Il y a longtemps que le Prix Nobel de la paix est dénoncé comme un instrument de manipulation et de subordination. Une prime à la fidélité pour ceux qui s’attachent aux «valeurs» de la «Communauté internationale» et contribuent à construire un ordre de domination, d’asservissement et d’exploitation des peuples. Pour Jean-Paul Pougala, attribuer ainsi le Nobel de la paix à Mme Ellen Johnson Sirleaf, à quatre jours de la présidentielle libérienne, relève d’une opération préméditée, à des fins évidentes.
C'était connu que les Occidentaux, (récemment re-baptisés en "Communauté Internationale") aiment installer au pouvoir en Afrique les hommes et femmes des plus médiocres. Mais qu'ils soient prêts à tout faire pour les maintenir au pouvoir jusqu'à leur octroyer un Prix Nobel, relève d'une originalité des plus macabres que mêmes le cerveau tordu des plus cyniques ne pouvait imaginer comme simple hypothèse. C'est pourtant arrivé. C'est ce que la soit disant "communauté Internationale" va inventer pour améliorer les performances de leur candidate dans les élections présidentielles au Libéria, lui offrant un Prix Nobel de la Paix à 4 jours seulement du scrutin. En Occident, le ridicule ne tue plus.
L'histoire commence en juin 2009, lorsque la Commission Vérité et Réconciliation (TRC) publie son rapport dans lequel elle met en cause la présidente libérienne Ellen Johnson-Sirleaf pour crime de guerre et crime contre l'humanité pour son financement destiné aux multiples massacres de la guerre civile qui ont fait 250.000 morts entre 1998 et 2003 et intime son "éloignement de toute responsabilité officielle pendant 30 ans". En théorie, à la fin de son mandat, pour réconcilier les Libériens entre eux, elle aurait dû prendre sa retraite et se retirer de la politique. Donc, elle n'aurait donc pas dû être candidate au élections présidentielles du 11 Octobre 2011. Mais c'était oublier que lorsqu'on a servi certains intérêts situés en Occident, il y a le retour de l'ascenseur au moment des difficultés.
Mme Ellen Johnson Sirleaf est la chouchou de Washington et de tout l'Occident. Le long marathon médiatique de propagande pour réhabiliter son image, qui s'est terminée avec le prix Nobel de la Paix, va démarrer avec un déjeuner de travail qu’Obama improvise à New York en septembre 2009 avec quelques chef d'Etat de l'Afrique Subsaharienne. En réalité, c'est une occasion pour que Mme Johnson se présente en experte aux autres chef d'Etat présents puisque c'est elle qui mène la discussion sur la création d’emplois. Après cette rencontre, Obama lui envoie un courrier le 28 octobre 2009, rendu public sur le site de la Maison blanche, dans lequel il affirme : "J’apprécie l’attention que vous avez accordé à l’éducation et la formation basée sur les compétences, en particulier dans les situations post-conflit ». Quel génie ! On a envie de se demander pourquoi n'a-t-elle pas appliqué ces recettes à son propre pays le Libéria ? Qu'importe. Elle sera de nouveau reçue par Obama le 27 mai 2010, cette fois-ci à la Maison blanche où elle est présentée comme l'exemple pour tous les présidents africains avec une décoration dont les Libériens ont du mal à comprendre encore aujourd'hui ce qu’elle récompensait.
Jusqu'au Prix Nobel de la paix du vendredi le 7 octobre 2011, à quatre jours seulement des élections, alors qu'elle accuse dans les sondages un retard de 10 à 20 points de ses principaux adversaires, à cause de sa gestion calamiteuse du pays qui a permis, en 6 ans, à l'ancienne étudiante de la prestigieuse université américaine de Harvard, fonctionnaire de la Banque mondiale et de Citygroup de battre un record mondial du plus important nombre de chômeurs durant un mandat présidentiel : 80% de la population active. Même le Zimbabwe de Mugabe, sous embargo de l'UE, n'a pas atteint les performances de Mme Johnson, qui ajoute à son piteux palmarès le taux de violence sexuelle sur les femmes le plus élevé d'Afrique, dépassant de loin la République Démocratique du Congo qui est pourtant la seule qui intéresse la secrétaire d'Etat Américain Hillary Clinton lorsqu'elle dénonce les viols en Afrique. `
C'est pour la battre qu'a été formé le ticket entre Tubman (fils de l'ex-président Tubman), arrivé 4ème en 2005, et l'ancien footballeur Georges Weah, arrivé second lors élections de 2005 et très populaire chez les jeunes plus touchés par le chômage à 94%. Mme Ellen Johnson Sirleaf n'avait donc aucune chance de l'emporter. Qu'importe, l'Occident adore les dirigeants africains lorsqu'ils sont serviles. Et c'est pour lui donner ce coup de main inespéré qu'on va lui décerner un Prix Nobel des plus contestables quatre jours seulement avant l’élection.
