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L'Afrique, particulièrement l'Afrique Centrale et la région des Grands Lacs, est souvent confrontée au difficile héritage des graves violations et abus des Droits de l'homme. Encre, salive voire le sang ont coulé et continuent de couler sans que justice ne soit – effectivement - faite. Dans cette quête de justice, la Cour Pénale Internationale (CPI) fut créée par le traité de Rome du 17 juillet 1998 (Traité ou Statut de Rome). Le Statut de Rome exigeait 60 ratifications pour sa création ou son entrée en vigueur. Ces 60 ratifications ont été rassemblées en 2002 et la République Démocratique du Congo (RDC) est le 60e pays qui a déposé ses instruments de ratification le 11 avril 2002 pour permettre à cette Cour de fonctionner à partir du 1er juillet 2002. À partir de cette date, les crimes de génocide, le crime contre l'humanité et le crime de guerre, relèvent de la compétence de ladite Cour.

Le Statut a introduit en son sein un principe important qu'est la responsabilité des chefs militaires et des chefs hiérarchiques. Ce principe déroge du principe pénal de la responsabilité pénale individuelle en posant l'axiome qu'en cas de commission d'un crime de la compétence de la CPI, le défaut du chef militaire ou du supérieur hiérarchique, ayant eu connaissance des faits, de prévenir ou de mettre fin ou même de sanctionner, engage sa responsabilité pour le crime commis par les hommes placés sous son commandement.

Ce principe est aujourd'hui au cœur d'un débat fort passionné à travers le monde à la suite de l'arrestation du sénateur Jean Pierre Bemba par la Belgique, sur base du mandat d'arrêt international lancé en son encontre par la CPI et des vacillements dans le dossier de Thomas Lubanga.

Le principe de responsabilité du supérieur hiérarchique ne manque pas de poser problème quant à son application. En effet, la grande difficulté reste la mesure dans laquelle elle est engagée, d'autant plus que la preuve de son existence n'est pas facile à rapporter. Il est vrai que les cas d'imputabilité personnelle en cas de commission d'un acte criminel posé par la personne incriminée sont faciles à relever, mais il arrive que les faits soient présentés différemment et qu'il soit difficile de prouver la responsabilité de tel ou tel criminel.

Certes, il est des cas qui s'expliquent par eux-mêmes, car on connaît d'avance qui agit sous le contrôle de qui, encore que dans d'autres circonstances, le lien de subordination entre tel subordonné et tel supérieur n'apparaît pas à première vue. D'où l'intérêt de l'affaire Jean-Pierre Bemba, qui nous donne l'occasion de cogiter sur les contours et les méandres de la responsabilité pénale du supérieur hiérarchique, notion plus qu'importante dans la continuation et l'aboutissement de l'affaire a quo. Toutefois, il est opportun de relever que loin pour nous l'idée - dans la présente réflexion - de prendre position sur la culpabilité ou non de Monsieur Jean-Pierre Bemba.

Des faits reprochés à Jean-Pierre Bemba et l'état de la procédure à ce jour

Jean-Pierre Bemba est le premier suspect de la CPI pour les crimes présumés avoir été commis en République Centrafricaine (RCA) où le Bureau du Procureur poursuit ses enquêtes. L'audience de confirmation des charges dans l'affaire Le Procureur c/ Jean-Pierre Bemba Gombo[1] s'est tenue du 12 janvier 2009 au 15 janvier 2009.

En effet, Jean-Pierre Bemba, président et commandant en chef du Mouvement de Libération du Congo (MLC), fut arrêté le 24 mai 2008 par les autorités de la Belgique, suite à un mandat d'arrêt délivré sous scellés par la CPI le 23 mai 2008.[2] Il a été remis à la CPI le 3 Juillet 2008 où il est détenu au quartier pénitentiaire situé dans la prison de Haaglanden, à Scheveningen (La Haye). Le 16 décembre 2008, sa demande de mise en liberté provisoire a été rejetée par la Chambre préliminaire de la CPI.[3]

Il est accusé de cinq chefs de crimes de guerre (viol, torture, atteinte à la dignité de la personne, pillage et meurtre) et de trois chefs de crimes contre l'humanité (viol, torture et meurtre) commis sur le territoire de la RCA. Ces crimes auraient été commis pendant la période allant au moins du 25 octobre 2002 au 15 mars 2003, où un conflit armé prolongé a eu lieu en RCA, opposant d'une part une partie des forces armées nationales de M. Ange Félix Patassé, président de la RCA à cette époque, alliées à des combattants du MLC dirigées par Jean-Pierre Bemba, et d'autre part les forces de M. François Bozizé, ancien Chef d'Etat major des forces armés centrafricaines.

Dans le cadre de ce conflit armé, les forces du MLC auraient mené une attaque systématique ou généralisée contre la population civile et auraient commis les crimes susmentionnés, notamment dans Bangui, Point Kilomètre 12 (« PK 12 »), Point Kilomètre 22 (« PK 22 »), Mongoumba, Bossangoa, Damara, Bossembélé, Sibut, Bozoum, Kabo, Batangafo, Kaga-Bandoro et Bossemptélé.

