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BRICS

A l’instar du découpage de l’Afrique à Berlin, qui a instauré de nouvelles frontières profitant principalement aux entreprises d’extraction de minerais et des plantations, ainsi qu’à des compagnies de constructions associées à l’accumulation du capital, les Brics semblent suivre le chemin colonial et néocolonial.

L’émergence du bloc constitué du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud (Brics) représente potentiellement une importante force géopolitique et économique qui, au début de 2014, se trouve affligé d’une schizophrénie qui va s’aggravant en terme de position dans l’économie politique globale. Les partisans les plus radicaux argumentent qu’il a un potentiel "anti-impérialiste". Mais le danger est bien plus grand que les Brics jouent un rôle "sub-impérialiste" en contribuant au maintien du régime néolibéral (particulièrement en Afrique), ou même un rôle inter impérialiste comme la Russie semble tentée de le faire dans le théâtre de l’Ukraine/Crimée. Mais il y a aussi du potentiel pour que les forces populaires s’unissent dans un rôle plus proche de la solidarité transfrontalière anti-impérialiste compte tenu des extrêmes contradictions et l’intensité de l’agitation sociale sur chaque site.

L’étiquette "sub-impérialiste", qui accompagne et étend l’impérialisme, a été élaborée par Ruy Mauro Marini (1965) pour décrire le rôle de la dictature brésilienne dans l’hémisphère occidental et a, par la suite, été appliquée de façon répétée au cours des années 1970 lorsque la doctrine Nixon a permis à Washington de délocaliser les responsabilités de police au niveau géopolitique et d’accumuler des opportunités pour des alliés régionaux favoris, principalement des régimes autoritaires favorables aux grandes compagnies.

Bien que certains pensent que les Brics ont suffisamment d’autonomie pour devenir activement anti-impérialistes au niveau de la gouvernance globale (Desai 2013, Escobar 2013, Keet 2013, Martin 2013, Shubin 2013, Third World Network 2013), ce bloc a tendance à renforcer et non à défier les relations de pouvoir hormis dans des situations exceptionnelles comme en 2013, lorsque Washington menaçait de bombarder la Syrie et en 2014 lorsque la Russie a envahi la Crimée après avoir perdu son influence cruciale en Ukraine.

A l’instar d’autres pays isolés, à d’autres époques de service à l’impérialisme, la trajectoire accumulative des Brics, la stratégie globale économique et environnementale, l’hégémonie sur l’hinterland et les dynamiques internes de formation de classes sociales, réunis, suggèrent un modèle qui mérite la qualification de sub-impérialiste. (Bond et Garcia 2014)

IMPERIALISME, CRISE DU CAPITALISME, SUREXPLOITATION ET HEGEMONIE REGIONALE

Il y a au moins quatre relations essentielles au sub-capitalisme, à l’impérialisme, aux tendances à la crise capitaliste sur processus de surexploitation et à l’hégémonie régionale.

Premièrement, pour définir proprement le sub-impérialisme, il est nécessaire de procéder à une définition cohérente des processus systémiques de l’impérialisme au sein duquel il opère. Il y a différentes façons de comprendre l’impérialisme, mais la plus durable- particulièrement en Afrique- semble être le concept de Rosa Luxemburg (1968) tel que développé dans « Accumulation du capital », en 1913, qui met l’accent sur la coercition extra économique associée à l’exploitation entre les sphères capitaliste et non capitaliste dans des conditions de crise capitaliste (en contraste avec le compte-rendu d’autres époques qui repose davantage sur l’exportation du capital, les relations coloniales formelles et les rivalités entre impérialistes).

Deuxièmement, comme conséquence, les conditions de la crise capitaliste deviennent évidentes au sein des économies sub-impériales même lorsque l’accumulation semble progresser à un rythme apparemment rapide. La suraccumulation est partout un problème constant qui souvent surgit au stade de la crise. Il s’en suit que dans plusieurs pays sub-impérialistes il y a de puissantes impulsions pour le capital local d’externaliser et de financiariser.

