Dans la crise politique que connaît Madagascar, une nouvelle donne est de plus en plus évoquée : la «majorité silencieuse». Il s’agit de cette réalité invisible qui ne défile pas dans les rues, qui ne se reconnaîtrait pas dans les extrêmes qui s’affrontent et qui n’aspireraient qu’à une chose : la paix. Une forme de résistance morale dont on dit qu’elle pèse d’un poids certain, mais dont Ndimby s’interroge sur l’envergure politique.
Question à mille francs : dans la situation actuelle à Madagascar, que veut cette fameuse majorité silencieuse ? Difficile à dire, en l'absence de sondage fiable et en présence de tous ces bonimenteurs de place publique qui affirment parler en son nom. Mais gageons qu’elle souhaite la fin de la crise.
Qu’elle s’étonne de ce énième bricolage hâtif à travers ce nouveau gouvernement, non reconnu par l’opposition et snobé par la communauté internationale, et qui ne changera donc pas grand-chose à la situation. Qu’elle se pose des questions sur cette histoire de la mutinerie du FIGN, qui a eu relativement et heureusement peu de dégâts humains et matériels par rapport aux moyens engagés, mais qui donne une occasion en or à la Haute autorité de transition (HAT) de justifier la poursuite de son unilatéralisme aussi inefficace qu’inconscient. Qu’elle se désespère de payer les pots cassés d’une crise née de la volonté de quelques-uns d’arriver au pouvoir, ou de s’y accrocher, et dans les deux cas à n’importe quel prix. Et qu’elle s’interroge sur les déclarations tonitruantes de certain responsable qui affirme que désormais, la répression contre les opposants se fera sans « états d’âme » par la HAT : or pour avoir des états d’âme, il faut commencer par en avoir une. Ce qui reste à démontrer.
Peut-être même la majorité silencieuse s’amuse-t-elle, tout comme votre serviteur, d’une coïncidence troublante. Le point commun entre la Côte d’Ivoire, la République démocratique du Congo, Madagascar et la Thaïlande, pays traversant (ou ayant traversé) une crise politique majeure et violente est la presence, au moment des faits (ou dans le cas de Madagascar, peu avant les faits) du même ambassadeur de France : Gildas le Lidec. Mais bien sur, honni soit qui mal y pense. Je n’insinue rien, mais je me gausse de cette facétie récurrente de l’Histoire. Le CV de ce diplomate commence à ressembler à une succession de tâches… rouges. Et je me dis que finalement le renvoi, par Marc Ravalomanana, pour cause de suspicion de mauvais œil, n’était sans doute pas si saugrenu.
Comment quantifier la majorité silencieuse (et invisible) ?
S’il est certain qu’avoir raison n'est pas une question de décibels, notre Citoyenne malgache nationale nous rappelle ceci à travers cette maxime placé sur son blog : « Un homme ne se mêlant pas de politique mérite de passer, non pour un citoyen paisible, mais pour un citoyen inutile » (Thucydide). Cette phrase interpelle sur les fondements de cette fameuse majorité silencieuse dont chaque camp se dispute la propriété. Combien de fois n'a-t-on vu ou entendu, depuis un an, des commentaires sur les manifestations du 13 mai, du Magros (et même récemment à Fort-Duchesne), affirmant que « pour une personne présente à une manifestation, il y en aurait beaucoup d'autres qui sont absentes, mais qui partagent les idées du combat qui y est mené ». Cela est certainement vrai, mais comment alors évaluer de manière fiable la quantité invisible à partir de celle visible ? De plus, comme nous sommes dans un seul et unique pays, comment pourrait-il y avoir deux majorités différentes : celle revendiquée par les légalistes, et celle par les putschistes ?
Rappelons ces calculs relativement rationnels, même sans la prétention d'être d'une précision absolue, et qui démontraient qu’une Avenue de l’Indépendance remplie à ras bord ne pouvait scientifiquement dépasser le maximum de 150 000 individus : « 150.000 personnes, cela représente 2% des électeurs malgaches et 10% des électeurs de la région Analamanga. Ou encore 0,8% de la population malgache totale qui est de 19 millions de personnes ». Mais cette foule a été prétendue comme étant « le peuple malgache ». Puis, une fois le coup d'Etat réussi, ce qui devint alors l'opposition se regroupa au Magros (Ankorondrano, puis Behoririka), avec une assistance qui devint de plus en plus clairsemée, mais là encore, qui fut présentée comme « le peuple malgache ».
Dans les deux cas, la différence numérique entre ce que l'on voit dans une manifestation et la population totale ou électorale est plus que flagrante. Cet écart représente ainsi la majorité invisible, donc considérée silencieuse. Absente par lâcheté, manque d'intérêt, manque de temps, éloignement géographique ou contraintes diverses. Mais absente. Et les quelques dizaines de milliers de citadins présents ont l'arrogance de penser qu'ils forment un échantillon représentatif des Malgaches, dont d'ailleurs 70% vivent en milieu rural.
