Les intérêts du Japon en direction de l’Afrique ne sont pas l’objet de campagne haineuse, à la différence des intérêts chinois. La raison en est que le Japon arrive en Afrique dans le sillage des puissances occidentales afin de "contenir" l’influence de la Chine en Afrique.
La logique des puissances occidentales face aux intérêts en compétition en Afrique dénote une mentalité colonialiste prévalente. La récente visite du Premier ministre japonais Shinzo Abe en Afrique a révélé les plans clairs de son pays ainsi que des puissances occidentales. A savoir, contenir l’influence de la Chine en Afrique, continent considéré comme une proie facile, un champ de batailles pour les intérêts d’autres pays extérieurs à la région.
L’Afrique s’est trouvée dans cette position depuis la période de l’esclavage, de l’Apartheid, du colonialisme, du néocolonialisme et maintenant des nouvelles influences multiples, c'est-à-dire que depuis la fin de la Guerre froide toutes les principales puissances ont tenté de maintenir leur influence en Afrique afin d’y sauvegarder leurs intérêts stratégiques (matières premières, soutien géopolitique au sein du Conseil de Sécurité des Nations Unies) sans considérations pour les intérêts des Africains (enrichir d’autres gens tout en restant pauvres et en étant convaincus par ceux que vous enrichissez que vous êtes pauvres et que vous avez besoin d’aide, d’aide, d’aide). Ce sont les intérêts stratégiques de ces puissances dominantes qui dictent leurs politiques africaines (elles décident de tout concernant l’Afrique sans les Africains eux-mêmes). Les ressources naturelles et minérales du Congo ont été systématiquement pillées au cours de 16 dernières années par ceux-là mêmes qui viennent au Congo comme investisseurs. Que signifie le terme investisseur dans ce cas ? Si les Américains et leurs alliés de l’Otan peuvent bombarder l’Irak et l’Afghanistan pour les renvoyer à l’âge de la pierre et octroyer des contrats à des compagnies américaines pour "reconstruire" ces pays, est-ce cela la globalisation ?
SE SOUMETTRE A L’INFLUENCE DES PUISSANCES OCCIDENTALES
Les pays africains eux-mêmes ont peut-être leurs propres politiques à l’égard des puissances dominantes, mais elles restent lettre morte. Les Africains n’ont pas les moyens de mettre en œuvre leurs propres politiques. Près de 90% du budget de l’Union africaine est financé de l’extérieur. Ainsi les Africains n’ont qu’une seule politique : plus la donation est importante plus ils sont heureux !
La soumission à l’influence des puissances occidentales est exactement ce que les intellectuels du Zimbabwe, Jonathan Moyo et Charity Manyeruke, dénoncent. Selon Jonathan Moyo, cette réalité évidente et décevante de la politique africaine, en Afrique aujourd’hui, est précisément le problème soulevé par le président Mugabe, lors d’une interview accordée à la Bbc, à l’occasion de ses 88 ans, qui dénonce non seulement la lâcheté de la nouvelle race de dirigeants africains, mais également leur traîtrise. (Sydney Kawadza "Some African leaders coward" The Herald, 20 février 2012) : "Ce n’est pas qu’ils veulent un soutien budgétaire de la part des puissances occidentales ou veulent véritablement faire quelque chose en Afrique. C’est simplement que ce sont des vendus par définition. Ils ne pensent pas à leur population mais seulement à eux-mêmes et à se remplir les poches" (Herald reporter "Political analysts castigate puppet African leaders" The Herald, 21 février 2012)
Charity Manyeruke souligne que la dépendance des dirigeants africains de l’aide étrangère, pendant que les puissances occidentales pillent les ressources africaines, constitue la raison pour laquelle certaines économies sont toujours en difficultés. Pour elle, une trop grande dépendance du Nord inhibe le développement en Afrique, dès lors qu’il n’est point possible de prendre des décisions indépendantes. "Il est nécessaire pour nous de nous unir en tant que continent pour une véritable intégration régionale. Mais si nous avons encore des pays qui dansent au son de la musique de l’Occident, nous avons un problème", explique Manyeruke.