Selon les critères de David Harvey,(2003) selon lesquels les sub-impérialistes recherchent des "des solutions spatio-temporelles" à ces problèmes, les Brics offrent quelques-uns des sites les plus extrêmes du monde d’aujourd’hui. Ces conditions de crise sont particulièrement importantes parce qu’à notre époque elles ont déplacé ce qui, auparavant, était des relations de pouvoir nationalistes (ou même du capitalisme d’Etat) imposées par des Etats orientés vers le clientélisme, vers des politiques publiques néolibérales. Ils impliquent aussi l’exacerbation de l’inégalité du développement, combinée à des systèmes d’accumulation surexploitant (et souvent coercitifs en dehors de l’économie), ainsi que des symptômes économiques de désespoir, en particulier la financiarisation.

Troisièmement, les régimes sub-impériaux développent les mêmes pratiques néolibérales au sein de leur sphère d’influence régionale, légitimant ainsi le Consensus de Washington en matière d’idéologie et en termes concrets, particulièrement en favorisant le commerce multilatéral, les investissements et les arrangements financiers. En effet, les puissances sub-impériales font souvent la promotion d’institutions néolibérales tout en se plaignant- parfois amèrement- de leur indifférence à l’égard des pays pauvres et parfois ils en établissent d’identiques qui on une fonction similaire en terme régionaux.

Il s’en suit que ceci permet souvent aux puissances sub-impériales de servir de plateforme régionale d’accumulation, tirant les ressources de l’hinterland et procédant à des exportations commerciales qui typiquement détruisent la capacité productive et la souveraineté de l’hinterland. Habituellement les bénéfices sont nombreux, y compris les excédents commerciaux avec l’hinterland (qui souvent fournit les cruciales matières premières à des conditions avantageuses), les opportunités de profit qui peuvent être accumulés au sein des centres financiers des puissances sub-impériales et l’extension de l’influence au travers d’économie renforcée en particulier le commerce qui a lieu dans la monnaie de la puissance sub-impériale.

En toute bonne logique ceci implique le rôle de gendarme régional, une division de la police du travail qui permet au système capitaliste mondial de poursuivre son extension de contrats, son application et le maintien du flux adéquat de matériels (ainsi que de travailleurs) en provenance de régions lointaines qui reste un élément essentiel pour le fonctionnement harmonieux de la division mondiale du travail.

Quatrièmement, comme l’ont formulé Sam Moyo et Paris Yeros (2011, pp19) la relation impérialiste avec les alliés sub-impérialistes impliquent toujours "la surexploitation des travailleurs locaux. Il est par conséquent naturel qu’en raison de sa croissance, ils requièrent des marchés extérieurs pour la résolution de la crise de réalisation de profit". Concrètement, pour prendre l’exemple des Brics, des relations de surexploitation sont décrites en Chine sur la façon dont les familles chinoises sont arrachées à leurs terres rurales au cours du processus d’urbanisation en cours et le contexte plus large qui voit les populations rurales dans l’obligation d’obtenir des permis spéciaux pour vivre en ville où on leur paie des salaires inférieurs.

Ces relations de surexploitation sont ensuite transférées à l’échelle internationale où le rôle de la Chine a été même plus prédateur que les multinationales occidentales, aidée par son soutien à des dictateurs locaux. Par exemple, le cas du Zimbabwe où les militaires chinois et les généraux du Zimbabwe ont cofondé l’Anjin Corporation dans les plus grandes mines de diamants du monde avec pour conséquence la malédiction des ressources aussi extrême que n’importe quelle autre en Afrique. (Maguwu 2013)

De même, le mode de surexploitation de l’Afrique du Sud de la période de l’Apartheid - décrite comme " articulations de modes de production" par Harold Wolpe (1980) - reste l’exemple le plus extrême de la dimension interne de l’accumulation sub-impériale. Des travailleurs migrants provenant des Bantoustans ruraux, ainsi que de l’hinterland, jusqu’au nord du Malawi, ont longtemps fourni la main d’oeuvre bon marché, grâce aux femmes rurales noires qui prenaient soin gratuitement des enfants, des malades et des vieillards, généralement sans soutien de l’Etat.

