Devant la crise économique et sociale, ainsi que les impasses politiques dans lesquelles s’enfonce le Bénin, la société civile de ce pays prend date. Au sortir de la quatrième édition des journées qu’elle a organisé, sur la crise économique et les enjeux de mise en œuvre de l’Accord de Cotonou, elle a diffusé un mémorandum qui se présente comme un fort plaidoyer en faveur de la bonne gouvernance et le développement de ce pays. Entre recommandations et exigences, dans une dimension locale et régionale, elle dessine un espace démocratique apaisé dans lequel son engagement citoyen pourrait se faire pleinement aux côtés des pouvoirs publics.
I - Introduction
Dans le cadre de la quatrième édition des journées de la société civile au Bénin, tenue du 19 au 21 octobre 2009, la Plate-forme des acteurs de la société civile (PASCiB) appuyée par la Friedrich Ebert Stiftung (FES), a organisé à Cotonou une série d'activités sur les enjeux actuels de la mise en œuvre de l'Accord de Cotonou que sont notamment :
- les négociations commerciales en cours entre l’Afrique de l’ouest et l’Union européenne ;
- la revue à mi parcours de coopération financière et du programme indicatif national (PIN) dans cadre du 10ème FED
- la gouvernance économique nationale et l’utilisation efficace des ressources publiques
Globalement, il ressort des travaux que les organisations de la société civile du Bénin refusent d'être de simples enjoliveurs de prise de décision et dénoncent le recul du dialogue entre les acteurs dans le cadre de la revue à mi-parcours du 10ème FED qui vient de s’achever. Pour mieux faire connaître et partager cette position, qui marque une rupture totale par rapport au passé, les organisations de la société civile du Bénin réunies au sein de la PASCIB rendent publique la présente déclaration dénommée “Mémorandum sur la crise économique et les enjeux de mise en oeuvre de l'Accord de Cotonou“.
Constats et observations
Le contexte international est marqué par une crise financière et économique sans précédent, avec des répercussions certaines sur l'aide publique au développement et son efficacité, notamment dans les pays africains. Le Bénin n'est pas exempté des répercussions de cette crise à dimension multiple. Il s'agit d'une crise marquée par un déséquilibre profond et continu entre l'offre et la demande sur la plupart des marchés, notamment financiers.
Les pouvoirs publics sont intervenus à divers degrés dans la régulation économique pour la recapitalisation, la relance ou la reprise en main voire la nationalisation des entreprises privées en faillite. C'est le cas des Etats-Unis avec des injections de 816 milliards de dollars, du Royaume Uni avec 20 milliards de livres, de l’Allemagne avec 30 milliards d’euros et de la France avec 26 milliards d’euros pour l'année 2009.
Le Bénin affiche une faible capacité endogène à faire face à la crise. Au regard des tendances lourdes et incertitudes découlant de la crise économique et financière, on se demande de plus en plus quelle est l'urgence de la revue à mi-parcours si ce n'est pas pour apporter une réponse aux implications de la crise sur l'enveloppe financière accordée au Bénin à travers le programme indicatif national. De même, quelle est aujourd’hui l'urgence de la signature d'un accord de libre échange fondé sur l'ouverture des marchés dans un contexte de crise et d'incertitude où la régulation économique par la main invisible a montré ses limites ?
Dans le contexte actuel de crise financière, d'incertitude économique et de menaces diverses sur la paix et la démocratie, plusieurs enjeux de gouvernance et de développement du Bénin interpellent donc la société civile.
Accord de Cotonou et revue à mi-parcours du 10ème FED
Dans le cadre de la coopération avec l'Union européenne, le Bénin a mené un exercice opaque et peu participatif de revue de la programmation qui a conduit à l’abandon ou au déclassement de certaines priorités jugées essentielles par les acteurs non étatiques, notamment le financement de la route Akassato – Bohicon, initialement prévu au Programme indicatif national du 10ème FED. Cette revue à mi-parcours est purement politique en ce sens que le 10ème FED a démarré en 2008 et plusieurs projets n’ont même pas encore été lancés. Comment peut-on faire la revue d’un document dont la mise en œuvre a à peine démarré ?
Il y a une absence totale d’information sur les modifications intervenues dans les priorités contenues dans le FED. L'une des illustrations est l'abandon du financement de la route Akassato – Bohicon comme priorité dans le cadre du 10ème FED au profit de l'axe Parakou - Béroubouey sous prétexte que les études détaillées de Akassato-Bohicon ne seraient pas disponibles. Pourtant la dégradation de cette route ne date pas d'hier.