Le Libéria est la preuve même de l'échec de la politique américaine en Afrique. Si les USA pouvaient aider un pays africain à se développer, ce pays serait le Libéria, car c'est leur création (en 1816 pour accueillir les anciens esclaves libérés), c'est leur seule colonie en Afrique. C'est leur seul bébé, leur seul bijou sur le continent africain. C'est la vitrine même des USA en Afrique. Le Libéria, où les descendants d'anciens esclaves revenus des Etats-Unis d'Amérique ne représentent que 5% de la population, sont les seuls, depuis l'indépendance du pays en 1847, à détenir le pouvoir politique. C'est une sorte d'apartheid entre Noirs (divisés entre Américains et Africains), une division bien entretenue par Washington qui a toujours fait et défait tous les gouvernements de cette minorité américaine dans un pays en Afrique.
Comme tous les présidents qui l'ont précédée, Ellen Johnson Sirleaf provient de la minorité dite des "civilisés", parce qu'originaire des USA. Elle a étudié aux USA, elle y a travaillé. Aujourd'hui, la présidente du Libéria tant adulée est celle-là même qui reconnait avoir financé et porté au pouvoir en 1997 Charles Taylor dont elle a été la collaboratrice intime. A Oslo étaient-ils au courant de ce rapport ? Ou bien, comme en Côte d'Ivoire, les décisions des instances mises sur pied pour gouverner et gérer les conflits ne comptent-elles pas ? N'empêche, la mère patrie américaine a su lui redonner sa sainteté et, alors que Taylor, qui doit répondre de onze chefs d'inculpation de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité et est aujourd'hui sous les verrous à La Haye, aux Pays-Bas, Mme Johnson, bien soutenue par Washington, peut tranquillement concourir pour un deuxième mandat à la présidence de la République, et même devenir un prix Nobel de la Paix, démontrant par là l'exemple emblématique de la contradiction et de l'incohérence de la politique occidentale en Afrique.
Ceci me fait dire qu'en Afrique il n'existe pas de dictateur. Il y a d’un côté les saints, parce qu'amis de l'Occident ; peu importe leur bilan, peu importe leur popularité, peu importe leur rejet par la population. De l’autre, il y a les mauvais qui tentent de ne pas se mettre au pas ; ceux-là sont priés de jouer le jeu de la démocratie en cédant leur place.
Ce n'est pas la première fois qu'un Prix Nobel est purement et simplement utilisé comme instrument de politique étrangère de l'Occident. Prenons l'exemples du dernier avant celui examiné plus haut, le Prix Nobel 2010, le Chinois Liu Xiaobo.
EN CHINE, UN PRIX NOBEL POUR TENTER DE DESTABILISER LE PAYS
Pourquoi le dissident Chinois Liu XiaoBo a-t-il gagné le prix Nobel de la Paix 2010 ? En quoi s'est-il particulièrement distingué des autres nombreux dissidents chinois ? Pour sa fâcheuse tendance à insulter son pays et célébrer l'asservissement de la Chine à l'Occident. Voici ce qu'il déclare dans une interview en 1988, alors qu'il travaille comme critique littéraire à la Columbia University à New York: «S'il a fallu 100 ans de colonisation à Hong Kong pour être ce qu'elle est, alors il faut 300 ans de colonisation à la Chine pour devenir comme Hong Kong mais je ne suis pas sûr que 300 ans suffiraient » pour développer le pays. Comme si cela ne suffisait pas, il ajoute : «La modernisation est synonyme d'occidentalisation totale ». Et encore, notre cher génie de conclure : «Choisir de vivre signifie choisir le mode de vie occidental. La différence entre le mode de gouvernement occidental et le mode de gouvernement chinois, c'est la même que celle entre l'humain et le non humain, il n'y a pas de compromis. L'occidentalisation est le choix non pas de la nation mais de la race humaine ».