Ceci n’était pas seulement une question de pouvoir racial. L’extension du modèle migratoire sud africain, plus important en Afrique australe dans le sillage de l’Apartheid jusqu’à sa disparition, a eu lieu malgré les réactions xénophobes tragiques de la classe ouvrière locale. Le massacre de Marikana en août 2012 des travailleurs migrants en grève à la mine de platine de Lonmin est un autre exemple de jusqu’où les fonctions policières des régimes sont prêtes à aller au niveau interne afin de défendre le profit des multinationales de l’extraction. (Saul et Bond 2014) Mais c’est l’expansion inexorable de l’hinterland régional qui contraint les Etats sub-impérialistes à suivre la logique de l’impérialisme.

Ceci est reconnu par des géopoliticiens professionnels du capital, comme la firme Stratfor du Texas (2009), dans un mémorandum interne révélé par WikiLeaks : "L’histoire de l’Afrique du Sud est portée par une interaction faite de compétition et de cohabitation entre des intérêts nationaux et étrangers qui exploitent les ressources minérales du pays. Malgré un régime démocratiquement élu, l’impératif central de l’Afrique du Sud reste le maintien d’un régime libéral qui permet le libre flux de la main d’œuvre et du capital, vers et de l’Afrique australe ainsi que le maintien d’un système de sécurité supérieur capable d’intervenir en Afrique centrale".

La capacité à remonter dans le continent a été remise en question en mars 2013 dans la capitale centrafricaine de Bangui, après que le dirigeant autoritaire François Bozize a été destitué par la guérilla. Plus d’une douzaine de soldats sud africains ont été tués selon une interview des survivants publiée dans un grand journal du dimanche de Johannesburg : "Protégeant la propriété de… les business de Jo’burg… on nous a clairement menti… On nous a dit que nous étions là pour servir et protéger, pour garantir la paix." (Hosken et Mahlangu 2013) Les capitalistes protégés par Johannesburg incluaient des firmes liés au parti au pouvoir (Amabhungane 2013)

DYNAMIQUES DE L’IMPERIALISME ET DU SUB-IMPERIALISME

Les relations dans lesquelles le capitalisme exploite et corrode à la fois les relations non capitalistes, par des techniques extra économiques coercitives, ont originellement été théorisées par Rosa Luxemburg et ont été revitalisées comme un système explicatif par Harvey, sous le terme d’"accumulation par dépossession". En d’autre terme, il y a théoriquement des processus dérivés qui expliquent la logique de l’impérialisme et du sub-impérialisme ensemble, même si les circonstances peuvent changer l’emplacement géographique, la forme et la dimension de l’évolution de ce processus.

Luxemburg, dans son « Accumulation du Capital » (1968,396), se focalise sur la façon dont les capacités extra économiques coercitives du capitalisme pille les systèmes d’aide et les facilités communes, les familles (en particulier le rôle des femmes dans la reproduction sociale), la terre, tout ce qui renvoie à nature : "La relation entre le capitalisme et les modes non capitalistes de production commence à faire son apparition sur la scène internationale. Les méthodes préférées sont la politique coloniale, un système international de prêts - une politique de sphère d’intérêts - et la guerre. La force, la fraude, l’oppression, le pillage sont ouvertement affichés sans aucune tentative de dissimulation et un effort est requis pour discerner dans ce fouillis de violence politique et de contestation du pouvoir, les lois austères du processus économique."