Or la promesse électorale de construction d'une autoroute reliant Cotonou à Bohicon, a été déclinée en priorité de gouvernement et reprise comme infrastructure prioritaire à financer dans le cadre du 10ème FED. S'il est vrai que la route Parakou-Béroubouey est également un axe prioritaire, au regard des critères retenus lors de l'exercice de programmation du 10ème FED, force est de constater que de l'avis de tous les transporteurs ayant pris part à l'exercice de programmation du 10ème FED, la construction de route Akassato-Bohicon est d'un intérêt majeur pour l'ensemble des populations.
L’autre raison avancée par les acteurs étatiques serait le renchérissement des coûts de réalisation des infrastructures routières du fait de la crise économique et financière internationale. Les deux infrastructures étant initialement retenues la crise aurait fait que l’enveloppe ne suffit plus pour la réalisation des deux.
En dépit de répercussions négatives de la crise économique et financière, et du changement climatique sur les petites économies, comme celle du Bénin, l'exercice de revue à mi-parcours a royalement ignoré la prise en compte des implications dans le cadre de la coopération entre le Bénin et la Communauté européenne.
Alors que des documents de position des organisations de la société civile, notamment le mémorandum de Lomé sur la crise et l'efficacité de l'aide, ont largement anticipé cette revue à mi-parcours. Rien n’a été fondamentalement fait pour permettre à la PASCiB, mise en place pour le suivi de l'Accord de Cotonou, de partager ses réflexions avec les autres acteurs pour une prise en compte effective efficiente des incidences de la crise sur les investissements au profit des populations.
Ces éléments démontrent une violation des principes de l’Accord de Cotonou et portent une entorse au dialogue entre les acteurs prôné par cet accord
Les négociations commerciales et l'intégration régionale
Depuis 2002, les régions d'Afrique Caraïbes et Pacifique (ACP), dont l'Afrique de l'Ouest, sont engagés dans un processus de négociation commerciale avec la Communauté européenne. La région Afrique de l’Ouest a des propositions de négociation, notamment en ce qui concerne l'offre d'accès au marché, pour lesquelles l’Union Européenne n’est pas prête pour un consensus.
La gouvernance et politique de développement aux niveaux national et local
En dépit de la décentralisation, la gouvernance locale affiche toujours les caractéristiques d'une faible participation des citoyens à la prise de décision. A tous les niveaux de gouvernance et d'utilisation des ressources, on note des signaux évidents de mauvaise gestion et de non respect du contribuable béninois. La lutte contre la corruption n'a été qu'un message d'accession au pouvoir sans suite réelle. Il y aujourd'hui plus que jamais la nécessité de rendre opérationnel l'engagement citoyen de proximité.
En matière de gouvernance, plusieurs constats se dégagent :
- Alors que la crise économique sévit et que les populations en supportent les conséquences, le train de vie de l'Etat pèse lourd sur le budget national. Le nombre de ministres au sein du gouvernement est trop élevé par rapport aux capacités financières du pays et aux besoins réels de gouvernance, l'Assemblée Nationale augmente son budget, des structures de dépenses supplémentaires sont créées tous les jours sans aucune justification.
- Les élus ne maîtrisent pas les textes sur la décentralisation et les collectivités locales affichent les mêmes caractéristiques de gouvernance et de gestion que les sous préfectures et circonscriptions urbaine d'hier.
- Il y a une multiplicité de taxes dans les communes avec des taux très élevés, surtout sur le foncier. Ceci donne l’impression que les autorités locales veulent de force mobiliser des ressources sans rendre compte de la gestion.
- Dans plusieurs communes, les leaders des cadres de concertation de la société civile ne sont pas politiquement indépendants et n’ont pas un réel engagement citoyen.
La paix et la consolidation de la démocratie
La paix et la démocratie sont de plus en plus menacé par l'intolérance, l'exclusion, et le mépris des institutions. La paix est en recul et la démocratie mise en mal. On assiste à un recul de la liberté d’expression, la caporalisation des médias du secteur public.
On assiste impuissant à la politisation à outrance de l’administration publique. Deux ans après les élections locales, la gestion du contentieux électoral continue. Aujourd'hui, les citoyens ont de plus en plus l'impression qu'il faut être d'une certaine religion, d'une certaine ethnie ou d'une certaine région pour bénéficier des avantages du pouvoir. On a de plus en plus l'impression que les institutions de contre-pouvoir sont confinées dans un rôle d'accompagnement sans aucune possibilité d'apporter des limites à la dérive potentielle du pouvoir central.