Suite à cette audience dite de confirmation de charge – qui a tenté de déterminer si les charges retenues contre Jean-Pierre Bemba peuvent être confirmées pour permettre le début d'un procès -, conformément à la norme 53 du Règlement de la Cour, la Chambre préliminaire III doit rendre sa décision par écrit dans un délai de 60 jours à compter de la fin de l'audience de confirmation des charges. Elle doit donc, endéans ce délai, décider de confirmer ou non les charges retenues par le Procureur à l'encontre de Jean-Pierre Bemba et de le renvoyer, le cas échéant, en procès. Ainsi, tous les yeux sont maintenant braqués sur les trois juges.[4] C'est donc d'ici le 15 mars 2009 que nous saurions si Jean Pierre Bemba sera relaxé ou pas.

Sans préjuger sur le fond, relevons tout simplement que quatre scénarios sont possibles. La Chambre préliminaire peut :

· Confirmer les charges pour lesquelles elle a conclu qu'il y a des preuves suffisantes, auquel cas l'affaire est renvoyée en jugement ;
· Refuser de confirmer les charges pour lesquelles elle a conclu qu'il n'y a pas de preuves suffisantes ;
· Ajourner l'audience et demander au Procureur d'apporter des éléments de preuve supplémentaires ou de procéder à de nouvelles enquêtes ;
· Ajourner l'audience et demander au Procureur de modifier toute charge pour laquelle les éléments de preuve produits semblent établir qu'un autre crime que celui qui est reproché a été commis.

Notons qu'en cas de procès proprement dit, tout se jouera sur la question de la responsabilité pénale de Jean-Pierre Bemba pour les crimes prétendument commis par les troupes sous son commandement. Le point suivant essaye donc de mettre de l'eau au moulin en essayant de décortiquer le fondement de la responsabilité du supérieur hiérarchique, ce terrain glissant sur lequel tout le combat juridico-politique de l'affaire Jean-Pierre Bemba se déroulera.

Les contours de la responsabilité du supérieur hiérarchique

Telle qu'une partie de ping-pong, l'accusation[5] et la défense[6] ne cessent de se lancer des quolibets fustigeant la responsabilité engagée ou non de Jean-Pierre Bemba. En effet, il ressort de l'accusation que Jean-Pierre Bemba est le président et commandant en chef du MLC. Il était investi d'une autorité de jure et de facto par les membres de ce mouvement pour prendre toutes les décisions tant sur le plan politique que militaire. De ce fait, il savait que le comportement des membres du MLC s'inscrivait dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre la population civile centrafricaine puisqu'il s'est rendu au moins deux fois en RCA et que, lors de ces visites, il a été informé des plaintes de la population locale concernant les crimes qui auraient été commis par les membres du MLC.

Ce qui est réfuté par la défense. En effet, pour les avocats de Jean-Pierre Bemba, nul ne peut prétendre accuser leur client - Bemba - dans une affaire où il n'était ni dans la chaîne de commandement, ni dans le dispositif logistique arrêté pour faire face à la rébellion. Ses hommes en armes avaient été mis à la disposition de l'Etat-Major de l'armée Centrafricaine, placés sous la férule de Patassé. C'est donc ce dernier qui est responsable et non Jean-Pierre Bemba. En conséquence, cette affaire nécessite de voir comment la notion de responsabilité du supérieur pour les actes du subordonné est née, constituée et évolue.

Évolution et Base légale

La notion de la responsabilité du supérieur pour les actes du subordonné n'est pas nouvelle. Elle fut reconnue en 1907 par la Convention de la Haye. Dans le rapport préliminaire présenté à la Conférence de paix, à Versailles, le 29 mars 1919, a été reconnue la possibilité d'attribuer la responsabilité sur les personnes en position d'autorité qui ont failli à leur devoir de prévenir les violations des lois ou coutumes de la guerre commises au cours de la Première Guerre Mondiale.[7]

Aussi, le Statut du Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) et le Statut du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) consacrent la responsabilité criminelle d'un supérieur qui savait ou avait des raisons de savoir » qu'un subordonné était sur le point de commettre un crime ou avait commis un acte criminel, et que, en tant qui supérieur, « s'est abstenu de prendre les mesures nécessaires et raisonnables pour prévenir de tels actes ou punir leurs auteurs. Ainsi, les supérieurs qui s'abstiennent de prévenir ou de réprimer les actes illégaux de leurs subordonnés peuvent engager leur responsabilité.