Grâce à un examen soigneux des conditions d’extractions coloniales de l’Afrique du Sud d’alors, de la Namibie et de la Rdc (Bond, Chitonge et Hopfmann, 2007), son regard pénétrant (1968, 397), distinct de ceux de Lénine, Bukharin, Hilfterding, Hobson et d’autres de cette époque, montrait que "le capitalisme ne peut accumuler sans l’aide de relations non capitalistes. Seule la progression continue et progressive des organisation non capitalistes rend l’accumulation du capital possible."

Ce processus, argumente Luxemburg, " se nourrit des ruines des relations non capitalistes qui les engloutit. Du point de vue historique, l’accumulation du capital est une sorte de métabolisme entre les économies capitalistes et les méthodes pré-capitalistes de production sans lesquelles il ne peut pas survivre et qui, dans cette optique, corrode et assimile".

Ce processus est amplifié au cours des périodes de désespoir intrinsèque du capitalisme, remarquait Luxemburg, (1968, 76) se référant à la théorie classique de Marx concernant "la surproduction perpétuelle" caractérisée par "le flux incessant de capitaux d’une branche de production vers une autre pour aboutir dans le mouvement de balancier périodique et cyclique entre surproduction et crise".

A ce stade, Luxemburg insiste (1968, 327) sur le fait "l’antagonisme profond et fondamental entre la capacité de consommer et la capacité de produire dans une société capitaliste, conflit qui résulte de l’accumulation du capital qui périodiquement éclate en une crise et aiguillonne le capital dans une expansion constante du marché". L’actuel renouveau de ce processus – crises/extension du marché et relations capitaliste/non capitaliste super exploitantes amplifiées- sert de base à un capitalisme renouvelé.

Mais Harvey (2003) ajoute une couche à cet argument : "L’ouverture des marchés globaux des matières premières et des capitaux a créé une ouverture pour d’autres Etats, leur permettant de s’insérer dans l’économie globale. D’abord comme réceptacle puis comme producteur de surplus de capital. Ils sont alors devenus des compétiteurs sur la scène mondiale. Ce que l’on pourrait nommer "sub-impérialisme" est advenu… Chaque centre d’accumulation de capital en développement cherche systématiquement des arrangements spatio-temporels pour ses propres surplus de capital, en définissant les sphères d’influence territoriales".

Harvey (1992) identifie "une cascade d’arrangements spatio-temporel qui prolifèrent" à une crise économique persistante, qui sont invoquées afin de s’étendre sur le plan géographique et dans le temps, généralement facilitées par une expansion financière spectaculaire. Le rôle des banques dans les pays du cœur de l’impérialisme ainsi que dans les pays sub-impérialistes vise à endetter les pays plus pauvres afin de pouvoir forcer la porte pour le bénéfice du commerce libéralisé et les investissements ou la simple extraction de ressources. L’expansion du système de crédit est aussi une façon traditionnelle d’aborder la surproduction de biens compte tenu du fait que la dette permet l’absorption de ceux-ci au présent avec la promesse d’extraire d’autres surplus pour en payer le prix à l’avenir.

Selon Harvey (2003, pp134), ces arrangements ne conduisent pas à une résolution de la crise mais plutôt à de nouvelles contradictions associées au développement inégal, à "une compétition internationale de plus en plus féroce pendant que de nombreux centres dynamiques d’accumulation du capital sont en compétions sur la scène mondiale face à un fort courrant de suraccumulation. Puisqu’ils ne peuvent pas tous réussir sur le long terme, soit les plus faibles succombent et tombent dans de sérieuses crises de dévaluation, soit des confrontations géopolitiques font irruption sous forme de guerres commerciales, de guerre des monnaies ou même de confrontations militaires".