Les institutions de contre-pouvoir ne sont pas respectées. Certaines institutions donnent l’impression d’être à la solde du gouvernement qui n’applique même pas les décisions de la Cour constitutionnelle lorsque celles-ci ne l’arrangent pas.
Le refus d'être un enjoliveur de prise de décision et les exigences majeures de la société civile
Face à tous ces constats et observations, les organisations de la société civile ont formulé plusieurs exigences et recommandations.
Sur l’Accord de Cotonou et la revue à mi-parcours
En ce qui concerne la revue à mi-parcours, les OSC du Bénin dénoncent le changement de priorité intervenu au niveau des infrastructures dans le cadre du 10ème FED sans la participation des acteurs non étatiques. Elles refusent d'être des enjoliveurs dans les prises de décisions et exigent:
- que la délégation de la Commission Européenne et l’Ordonnateur National donnent des explications au peuple sur les raisons de ce changement de priorité. (remplacement de la route Akassato-Bohicon par celle de Parakou-Béroubouey);
- que la construction du tronçon Akassato-Bohicon initialement programmée pour être financée par le 10ème FED soit maintenue comme priorité et que le gouvernement mobilise les ressources pour sa réalisation avant fin 2010;
La mobilisation de ressources au profit des actions prioritaires de construction des infrastructures de base et de lutte contre la pauvreté pourrait être facilitée par la diminution du train de vie de l'Etat à travers les ajustements suivants :
- la réduction à la baisse du nombre de ministères (20 au plus) ;
- la réduction de la taille et du budget de fonctionnement des cabinets du Président de la république, des ministres du gouvernement, des présidents des institutions de la république ;
- la réduction des primes et indemnités accordées aux autorités politiques et membres des institutions de la république ;
- la revue à la baisse du budget de l'Assemblée Nationale;
- la revue à la baisse du budget de toutes les institutions de la République afin que des efforts remarquables d'économies budgétaires soient faits au profit de la réalisation des infrastructures d'intérêts majeurs pour les populations.
Sur les négociations commerciales et l’intégration régionale
En ce qui concerne les négociations commerciales et l'intégration régionale, les organisations de la société civile exigent que :
- les deux commissions (CEDEAO et UEMOA) mettent à profit le temps de la non signature de l’APE pour achever les travaux de préparation de la région en ce qui concerne notamment le TEC au sein de la CEDEAO ;
- les responsables des organismes régionaux ne fixent plus d’échéance sur la signature de l’accord ;
- des marges de manœuvre et d'importants mécanismes de flexibilité soient introduits dans les accords commerciaux régionaux Nord-Sud afin de permettre aux Etats africains d'être en mesure à tout moment d'apporter des réponses souveraines endogènes aux crises inéluctables au fonctionnement actuel de l'économie mondiale;
- les Etats africains mettent en place et renforcent la régulation économique au niveau régional avant de passer à la libéralisation des échanges avec d'autres régions partenaires telle que l'UE.
Sur la gouvernance et les politiques de développement
A propos des enjeux de gouvernance et de politique de développement, les participants aux Journées de la société civile exigent que :
- les autorités locales associent les populations à l’élaboration des politiques locales de développement et rendent compte, informent les citoyens de la gestion des affaires de la commune ;
- le choix des priorités de développement se fasse dans la transparence et la participation des citoyens à tous les niveaux ;
- les gouvernements des pays africains tirent leçons des réponses interventionnistes apportées par les grandes puissances à la crise économique et financière actuelle pour s'affranchir des diktats de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international ;
- les économistes africains travaillent à la remise en cause totale des paradigmes et postulats de l'économie libérale pour faire asseoir le développement du continent sur des bases endogènes débarrassées de tout diktat extérieur ;
- des cadres formels de collaboration et de dialogue soient mis en place entre la société civile, l’Etat et les autres acteurs
- des lignes budgétaires soient votées par les Parlements pour systématiser la participation de la société civile à la conception, la mise en œuvre et le suivi-évaluation des politiques.
Sur la paix et la consolidation de la démocratie.