Nous ne pouvons sacrifier des principes pour de l’argent. Sinon qu’allons-nous devenir ? Que faisons-nous des sacrifices de Patrice Lumumba et d’autres - Lumumba dont nous avons commémoré l’assassinat le 17 janvier 2014 alors que j’écrivais cet article. Assassiné parce qu’il refusait de trahir le Congo et l’Afrique.
Le fait que les factions sud soudanaises en guerre ont été repoussées dans les souterrains de leur hôtel à Addis Ababa, qui est un night club, par une délégation japonaise en visite, devrait être une bonne leçon pour eux et pour tous les Africains ("South Sudan talks resume in Addis Ababa night club gaslight" Bbc, 13 janvier 2014) Je me souviens aussi que des factions congolaises en guerre ont tenu leur discussions à Sun City, le Las Vegas de l’Afrique du Sud. Nous autres Africains jouons avec nos vies et notre futur depuis trop longtemps. Il est grand temps de prendre nos propres destinées en mains.
LE JAPON, UN DILEMME POUR LES RECIPIENDAIRES AFRICAINS DE DONS
Le Japon est un Etat industriel, sans ressources naturelles, qui veut consolider ses intérêts en Afrique afin de s’assurer d’un ravitaillement continu en ressources africaines pour alimenter ses industries. La Chine aussi requiert des ressources naturelles pour alimenter son économie croissante. Mais il y a une différence entre les deux pays asiatiques en ce qui concerne leurs politiques à l’égard de l’Afrique.
En ma qualité de Congolais qui pleure la mort de 6 millions de ses compatriotes massacrés par les envahisseurs rwandais et ougandais, soutenus par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, au cours des 16 dernières années, je suis troublé par le fait que le Premier ministre japonais Shinzo Abe peut visiter l’oratoire controversé de Yasukuni pour honorer la mémoire de criminels de guerre, crimes commis au cours de l’invasion de la Chine par le Japon, et dans la foulée visiter différents pays africains et que l’Union africaine lui déroule le tapis rouge. J’abonde dans le sens de l’ambassadeur de Chine, M. Xie Xiaoyan, qui rappelait à l’Union africaine les atrocités japonaises en Chine par des images. J’ai utilisé la même méthode à Londres pour illustrer le génocide au Congo. Il ne devrait y avoir aucun soutien aux apologistes de génocides, de crimes de guerre et crimes contre l’humanité qui sont commis à grande échelle dans l’impunité, particulièrement en République démocratique du Congo aujourd’hui.
Le fait que le Premier ministre Shinzo Abe a visité la Côte d’Ivoire, où de nombreux adeptes du président Laurent Gbagbo ont récemment été massacrés à une large échelle, est troublant. L’Afrique devrait traiter tout apologiste de génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité comme un pariah parce que l’Afrique a été victime de tels crimes depuis l’époque de l’esclavage. L’actuel gouvernement japonais devrait être traité comme "une cicatrice sur la conscience du monde" y compris par les Etats-Unis et l’Europe. Le Japon ne devrait pas importer ses contradictions en Afrique.
A la différence du Japon, la Chine n’est pas entièrement sans ressources naturelles et minérales dans son sous-sol.
Les intérêts du Japon ne sont pas l’objet de campagne haineuse, y compris de l’accusation de colonialisme, à la différence des intérêts chinois. En tant qu’Africains, je me demande pourquoi. La raison en est que le Japon arrive en Afrique dans le sillage des puissances occidentales afin de "contenir" l’influence de la Chine en Afrique. J’en veux pour preuve que la France et le Japon viennent de conclure une alliance en vue de limiter l’influence chinoise en Afrique. Nous sommes témoins d’un "nouvel axe vers l’Afrique ", qui inclut le Japon, les Etats-Unis et l’Europe. Les récents pourparlers, centrés principalement sur une intervention impérialiste accrue en Afrique, visent à détruire l’influence chinoise croissante sur le continent.
