rajoelina a donc un grand intérêt à ce que la signature de la feuille de route se fasse vite. Cela ouvrira les vannes internationales, et lui permettra de marcher vers ses élections unilatérales, mais au moins sous le contrôle de la communauté internationale. Avant de crier à l’hallali, les trois mouvances et leurs griots se souviendront que les élections sous Ravalomanana ou sous Ratsiraka étaient loin d’être des modèles de vertu. On gardera également à l’esprit que le régime Rajoelina est incapable, par vocation et par essence, d’organiser des élections fiables, transparentes et aux résultats acceptables, si on le laisse tout seul organiser les scrutins avec son incompétence, son amateurisme et son absence de probité. Le référendum de novembre 2010 en est la démonstration. Comme l’avait dit avec pertinence Sahondra Rabenarivo lors de l’émission « invité du zoma » sur TV Plus, les élections organisées sans balises par le régime de transition, c’est comme un examen dans lequel l’élève qui le passe rédige le sujet et procède aux corrections. Sans oublier, pour reprendre les mœurs des groupes qui profitent de l’ambiance sans contrôle de ce régime, que les parents de l’élève sont aussi les fournisseurs des fournitures nécessaires à l’examen.
Pendant ce temps, d’autres « stratèges » ne restent pas inactifs. Comme à chaque fois qu’une tentative sérieuse de sortie de crise pointe à l’horizon, ne voilà-t-il pas qu'un nouveau pseudo-complot est révélé. Cette fois encore, on se demande avec curiosité qui va être désigné coupable à la vitesse de la lumière par les super-enquêteurs de la Haute autorité du tondro-molotra, et emprisonnés par ses super-juges. Après les pseudo-bombes artisanales, les pseudos-attentats contre Rajoelina et les pseudos-sabotages d’avion, il faudrait quand même que les cervelles d’écrevisses derrière ce genre de cirque trouvent autre chose pour continuer à nous intéresser. Et en attendant, on s'étonne que les super-enquêteurs et super-juges soient incapables de mettre fin au banditisme, d'arrêter le pédophile dénoncé par nos confrères de la Gazette, de trouver les gros bonnets du trafic du bois de rose, ou de mettre le hõla aux attaques de convois sur les routes nationales. Il est vrai qu'en voyant les chefs ventripotents de notre gendarmerie, on peut comprendre qu'il soit plus facile d'arrêter des journalistes et des opposants, que de courir après les vrais malfrats.
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NOTES
(1) Il faudrait quand même qu'un jour on se pose la vraie question du revirement du Dr Simao, qui a concocté derrière le dos de tout le monde au premier trimestre 2011 une feuille de route qui faisait la part belle au régime de transition, prenant ainsi le contrepied de la position que la SADC tenait auparavant. Comme dans les mariages, on devrait lui demander s'il a proposé cette feuille de route (ou de doute, ou de déroute) de sa propre volonté, et s'il n'y a pas été contraint ou forcé.
* Ndimby A. est éditorialiste sur le blog http://fijery.wordpress.com
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