En ce qui concerne la paix et la démocratie, les organisations de la société civile exigent que :
- les hommes politiques toutes tendances confondues bannissent de leur comportement l'intolérance, l'exclusion, et le mépris des institutions;
- le gouvernement et la Haute Autorité de l'Audiovisuel et de la Communication travaillent à consolider la liberté d’expression et l'accès équitable de tous les citoyens (toutes tendances politiques confondues) aux médias du secteur public;
- l'administration publique soit dépolitisée et que la promotion des cadres soit déconnectée de toute référence à la religion, à la localité d'appartenance, et l'engagement politique;
- la Cour suprême épuise enfin les contentieux liées aux élections communales et locales 2008;
- les parlementaires (tous bords confondus) mettent en oeuvre leur rôle de contrôle de l'action gouvernementale pour faire en sorte que les citoyens n'aient plus l'impression qu'il faut être d'une certaine religion, d'une certaine ethnie ou d'une certaine région pour bénéficier des avantages du pouvoir;
- les autres institutions de la République (en dehors du gouvernement et du parlement) jouent effectivement leur rôle de contre-pouvoir rassurer les citoyens sur leur capacité à apporter des limites à la dérive potentielle du pouvoir central;
- le chef de l'Etat veille à l'application effective des décisions des institutions de contre pouvoir pour restaurer le respect dont elles bénéficient jadis.
Par la même occasion, les organisations de la société civile du Bénin déplorent les reculs observés au niveau de la démocratie, notamment dans les pays comme le Niger, la Guinée et la Gambie. Elles soutiennent leurs homologues de ces pays et félicitent la CEDEAO pour les sanctions infligées au Niger pour amener les autorités à remettre sur les rails la démocratie et le respect des droits de l'homme.
Les implications de l'engagement citoyen des OSC
Si ces exigences sont respectées, les organisations de la société civile, par le présent mémorandum, s'engagent à :
- améliorer la qualité du dialogue entre l'Etat et les autres acteurs sur les enjeux actuels de développement du Bénin;
- œuvrer aux côtés de l'Etat à l'atteinte des objectifs du millénaire pour le développement et au suivi de la mise en œuvre de la Stratégie de croissance et de réduction de la pauvreté;
- mettre en place à tous les niveaux des mécanismes de vigie citoyenne pour le respect du contribuable béninois et l'utilisation efficace des ressources publiques;
- jouer un rôle majeur de catalyseur dans la consolidation de l'intégration régionale et les négociations commerciales dans la région Afrique de l'Ouest; et
- assurer une veille active autour des enjeux de consolidation de la paix et de la démocratie;
- se mettre en capacité de proposer des alternatives crédibles aux décideurs à tous les niveaux;
- faire attendre la voix des minorités et des marginalisés;
- crier haut et fort pour dénoncer tout ce qui se passe et constitue une menace à la paix et la démocratie;
- mener le plaidoyer pour la prise en compte des paramètres de la crise économique et financière et des inquiétudes des populations dans l'élaboration et la mise en œuvre des politiques de développement à tous les niveaux (local, national, régional et international)
- mettre en place, à tous les niveaux, des mécanismes citoyens d'analyse de la gouvernance économique et des politiques publiques afin de veiller à l'efficacité de l'utilisation des ressources publiques, et systématiser le contrôle citoyen de l'action publique ;
- contribuer à remettre la régulation économique aux mains de l'Etat sans tomber dans les travers des années 1960 ;
- renforcer nos capacités d'analyse, d'action et de dialogue sur les enjeux de politique économique ;
- mettre en place des mécanismes de concertation et des alliances stratégiques avec les autres acteurs, notamment les cadres des ministères sectoriels, les parlementaires et les membres du Conseil économique pour contribuer au respect du contribuable béninois;
- asseoir des mécanismes démocratiques de structuration (cadres concertations crédibles et consensuels), sans répliquer l'Etat, pour être en capacité d'apporter des réflexions citoyennes légitimes et utiles aux processus de prises de décision ;
- travailler à la vulgarisation de la Charte des organisations de la société civile et au respect d'un minimum de règles ou de code éthiques qui valorisent et responsabilisent mieux les OSC en tant qu'acteurs à part entière du processus de développement ;
- contribuer par nos réflexions, nos actions et nos prises de position, à mieux éclairer les prises de décisions concernant toutes les questions de développement notamment le choix des priorités d'action publique ;
- servir de catalyseur et de médium pour le dialogue entre les acteurs politiques sur les enjeux de gouvernance et de politique de développement.
Aujourd'hui le Bénin se trouve au coeur de plusieurs enjeux de gouvernance qui exigent des organisations de la société civile une veille citoyenne accrue et permanente.
Fait à Cotonou, le mardi 17 novembre 2009
* La Plate-forme des acteurs de la société civile au Bénin
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