Les blocs de pouvoir territorialement enracinés par des alliances internes (et des conflits) à l’intérieur de frontières nationales, ou occasionnellement en dehors de frontières pour prendre une dimension régionale, sont les unités cruciales d’analyse dès lors qu’il s’agit de se défendre de la dévalorisation du capital accumulé à l’excès. En découvrant ces unités, il est possible d’élaborer une théorie géopolitique durable appropriée pour comprendre l’impérialisme contemporain. Les Brics illustrent cette nouvelle relation. Comme l’a annoncé le président Lula en 2010, "une nouvelle géographie économique est née". Toutefois, se reposer sur des financiers comme l’exécutif de Goldman Sachs, Jim O’Neill (celui-là même qui est à l’origine du terme "Brics") pour codifier le pouvoir économique, est risqué.

Ce qui était apparu comme le puissant bloc des Brics lors d’un sommet en mars 2013 est devenu, en l’espace de quatre mois, les "cinq fragiles ", permettant à O’Neill de remarquer que seule la Chine mérite la qualification de "bloc de construction" (Magalhaes, 2013). L’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud ont perdu d’énormes valeurs monétaires et de flux de financement lorsque le capital financier a quitté ces marchés pour se mettre en quête de havre du dollar, à partir du moment où la Réserve fédérale américaine a assoupli sa politique monétaire. La même expérience d’exode massif des capitaux a frappé la Russie au début 2014. D’abord en raison de sa puissance régionale, suite à la chute du gouvernement en Ukraine, et ensuite lorsque Moscou a froidement annexé la Crimée. Les menaces de sanctions occidentales ont conduit à l’effondrement de la Bourse.

Sans mettre en cause la validité de l’approche générale de Luxemburg, qui veut que l’accumulation constante de capital implique que l’impérialisme ait recours à la coercition extra économique, ceci n’est pas un résultat stable. Chaque situation doit être évaluée selon des termes concrets et en elle-même. Datant d’au moins un demi-siècle, lorsque la notion de sub-impérialisme a été introduite, les éléments concrets sont essentiels parce que des situations peuvent surgir qui peuvent éloigner de la double logique du capital et des relations de pouvoir territoriales en expansion.

LES LOCALISATIONS CONCRETES DU SUB-IMPERIALISME

Les nouvelles concentrations du pouvoir du Sud ont commencé à apparaître dans les années 1960, lorsque de nouvelles alliances se sont forgées dans le contexte de la Guerre Froide. Dans ses écrits de pionniers de la géopolitique de l’Amérique Latine au cours des années 60, Marini (1974) a avancé que le Brésil des années 1970 est "la meilleure manifestation actuelle du sub-impérialisme", en raison de l’extraction économique régionale, de l’exportation du capital typiquement associée aux politiques impérialistes et, en interne, à la monopolisation par les grandes compagnies, y compris la financiarisation.

Il y a trois rôles additionnels pour ces régimes, s’ils doivent être considérés comme sub-impérialistes. D’abord ils doivent garantir la stabilité géopolitique régionale dans des régions affectées par des tensions sévères. Par exemple, l’armée brésilienne en Haïti et les accords que l’Afrique du Sud s’efforce de négocier dans des points chauds africains comme le Soudan du Sud, les Grands Lacs et la République centrafricaine. Le rôle des Israéliens et de l’Arabie saoudite est similaire au Moyen Orient et l’Afrique du Sud, sous la férule des Blancs, était de même un poste avancé du sub-impérialisme occidental pendant la Guerre froide, avec des guerres de libération qui faisaient rage dans les pays voisins dans les années 1960 à 80.

La coercition extra économique pour favoriser l’extraction des matières premières est un trait commun de ce pouvoir, lorsque, dans de nombreux cas, le rôle de gendarme ne se limite pas juste au "maintien de la paix" mais vise aussi à transférer les surplus de l’hinterland vers les villes sub-impérialistes et souvent de là vers les capitales impérialistes, comme il est particulièrement évident en Afrique du Sud contemporaine (Bond 1006a, Bond 2006b)

Le deuxième rôle consiste à faire progresser l’agenda général du néolibéralisme global afin de légitimer l’optimisation de l’accès au marché. Ceci se produit dans la mesure où la plupart des puissances sub-impériales sont des soutiens financiers enthousiastes des principaux instruments de la gouvernance économique globale, en particulier les institutions de Bretton Woods et l’Organisation mondiale du commerce (Omc).