En fait, la seule façon de quantifier de manière acceptable l'envergure d'un courant politique a un seul nom : les élections. Même si souvent les conditions d'organisation sont discutables et imparfaites à Madagascar, au moins elles forment qualitativement et quantitativement une base moins discutable que le rassemblement grégaire d'une foule. Ainsi, en dehors d'une élection, toute affirmation de la majorité de sa tendance au sein de l'opinion publique est une escroquerie intellectuelle, nourrie d'un nombrilisme prétentieux basé sur des évaluations pifométriques souvent biaisées.
Le phénomène de la cloche de verre
Pour en revenir à la majorité silencieuse à Madagascar, force est de se demander si cette majorité est vraiment silencieuse, ou si tout simplement elle est non écoutée dès que son opinion n'arrange pas le tyran ou le révolutionnaire du moment. Car ce ne sont pas les opinions, souvent censées, qui manquent : déclarations de la société civile par voie de presse, articles, blogs, contributions de citoyens dans les journaux, posts sur les forums, micro-trottoir sur les télés ou les radios etc. Je suis par exemple convaincu que si Marc Ravalomanana avait eu la sagesse d'écouter le SEFAFI depuis 2002, il ne serait pas sans domicile fixe actuellement. Et si Andry Rajoelina lisait avec attention les journalistes qui le critiquent au lieu de ceux qui l’encensent, il ne serait pas aujourd'hui en si piteuse posture.
Mais le problème est que ces opinions exprimées isolément ne représentent pas une masse critique à prendre en compte. Ainsi, 10.000 personnes regroupées ont plus d'impact qu’un million de personnes chacune dans leur coin. Question de visibilité, de décibels, mais aussi de la dynamique de groupe. Prises isolément et dans un contexte serein, les individus qui se sont rués à l'assaut du Palais d'Ambohitsorohitra, le 7 février 2009, auraient-ils pris la même decision ?
Comme l'a très justement fait remarquer le forumiste Rabila, il est regrettable qu'il n'y ait pas à Madagascar d'institut fiable de sondage qui puisse produire, suivant les règles de l'art, une photographie à un instant donné de l'opinion d’un échantillon scientifiquement constitué de Malgaches. Car sans cela, en dehors des élections, ce sera toujours celui qui aura la plus grande gueule, le portefeuille le mieux garni ainsi que les gros bras (en treillis ou non) les plus motives, qui monopolisera la parole.
Jetons en outre un coup d'œil sur la composition d'origine de la Haute autorité de transition (HAT) de mars 2009. En dehors de Andry Rajoelina qui avait été élu maire de la capitale de façon indiscutable et face au candidat d'Etat, qui peut dire quelle est l'envergure populaire et électorale d'un Daniel Ramaromisa, d’un Harinaivo Rasamoelina, d’un Désiré Ramakavelo ou d’un Alain Ramaroson ? Tous ces chefs de groupuscules s'agitent et fanfaronnent dans les hautes sphères de l'Etat, mais sans aucune légitimité populaire. Et même Monja Roindefo qui, lors des dernières présidentielles, avait obtenu 21 voix dans tout Madagascar, était à sa nomination, le 7 février 2009, loin d'être un ténor de la vie politique sur le plan statistique.
Andry Rajoelina a donc le tort d'écouter et de se faire entourer de personnalités sans base populaire prouvée, à l'exception sans doute de Roland Ratsiraka et Jean Lahiniriko. Mais la plupart des autres qui entourent le président de la HAT ne peut en aucun se prétendre comme porte-parole de la majorité silencieuse, ou même de ses composantes significatives. Par conséquent, nous avons eu un coup d'Etat mené par quelques dizaines de milliers de personnes sur une place publique, qui a installé au pouvoir des personnes dont la plupart n'ont aucune assise populaire. Comment alors s'étonner du pourrissement actuel de la situation, et de la fracture grandissante entre le pouvoir hâtif et le peuple malgache, alors que le premier prétend répondre aux aspirations du second ?
En attendant, ce qui a causé la chute de Philibert Tsiranana en 1972, de Didier Ratsiraka en 1991 et 2001/2002, ainsi que de Marc Ravalomanana en 2009 va se répéter inexorablement : à force de n'écouter que les quelques voix qui lui disent des choses plaisantes à entendre, le locataire actuel d'Ambohitsorohitra se coupe de plus en plus de la réalité, et se place sous une cloche de verre aseptisée dans laquelle tout le monde il est beau, tout le monde il est content. Cette cloche de verre est bâtie sur mesure par le premier cercle de courtisans, qui veulent garder un contrôle exclusif sur l'apprenti de service. Jusqu'au jour où la réalité lui rappellera que la majorité silencieuse n'est pas forcément inexistante.
* Ndimby A. tient un bhttp://fijery.wordpress.com
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