En d'autre termes, selon Liu, les pays qui ne choisissent pas le mode de gouvernement occidental sont des races animales. Ce que Liu ignore alors, c'est qu'il n'existe pas de mode de gouvernement occidental, chaque pays ayant un système différent de son voisin. Pire, personne n'avait jamais expliqué à Liu les contre-performances des Chicago Boys au Chili, dans les années 1970. Encore moins les guerres civiles répétitives que ce modèle avait instauré en normalité au Libéria depuis sa création en 1847, à cause d'un pouvoir entre les mains de 20.000 Noirs Américains avec des noms britanniques, face à la population locale avec des noms africains.
En 2004, Liu apporte son soutien à l'agression américaine contre l'Irak avec ces mots : « La guerre contre Saddam Hussein est juste, la décision du président Bush est la bonne (...) un Iraq libre, démocratique et paisible va naître ». En mars 2008, il soutient la position du Dalai-Lama sur le Tibet. A savoir que la Chine devrait faire ce que lui demande l'Occident : se désengager du Tibet. Parce que pour Liu, le monde devrait être sous la conduite des Etats-Unis d'Amérique et la Chine son élève. Il trouve pour cela justifiable toutes les guerres que les Américains peuvent déclencher sur la planète, même contre la Chine, pour asseoir sa domination. Il affirme : " Toutes les guerres importantes menées par le gouvernement américain sont défendables sur le plan éthique »
Voilà en clair pourquoi cet illustre Chinois a été sélectionné parmi ses 1,3 milliards de ses concitoyens comme le tout premier prix Nobel de la Paix de l'Empire du Milieu.
La malchance c'est que le pays qui distribue ces bons et mauvais points a aussi besoin de la Chine pour vivre. Quelque part, à Oslo, ils ont dû imaginer, en attribuant ce prix à Liu, qu'ils avaient à faire à un pays africain où les dirigeants finissent toujours par se mettre à genou devant l'Occident et leur donner raison parce qu'ils sont des pays autoproclamés riches, autoproclamés développés, autoproclamés démocratiques et autoproclamés généreux. Erreur ! Ils avaient à faire à la Chine qui a tout simplement coupé toute relation au haut niveau. Le jour de la remise de ce prix en décembre 2010, par exemple, la Chine importait 1.000 tonnes par mois de saumon norvégien. Deux mois plus tard, en février 2011, on est passé à 75 tonnes. Comme par hasard, les contrôles vétérinaires de la douane chinoise à l'entrée du poisson norvégien en Chine ont subitement découvert que ce poisson n'était pas adapté à la consommation des Chinois. Et depuis un an, la Norvège s'est retrouvée toute seule à gérer son conflit avec le colosse chinois.
La solidarité de toute l'Occident, qui avait suivi la proclamation du Prix Nobel, s'est faite plus discrète, personne ne voulant risquer de voir retomber sur lui la foudre chinoise. Pire, des pays comme le Royaume Uni ont plutôt cherché à tirer profit du faux-pas norvégien pour exporter vers la Chine plus de saumon écossais. La même Norvège, pour contrer l'offensive britannique, a tenté de faire transiter son poisson vers d'autres pays, sans succès. Lorsque ce pays scandinave, abandonné à son triste sort par toute l'Europe, a écourté sa participation aux bombardements de l'Otan contre la Libye, elle a clairement expliqué qu'elle était à court d'argent du fait des manques à gagner de ses échanges avec la Chine qui, paradoxalement, a vu ses exportations vers la Norvège augmenter de 43% pendant la même période. Les petits Norvégiens ne voulaient pas renoncer au dernier smartphone ou à la dernière tablette, bien évidemment made-in-China.
QUELLES LECONS POUR L'AFRIQUE ?