A des fins de rhétorique, les ministères des Affaires étrangères, du Commerce et même les ministères des Finances peuvent s’avérer moins flatteurs à propos de la gouvernance mondiale, et dans le cas des Brics ,en 2013-2014, peuvent initier de nouvelles initiatives multilatérales avec pour objectifs annoncés de défier le pouvoir. Mais se tenir aux côtés du Fmi, même en temps de crise - par exemple la recapitalisation de l’institution en 2009 s’est faite notoirement grâce au concours des pays du Brics (75 milliards de dollars en aide coordonnée dans ce cas) - reflète le rôle général joué par les régimes sub-impérialistes : lubrifier, légitimer et étendre les politiques économiques néolibérales plus profondément dans les hinterlands régionaux.

La même chose est vraie pour le plus important défi de gouvernance globale à long terme : la gestion du climat, où les Brics (moins la Russie) se sont alignés sur Washington lors des Accords de Copenhague en 2009, évitant à la fois la diminution des émissions de carbone et faisant la promotion de la continuation de la financiarisation de la stratégie du climat par la Bourse du carbone (Bond 2012 ; Böhm, Misockky et Moog 2012) (Par la suite, la Russie a cimenté cette approche en augmentant dramatiquement ses émissions de gaz à effets de serre et en reniant et en se retirant du Traité de Kyoto, le principal traité concernant le climat). Ce rôle de soutien à la mal gouvernance économique globale et environnementale profite souvent aux compagnies situées sur le territoire de ces pays sub-impérialistes, mais c’est aussi un indice de la collaboration et de la coopération avec le projet impérialiste des multinationales et des Etats au cœur du capitalisme.

Un autre exemple reste l’assistance, non seulement utile mais indispensable, à l’Omc que les Brics ont voulu revitaliser dès 2005 lors d’une conférence ministérielle à Hong-Kong. L’expansion du libre-échange et le protectionnisme prévalent souvent dans un mélange inconfortable au sein des économies sub-impérialistes, mais les activités contre hégémoniques dans le cadre de l’Omc ont également eu lieu au sein de l’agenda néolibéral plus large. Selon l’un des coordinateurs du réseau de la société civile Our world is not for sale (notre monde n’est pas à vendre) (James 2013), la nomination du Brésilien Roberto Azevêdo à la tête de l’Omc, en 2013, est débilitante pour la résistance du Sud, du bloc G-110

L’annulation du Europe- South African Bilateral Investment Treaty, par le ministre du commerce sud africain, Rob Davies, a été considérée comme un cas d’opposition à l’Occident à émuler, mais reste une exception qui confirme la règle et qui a aussi confirmé la défense de la domination régionale de Pretoria contre les intrusions de l’Union européenne dans son hinterland immédiat - l’Accord douanier de l’Afrique Australe. Parce que, au bout du compte, en 2013, Azevêdo a réussi à arranger un accord ministériel dans le cadre de l’Omc qui a remis l’organisation sur les rails, une réussite remarquable compte tenu de l’échec de son prédécesseur Pascal Lamy qui, invariablement, soutenait l’Union européenne lors de vains efforts précédents.

Dans ce contexte, il ressort que la mise en réseau des élites sub-impérialistes, comme en témoigne le bloc des Brics au cours de sa période de formation initiale (2008-2014), est un programme qui confirme plus systématiquement les pratiques super exploitantes au sein de leur hinterland.