Le Japon a promis de soutenir les deux guerres françaises en cours dans deux anciennes colonies françaises, le Mali et la République de Centrafrique. Cette nouvelle coopération de défense entre Paris et Tokyo survient à un moment où le Japon et la Chine sont impliqués dans une dispute amère à propos des îles Diaoyu dans la Mer de Chine orientale. Ces tensions sont largement le résultat de l’administration Obama et son "axe vers l’Asie", une politique consistant à forger une alliance stratégique et militaire avec le Japon, l’Australie, l’Inde et d’autres puissances régionales afin d’encercler la Chine (la politique "d’un cercle de feu autour de la Chine") et de contenir son influence économique croissante.
Suite aux discussions entre les ministres français et japonais, une déclaration commune a été faite qui, apparemment, critiquait l’établissement par la Chine, l’an dernier, d’une zone de défense aérienne (où les avions devaient s’identifier pour traverser) et qui couvre les îles Diaoyu qui font l’objet de dispute. La déclaration soulignait l’importance de garantir la liberté de navigation aérienne au-dessus des eaux océaniques internationales et des zones économiques exclusives, ainsi que de garantir la sécurité de l’aviation civile. Le ministres des Affaires étrangères Laurent Fabius, évitant de justesse de nommer la Chine, a déclaré : "Les tensions [entre la Chine et le Japon] sont une source de préoccupations. Nous voulons que cette partie du monde trouve une solution pour diminuer les tensions" (Kumara Ira : "France, Japan form alliance targeting Chinese influence in Africa" World Socialist Website, le 13 janvier 2014)
Le Japon peut se vanter d’industries modernes de haute technologie. Mais à la différence de la Chine, le Japon n’a jamais fait de transfert de ses technologies vers l’Afrique. L’Afrique n’a pas besoin de grosses donations pour l’éternité. L’Afrique a besoin de technologies modernes afin de pouvoir transformer ses ressources sur place, créer des emplois et des marchés pour sa propre population au niveau national, régional, continental et international. La Chine a déjà transféré certaines de ses technologies vers l’Afrique (la compagnie Hisense en Afrique du Sud, ainsi que des technologies pour l’extraction du pétrole au Soudan). Comme on le dit, "donnez à un homme un poisson et il mangera un jour. Apprenez lui à pêcher et il mangera tous les jours" (proverbe chinois).
L’histoire a démontré que nous autres Africains pouvons croire et faire confiance à la Chine. Nous faisons confiance à la Chine lorsqu’elle dit qu’elle est prête à coopérer avec d’autres grandes puissances en Afrique ; à condition que "les intérêts des Africains prévalent d’abord".
Comme l’énonce l’intellectuel chinois Luo Jianbo, "il est bien connu que la politique étrangère d’une nation sert toujours d’abord ses propres intérêts. La Chine ne fait pas exception. La Chine n’a jamais nié que sa politique africaine vise à servir ses propres intérêts stratégiques en Afrique [ni qu’elle n’y a jamais commis d’erreurs]. Toutefois, l’un des aspects qui distingue la politique africaine de la Chine depuis le début est qu’elle aspire à promouvoir une coopération win/win, Sud/Sud et la restauration de la dignité de l’Asie et de l’Afrique. L’engagement de la Chine en Afrique lui fournit de nouvelles opportunités de développement et favorise l’Afrique dans son intégration dans le système international c’est à dire, comme partenaire égal. (Luo Jianbo : "China-Africa relations and China’s international responsibility" World economics and politics 2013. vol 9. no 397, pp52-70).
Ceux qui veulent maintenir des relations maître à esclave ne sont pas heureux.
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** Antoine Roger Lokongo est journaliste et au candidat au doctorat à l’université de Pékin – Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger
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