La présence des dirigeants des Brics était perceptible à Durban où ils étaient rassemblés afin de planifier les investissements futurs. Mais elle l’est aussi sur le continent où les activités extractives minières causent des dommages extrêmes, à travers des stratégies et des politiques iniques.
Un des thèmes a été la République Centrafricaine (Rca), où samedi (Ndlr : les 23 et 24 mars) 13 membres des troupes de la SA National Defense Force (Sandf) ont été tués, pendant que 27 autres étaient blessés dans un combat impliquant 200 Sud Africains, contre les troupes de la RCA, qu’ils étaient entrain de former, selon les syndicats de l’armée, suivi d’une confrontation avec les rebelles de Seleka qui ont par la suite présenté des excuses pour avoir tué des Sud Africains.
Ces morts tragiques étaient vaines : elles ne soutenaient pas la démocratie, François Bozizé étant un tyran si embarrassant que même la France n’a fait aucune tentative pour le soutenir. Au cours des dix dernières semaines, les troupes sud africaines ont défendu un régime contreproductif, des investissements militaires répressifs et des accords miniers potentiels, comme l’a laissé entendre le ministre des Affaires étrangères Ebrahim Ebrahim, dans un entretien récent, lors duquel il expliquait leur envoi. Comme l’a affirmé un correspondant de Reuters, "c’est particulièrement embarrassant pour l’Afrique du Sud qui s’efforce cette semaine de se présenter comme une puissance régionale influente sur le contient, alors qu’elle reçoit un sommet des pays émergents des Brics et accueille le président chinois Xi Jinping pour sa première visite sur le continent comme chef d’Etat"
Cet embarras ne concerne pas seulement l’incompétence militaire souvent commentée. Le rappel de la malédiction des ressources est aussi sévère quand il provient du chaos socioéconomique et écologique de Marikana et de ses mines de platine, ou des mines de diamants de Marange au Zimbabwe.
Les terribles nouvelles de Bangui auraient dû sonner le réveil des chefs d’Etat des Brics, leur clarifier les idées et les amener à considérer les crises de l’industrie extractive qu’ils amplifient, main dans la main avec les multinationales occidentales, ensemble avec les 15 dirigeants africains qui se sont réunis juste après la conclusion de la conférence des Brics dans l’enclave la plus opulente de Durban, Zimbali.
Coïncidence, à Zimbali, le président du Zimbabwe, Robert Mugabe, met la dernière touche à un glorieux manoir. Peut-être pour sa retraite volontaire prochaine. Ceci expliquerait le détour par l’extrême nord de la ville, suivi, le soir, par un retour au International Convention Centre, pour revenir à Zimbali, avant de se rendre à l’aéroport dans un zigzag irrationnel et maniaque à travers Durban aux heures de pointe
Certains, comme le tyran ougandais Yoweri Museveni, le doyen des délégations africaines au Brics Africa Dialogue, a au moins eu une occasion d’évaluer le marché immobilier local pour le cas où un futur scénario cauchemardesque se réaliserait avec l’aboutissement du "Printemps arabe" et de ses révoltes démocratiques.
A la fin 2011, des Ougandais, inspirés par les Egyptiens de la Place Tahrir, ont instauré les fameuses protestations "walk to work" (aller au travail à pied), la tactique préférée des habitants de Kampala qui simplement faisaient des marches. Museweni les a interdites. La militarisation des territoires où a lieu l’exploration pétrolière, par Museveni, est un signe avant-coureur de la malédiction des ressources en Ouganda.
A Marange, à l’est du Zimbabwe, des membres de la faction la plus proche de Mugabe - y compris le ministre de la Défense Emmerson Mnangagwa, le commandant de l’armée Constantine Chiwenga et d’autres chefs de la junte connue sous le nom de Joint Operations Command, se sont alliés à une compagnie de Shanghai au travers d’une société du nom de Anjin, qui permet aux Chinois de gérer d’une main de fer les travailleurs (les travailleurs non qualifiés sont payés juste 180 dollars par mois), pendant que les militaires sont en charge de toute la sécurité.
Des diamants ont déjà été extraits des mines de pour des milliards de dollars, mais seules des miettes sont parvenues jusqu’au trésor à Harare. Les nombreux voyages de Chiwenga en Chine ont permis de conclure des accords militaires, dont une école militaire pour 100 millions de dollars ainsi que l’achat d’armes dont tout le monde espère qu’elles ne serviront pas au cours de ces prochaines semaines, à l’approche des élections.
Pendant ce temps, Johannesburg s’apprête à accueillir le mois prochain, le 10ème anniversaire du Processus de Kimberley pour la responsabilité sociale des multinationales dans le domaine du commerce des diamants. Nous ne pouvons pas ne pas mentionner le responsable politique sud africain, Abbey Chikane, qui a collaboré à une arrestation (et torture) pendant cinq semaines de Farai Maguwu qui surveillait le commerce des diamants et à qui a été attribué le prix de Human Rights Watch pour son courage.
Comme le remarquait Ian Smillie, un des architectes du Processus de Kimberley : "Nous ne savons pas où sont passés tous les diamants (de Marange) approuvés par Chikane. Chikane était une erreur à plusieurs niveaux. C’était un allié proche du gouvernement d’Afrique du Sud qui a démontré son incapacité pathologique à être critique à l’égard des effroyables violations des droits humains par le Zimbabwe, à Marange. Il a aussi des intérêts considérables dans l’industrie du diamant en Afrique du Sud, ce qui auraient dû le disqualifier d’emblée".