La démocratie est un leurre que certains pays utilisent pour s'octroyer un instrument de pouvoir sur les autres, mettant ainsi le costume de donneurs de leçons. Mais dans les faits, aucun pays n'est démocratique. Rousseau disait : "les Anglais croient qu'ils sont libres parce qu'ils élisent des représentants tous les cinq ans, mais ils ne sont libres qu'un jour tous les cinq ans : le jour de l'élection". La vérité c'est que le résultat qui sort des urnes est d'abord fonction du système électoral adopté par le petit groupe des politiciens aux affaires du moment, système méticuleusement élaboré avec le seul objectif non pas de faire parler le peuple, mais de se pérenniser au pouvoir. En voici quelques exemples :
- Aux USA, le parti Républicain créée le 28 février 1854 a gagné les premières élections de 1856. Avec un système électoral qui lui est favorable, il a remporté 23 des 39 élections présidentielles aux Etats-Unis d'Amérique, dont 7 sur 11 durant les derniers 40 ans. Or, sur le papier, les Démocrates sont plus nombreux que les Républicains. Selon le recensement de 2004, 72 millions d'Américains se sont enregistrés comme Démocrates et 55 millions comme Républicains et 42 millions comme ni à droite ni à gauche, appelés "Indépendants". Voilà la preuve même qu'un système électoral peut donner des résultats différents de la volonté populaire. Cherchez l'erreur. Il reste que dans le système électoral les politiciens peuvent tripoter pour faire dire au peuple ce qu'ils veulent. Pour l'élection présidentielle de 2000, par exemple, le candidat démocrate Al Gore avait en effet obtenu 550 000 voix de plus que son adversaire républicain George Bush, mais l'histoire retiendra que c'est ce dernier qui a été choisi par le peuple américain.
- En France, sous la 5ème République, depuis la prise du pouvoir par le Général De Gaulle, le 8 janvier 1959, comme président de la République, à nos jours, hormis la parenthèse de François Mitterrand, tous les cinq présidents français ont été de droite. Idem pour le Sénat qui est de droite depuis sa création en 1958. En septembre 2011, pour la première fois de son histoire, il y a une majorité de gauche. Le plus grave ici est que 53% de ses membres proviennent des communes de moins de 1.500 habitants qui ne sont que 33% de la population française. Encore une fois, la loi électorale en vigueur fait que seulement 33% s'approprie la décision de choix du peuple français.
- En Italie, le système électoral proportionnel à un tour, élaboré à la sortie de la deuxième guerre mondiale, privera de pouvoir, pendant 46 ans, les résistants contre le fascisme qu’est le Parti communiste, parce que pendant la guerre froide, pour Washington, le plus puissant Parti communiste de l'Occident, avec 40% de l'électorat, ne devait pas accéder au pouvoir. Encore une fois, le peuple n'a jamais eu son mot à dire. Même lorsqu'il a voté en masse, son vote a été orienté vers le résultat déjà voulu.
En conclusion, si la "communauté Internationale" croyait dans la démocratie qu'elle professe et cherche à exporter, elle serait la première à l'appliquer à la majorité de la population autochtone dite africaine du Libéria. Mais c'est juste une manœuvre de diversion, une propagande pour asseoir la domination économique sur les autres peuples du monde. Il s'agit de mettre les administrations publiques de la planète au service d'une poignée de multinationales très actives à financer les élections américaines et se garantir la mise au pas de toute l'administration américaine, pour assurer le profit de leurs entreprises sur la planète entière. Dans tout cela, nulle part le peuple n'a son mot à dire.
C'est raté, parce que la Chine qui avance en sachant que les règles de ce jeu sont truquées d'avance, a décidé d'inventer son propre jeu, sa propre danse que l'Occident a un mal fou à suivre. Il serait temps qu'il change vite de logiciel pour l'adapter au nouveau monde avec les nouvelles règles de jeu dictées par la Chine. Le plus difficile à admettre pour Washington dans la question libérienne c'est que le seul élément positif des 6 ans de Mme Johnson à la tête du Libéria est d'avoir réussi l'exploit d'un afflux de capitaux étrangers. Malheureusement ces investissements, évalués à environ 20 milliards de dollars, sont pour 75% chinois et pour 25% partagés entre l'Inde et le Brésil. Peut-on prétendre commander l'Afrique et le monde sans en avoir les moyens ?
* Jean-Paul Pougala est un écrivain d’origine camerounaise, directeur de l’Institut d’Etudes Géostratégiques et professeur de sociologie à l’Université de la Diplomatie de Genève en Suisse.
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