L’implication et le rôle que joue la France dans la crise à Madagascar s’éclairent d’un long faisceau d’indices. Tout a été ainsi fait pour empêcher le retour au pouvoir de Marc Ravalomanana. Mais c’était sans compter, selon Adolphe E. Rakotomanga, avec la mobilisation immédiate des populations pour empêcher une nouvelle mainmise qui hisserait le drapeau tricolore sur le palais de Manjakamiadana, avec un «ami de la France» à la tête de la Grande Île.
Nous portons le deuil dans notre âme et conscience depuis le 17 mars 2009, date du début de la tragédie qui s’est abattue sur Madagascar et qui a provoqué sa rapide et inexorable décomposition : décomposition morale, politique, économique, sociale, culturelle. Les institutions sont devenues des caricatures et la démocratie réduite à d’horribles oripeaux. Madagascar vit la plus noire période de son existence après celle de 1947 et prend l’allure d’un pays occupé, comme l’était en son temps une certaine France par l’abominable régime nazi.
Nous sommes horrifiés et indignés du fait de cette même France qui vient de tomber les masques. En présentant d’une façon éhontée et grossière « sa feuille de route » qu’elle prétend substituer aux accords cosignés de Maputo et d’Addis-Abeba, accusés par elle d’inapplicables. Nous comprenons alors pourquoi Andry Rajoelina n’a pas hésité à renier sa signature. Parce que l’État français, embusqué derrière lui, n’a pas trouvé ses comptes dans ces accords. Nous comprenons alors, d’une façon fulgurante, pourquoi la situation est bloquée et par qui : parce que l’État français a dans ses papiers son propre schéma, plus conforme à ses intérêts et à son objectif ultime.
Le 27 mai 2009, depuis l’Afrique du Sud, Marc Ravalomanana n’avait-il pas accusé les Français d’avoir été derrière le coup d’Etat ? C’est à peine si les médias en ont fait mention. Nous savons maintenant que le président, qui possède sans aucun doute ses propres sources de renseignements, n’a pas fait cette déclaration dans un moment de délire ou d’égarement. D’ailleurs, un faisceau de faits convergents balise la traçabilité de l’implication de l’État français dans la persistance de la situation actuelle :
a) la présence, auprès de Andry Rajoelina, dès les premières heures du putsch, d’un Conseiller français,
b) l’activisme forcené de son représentant sur place (présentation de lettre de créance, présence physique lors du sacre du « nouvel Homme fort de Madagascar », rencontres incessantes avec ce dernier et avec d’autres personnalités susceptibles de servir de jokers à la solde de la France),
c) l’accueil de ce dernier (Ndlr : Andry Rajoelina) par Paris après le camouflet à lui infligé par l’Assemblée générale de l’ONU (septembre 2009),
d) sa rencontre largement médiatisée avec des parlementaires UMP en France,
e) le grouillement pathétique des émissaires du Quai d’Orsay sur les lieux lors de Maputo 2,
f) la sortie, à point nommé, de cette « feuille de route », présentée par Alain Joyandet et aussitôt agréée par Andry Rajoelina lequel est prêt, semble-t-il, à la signer les yeux fermés,
g) l’embargo de la presse française sur la tenue quasi-quotidienne des manifestations des partisans de la Légalité et des Accords de Maputo / Addis-Abeba, ainsi que sur l’émergence du Mouvement des Ecclésiastiques (Hetsiky ny Mpitondra Fivavahana),
h) le silence étonnant de l’importante communauté française à Madagascar, témoin privilégié des évènements,
i) très subsidiairement, la très suspecte « Lettre ouverte » d’un Père Pedro (récemment décoré de la Légion d’Honneur française) adressée à Louis Michel, Commissaire européen au développement et à l’aide humanitaire et actuellement co-président de l’assemblée paritaire ACP-UE.
Évidemment, cette liste n’est pas exhaustive, car ne sont évoqués ci-dessus que les faits les plus visibles. Mais qui constituent au total l’équivalence d’une reconnaissance officielle de fait de la France à l’endroit de l’Autorité de fait Malagasy. Ce faisant, l’Etat français reste fidèle aux grandes manœuvres, très « géopolitiques » et à quelques variantes près, déployées dans maints Pays Africains (Côte d’Ivoire, Congo Brazzaville, Mauritanie, Gabon, Niger, etc…).