La même malédiction des ressources est en cours pour le platine. Ces derniers jours, la Commission Farlam, enquêtant sur le massacre de Marikana, a montré qu’il y avait d’innombrables connexions entre Lonmin et les meurtres de la police sud africaine. Celles-ci ont été révélées par des emails du vice-président de l’Anc, Cyril Ramaphosa, qui possédait 9% de Lonmin au moment des faits. Les emails incriminants ont été envoyés à ses alliés à la tête de la police et de l’industrie minière le jours précédant le meurtre de 34 mineurs en août dernier.
Tout ceci empeste le capitalisme népotique qui a caractérisé la réunion des fonctionnaires des Etats des Brics et les intérêts des multinationales, qui ont envahi le même centre de conférence de Durban. Le ministère des Affaires étrangères de Pretoria a explicitement interdit l’accès au centre aux membres de la société civile, et l’écologiste le plus accompli d’Afrique du Sud, Bobby Peek, n’a pas même pu entrer pour participer à un débat à la radio nationale
Quelques heures plus tard, sur les mêmes ondes radio, l’ambassadeur des Brics, Anil Sukla, a confirmé le refus de Pretoria d’envoyer des représentants des" Brics d’en bas" à la conférence de la société civile qui se déroulait dans une église, à quelques minutes de la réunion des Brics. Les demandes de participations dans les délibérations des Brics, au cours des semaines qui ont précédé, faites par des mouvements sociaux, des Ong et des syndicats majeurs ont été balayées par les collègues de Sukla, pendant qu’on déroulait le tapis rouge pour le gros business.
Ceci a permis aux dirigeants des Brics et à leurs multinationales de planifier tranquillement la continuation du pillage de l’Afrique, rejoint par les invités accommodants conduits par Museweni. Toutefois, des financements étatiques sont requis pour faciliter les accords parce que les banques commerciales savent qu’il y a là des risques. Comme ceux que viennent de subir les troupes du Sandf.
A des fins de facilitations, la Development Bank of Southern Africa (Dbsa) se présente pour jouer un rôle crucial et Suklal a fait du lobbying pour que l’Afrique du Sud accueille les 50 milliards de dollars de la Brics Bank Le fait que l’inauguration ait été remise à plus tard, après plus amples discussions, lorsque les Russes recevront le G20, semble refléter un manque de confiance des Brics à l’égard de Pretoria.
Une stratégie véritablement défiante à l’endroit de l’hégémonie financière, aurait été que les Brics soutiennent la Banque du Sud de feu Hugo Chavez. L’idée a été rejetée parce que l’élite des Brics veut apparemment une institution sans les idéaux d’un développement progressif.
L’équipe du Dbsa est conduite par l’ancien espion en chef sud africain, Mo Shaik, au travers de la filiale Development Bank International. Shaik est célèbre pour ses manigances politiques qui remontent à l’époque des fameuses ventes d’armes du gouvernement à la fin des années 90’. Plus de 700 millions de dollars ont été alloués pour la recapitalisation de la Dbsa le mois dernier, dans le budget du ministre des Finances sud africain, Pravin Gordhan, suite à la perte de 40 millions de dollars de la Dbsa, due en partie aux spéculations dans une entreprise minière comme celle de Ramaphosa l’an dernier.
Révélateur des nouvelles orientations de la Dbsa en faveur de la privatisation, on a vu celle-ci, au cours de ces dernières semaines, licencier la majeure partie de son personnel pour les affaires sociales et écologiques et a fermé son journal, ainsi que sa bibliothèque du développement. Son bilan en matière d’investissement dans les infrastructures - y compris la commercialisation de l’eau et les routes à péage - n’augure de rien de bon pour la population et la planète. Attendez-vous à ce que la Banque des Brics subventionne le rail, les routes et les ports afin de permettre une plus grande extraction minière par les multinationales.
Le principal bénéfice pour les intérêts des industries d’extraction en Afrique du Sud provenant des Brics est le prêt pour le chemin de fer qui doit faciliter l’acheminement des minerais de fer, du charbon jusqu’au port profond de Richard’s Bay. La contribution au changement climatique sera superlative et la malédiction des ressources associée à la pollution du charbon et à la corruption politique ne peut que s’aggraver.
Le plus grand générateur fonctionnant au charbon du monde est au cœur de la connexion énergie/chemin de fer, à Medupi, dans la province du Limpopo. Le projet a déjà un retard de deux ans en raison d’agitations et de chaos en cours chez les fournisseurs, malgré l’allocation du prêt le plus important que la Banque Mondiale a jamais consenti (3,75 milliards de dollars en 2010), pour un projet vivement contesté. Pour le financer, le prix de l’électricité des pauvres s’envole, pour conséquences logiques, plus d’émeutes pour l’électricité et autres services municipaux.
Il y a un autre foyer de contestations intenses au Mozambique, autour d’une mine de charbon récemment découverte dans la province de Tete, la plus importante du monde à ce jour, exploitée par la compagnie Vale basée à Rio (la deuxième la plus importante au monde). Vale a été désignée comme la pire multinationale par Public Eye People’s Awards en 2012 et la résistance populaire aux déplacements massifs de la population de Tete est déjà en passe de devenir féroce.
Comme le démontre les engagements de Pretoria, non seulement à Medupi , mais aussi à Bangui, lorsque ces élites se mettent à découper l’Afrique, les réactions peuvent être brutales. Un nouvelle voix est requise : plus de respect pour les sociétés et la nature que pour les profits des multinationales des Brics. Il y a d’innombrables formes de résistance partagées par les militants des Brics d’en bas dans chacun de ces pays et de leur arrière-pays et les réseaux en augmentation, les critiques et les campagnes coordonnées montrent une prochaine étape logique dans une internationalisation depuis la base.
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** Patrick Bond et Khadija Sharife sont basés au Centre for Civil Society à l’université de KwaZuluNatal – Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger
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