A l’instar du découpage de l’Afrique à Berlin, en 1884-1885, à l’invitation de Bismarck qui a instauré de nouvelles frontières qui profitent principalement aux entreprises d’extraction de minerais et des plantations, ainsi qu’à des compagnies de constructions associées à l’accumulation de capital en Angleterre, en France, au Portugal, en Belgique et en Allemagne, les Brics semblent suivre le chemin colonial et néocolonial. Identifiant les ports, les ponts, les routes, les projets hydrauliques et d’autres projets d’infrastructures dans la même veine, la conférence des Brics, réunie à Durban en 2013, avait pour objet le découpage économique du continent, pas plus entravé maintenant qu’alors par les préoccupations dérisoires de l’Occident concernant la démocratie et les droits humains, avec plus d’une douzaine de chefs d’Etat africains présents comme collaborateur.

Le New Partnership for Economic Development et l’African Peer Review Mécanisme (mécanisme de révision par des pairs) ont souvent été accusés d’être des mécanismes pour de telles infrastructures mais ont été généralement ineffectifs (Bond 2005, 2009).

Toutefois, il est aussi important de noter que les formes de sub-impérialisme des Brics sont diverses comme le remarquent Moyo et Yeros (2011, pp 19) : "Certains sont poussés par des blocs de capitaux privés avec un fort soutien de l’Etat (Brésil, Inde). D’autres, comme la Chine, incluent la participation directe des entreprises étatiques pendant qu’en Afrique du Sud il est de plus en plus difficile de parler d’une bourgeoisie autochtone indépendante compte tenu du degré extrême de dénationalisation de son économie en cette période post-Apartheid. Le degré de participation dans le projet militaire occidental varie également d’un cas à l’autre, bien que l’on puisse dire qu’il y a de la schizophrénie dans tout ce sub-impérialisme typique".

La période récente a réinitié un débat fructueux sur le concept de sub-impérialisme et à propos de la transition du sub-impérialisme à l’inter-impérialisme et, peut-être, un jour à l’anti-impérialisme. Toutefois, l’élément le plus crucial pour rendre le débat réel, pas juste une joute sur des questions sémantiques entre intellectuels de Gauche impotents, est un processus entièrement différent, un processus qui n’est pas la rhétorique qui vient d’en haut mais de la réalité qui vient d’en bas. La réalité d’en bas est de plus en plus tendue dans chacune des puissances sub-impérialistes qui cherchent actuellement l’unité dans les Brics.

Dans chacun de ces pays, des batailles de classe sociale, des batailles sociales, écologiques et politiques ont commencé à apparaître, déclenchées par des évènements inhabituels qui, à la surprise de la plupart des commentateurs, ont pris une importance nationale : en 2013, l’augmentation du prix des transports publics et les excès associés à la Coupe du monde qui se tiendra au Brésil. Fin 2011, la lutte pour la liberté d’expression impliquant un groupe rock ; en 2012, les droits des homosexuels ; en 2013, les manifestations contre la guerre ; un cas de viol/meurtre qui a défrayé la chronique en 2012 et la surprise électorale d’un parti populiste de gauche qui gagne des élections municipales à la fin 2013 (Inde) ; et le massacre de mineurs de fonds au milieu de 2012 au centre d’un soulèvement général des pauvres concernant le manque d’accès et les prix surfaits des services municipaux en Afrique du Sud.

Tous ces combats sont impulsifs et impossibles à prévoir, mais des combats beaucoup plus profond contre la super exploitation, la destruction de l’environnement et le néolibéralisme surgissent constamment dans chacun de ces pays. Le défi pour les critiques de "Brics depuis le bas" est de créer des liens et de s’internationaliser le plus vite possible, parce que leurs intérêts, leurs campagnes, leurs analyses, stratégies, tactiques et alliances ont de nombreux points de convergence, entre eux et avec les forces progressistes du monde. Ce n’est qu’alors qu’un véritable projet anti-impérialiste deviendra possible, c'est-à-dire lorsque les anti-sub-impérialistes s’uniront aussi.

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** Patrick Bond est professeur à l’University du KwaZulu-Natal, où il dirige le Centre pour la société civile

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REFERENCES

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