Ce qu’il n’a pas apparemment prévu, c’est cette mobilisation quasi-immédiate contre le coup d’État, autour du thème de la Légitimité et de la Légalité, radicalisé depuis par le thème de la Défense de la Souveraineté et de l’Indépendance. Malgré la guerre d’usure que lui imposent l’Autorité de fait, le Peuple Malagasy ne va pas prêter main forte à l’État français dans son acharnement à vouloir de nouveau planter, en plein XXIème siècle, son tricolore en haut du Palais de Manjakamiadana !Car il nous semble très clair à présent : les autorités françaises veulent à tout prix que la Grande Île reste française et que le futur président (qu’elles essaient de faire élire dans des élections forcées) soit un « ami de la France ». A l’instar de maints chefs d’États Africains, contestés et haïs par leurs peuples car élus dans des conditions nébuleuses. Cela signifie, dans le cas de Madagascar, que tous les moyens leur sont bons, pour empêcher le retour au pouvoir d’un certain Marc Ravalomanana.
A posteriori, nous osons affirmer que si ce dernier n’avait pas pu quitter Iavoloha pour l’exil, en mars 2009, il y aurait (au sens propre) laissé sa peau. Cela aurait en effet arrangé beaucoup de monde et un État en particulier. Et sa mort, comme celle du Colonel Ratsimandrava, aurait constitué une énigme de plus, à jamais élucidée. Ou alors, ses ennemis auraient prouvé « qu’il s’est suicidé » ?
En 2009, le PNUD a publié le classement de tous les pays du monde selon leurs Indices de développement humain (IDH) 2007 respectifs… Madagascar y tient le 145ème rang sur 182 et appartient aux Pays à IDH moyen. Sur les 25 pays classés derniers (à IDH faible), onze sont des ex-colonies françaises. Nous refusons de croire que c’est là le fait du hasard ou d’un quelconque malédiction.
Certes les dirigeants de ces pays et leurs peuples y ont certainement leur part de responsabilités. Mais à y regarder de près, les poids de l’esclavage et de la colonisation, relayés par les manœuvres incessantes de ce qu’on appelle la Françafrique, font que l’Afrique reste un continent noir, noir de violences, de misères, de pillages, de corruptions, d’élections forcées et truquées, de coups d’État, de génocides… et se trouve reléguée au rang des pays immergents.
Pour s’en convaincre, il faut entendre le discours de M. Sarkozy, prononcé le 26 juillet 2007 à l’Université Cheikh Anta Diop du Sénégal. Discours édifiant s’il en est, et qui a soulevé l’indignation de nombreux intellectuels africains. Il y a manié, en effet, avec sa manière à la fois directe et insidieuse, la basse flatterie et les contrevérités, démontré sa méconnaissance de l’Histoire de l’Afrique Noire et de ses Peuples. Pour mieux culpabiliser sans vergogne ces derniers et mieux édulcorer les responsabilités de la France coloniale passée et présente. De la repentance, il n’a voulu rien entendre. Au contraire, c’est à peine s’il n’a pas exigé de la part de l’Afrique ingrate, le pardon à la France Éternelle, grand bâtisseur de ponts, de route, d’écoles, d’hôpitaux !
Qu’on ne se méprenne pas sur nos propos. Nous-même de formation française, nous respectons le peuple français et la France, celle des Droits de l’Homme, celle qui a connu la souffrance et l’humiliation pendant l’Occupation nazie, celle qui lutte pour le rayonnement de sa langue et de sa culture à travers le Monde. Mais nous dénonçons et condamnons d’autant plus vigoureusement la politique menée par l’Autre France, sournoise et conquérante, qui veut imposer ses propres intérêts au détriment et au mépris de ceux des Autres.
* Adolphe E. Rakotomanga est président de l’Association Force de l’Education et de la Recherche (HFF/FER), Maître de Conférence Université d’Antananarivo
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