La CPI n'est pas en reste. Cette notion de responsabilité des chefs militaires et autres supérieurs hiérarchiques est consacrée par l'article 28 du Statut de Rome. Sur pied dudit article, outre les autres motifs de responsabilité pénale au regard du Statut de Rome pour des crimes relevant de la compétence de la CPI:

a) Un chef militaire ou une personne faisant effectivement fonction de chef militaire est pénalement responsable des crimes relevant de la compétence de la Cour commis par des forces placées sous son commandement et son contrôle effectifs, ou sous son autorité et son contrôle effectifs, selon le cas, lorsqu'il ou elle n'a pas exercé le contrôle qui convenait sur ces forces dans les cas où:
I) ce chef militaire ou cette personne savait, ou, en raison des circonstances, aurait dû savoir, que ces forces commettaient ou allaient commettre ces crimes; et
II) ce chef militaire ou cette personne n'a pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables qui étaient en son pouvoir pour en empêcher ou en réprimer l'exécution ou pour en référer aux autorités compétentes aux fins d'enquête et de poursuites;?

b.) En ce qui concerne les relations entre supérieur hiérarchique et subordonnés non décrites au paragraphe a), le supérieur hiérarchique est pénalement responsable des crimes relevant de la compétence de la Cour commis par des subordonnés placés sous son autorité et son contrôle effectifs, lorsqu'il ou elle n'a pas exercé le contrôle qui convenait sur ces subordonnés dans les cas où:
I) le supérieur hiérarchique savait que ces subordonnés commettaient ou allaient commettre ces crimes ou a délibérément négligé de tenir compte d'informations qui l'indiquaient clairement;
II) ces crimes étaient liés à des activités relevant de sa responsabilité et de son contrôle effectifs; et
III) le supérieur hiérarchique n'a pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables qui étaient en son pouvoir pour en empêcher ou en réprimer l'exécution ou pour en référer aux autorités compétentes aux fins d'enquête et de poursuites.

Ainsi, le supérieur hiérarchique encourt une responsabilité pour cause d'omission ou d'infraction commise par une personne placée sous son contrôle. Tel est semble-t-il, la raison pour laquelle Monsieur Jean-Pierre Bemba est attrait devant la CPI. C'est pour répondre des actes et faits infractionnels au regard du Statut de Rome commis par les soldats du Mouvement pour la Libération du Congo (MLC) en République Centrafricaine (RCA) dont il est et fut président et conséquemment, supérieur hiérarchique et/ou chef militaire. Il sied ici de noter que trois éléments fondent cette responsabilité du supérieur hiérarchique et qu'il est nécessaire de décortiquer pour la bonne compréhension et sur base desquels l'accusation et la défense dans l'affaire Bemba vont s'empoigner comme du temps des romains - nous espérons cette fois, loyalement-.

Le fondement de la responsabilité du supérieur hiérarchique

Trois éléments fondent cette responsabilité du supérieur hiérarchique : La qualification du supérieur hiérarchique, la connaissance ou les informations qui peuvent y conduire et l'obligation de prendre les mesures pour empêcher ou réprimer l'infraction.

A. La qualification du supérieur hiérarchique

Cet élément est important car, il ne s'agit pas de n'importe quel supérieur placé dans la chaîne de commandement, mais seulement d'un supérieur qui a une responsabilité personnelle à l'égard de l'auteur des agissements en question, parce que ce dernier, étant son subordonné, se trouvait placé sous son contrôle. Cela ne signifie pas que la responsabilité pénale de ceux qui, par omission, ont eux-mêmes directement causé une infraction grave n'est pas engagée.[8] Du point de vue objectif, il est nécessaire que les activités criminelles des subordonnés relèvent du domaine effectif de responsabilité et de contrôle du supérieur hiérarchique.[9]

Toutefois, la notion de « supérieur » est plus large et doit être prise dans une perspective hiérarchique englobant la notion de contrôle. En réalité, la notion du supérieur s'applique à toute personne investie d'un pouvoir hiérarchique. Néanmoins, ce principe ne se limite pas aux personnes ayant été officiellement désignées comme commandants ; il recouvre aussi bien l'autorité de facto que de jure.[10] C'est-à-dire, bien que la capacité effective du supérieur hiérarchique soit un critère pertinent, il ne faut pas nécessairement que le supérieur ait été juridiquement habilité à empêcher ou à punir les actes commis par ses subordonnés. L'élément qu'il convient de retenir est sa capacité matérielle qui, au lieu de donner des ordres ou de prendre des mesures disciplinaires, peut par exemple se traduire par le fait d'adresser des rapports aux autorités compétentes afin qu'elles prennent des mesures appropriées.

Soulignons en outre que le principe de responsabilité du supérieur hiérarchique ne manque pas de poser problème quant à son application. En effet, la grande difficulté reste la mesure dans laquelle elle est engagée, d'autant plus que la preuve de son existence n'est pas facile à rapporter. Il est vrai que les cas d'imputabilité personnelle en cas de commission d'un acte criminel posé par la personne incriminée sont faciles à relever, mais il arrive que les faits soient présentés différemment et qu'il soit difficile de prouver la responsabilité de tel ou tel criminel. Mais, il est toujours possible d'établir le lien qui unit le supérieur à un subordonné. Ce lien fait généralement ressortir une responsabilité pour omission dans le cas du supérieur hiérarchique.

B. La connaissance ou les informations qui peuvent y conduire

Si le supérieur savait et si la preuve peut être apportée qu'une infraction était commise ou allait être commise par exemple parce qu'il a eu connaissance d'actes préparatoires ou de violations antérieures, le problème ne se posera pas. Dans le cas contraire, il peut se poser en revanche des problèmes d'appréciation.

Certes, la connaissance ne saurait être présumée. Cependant, cette connaissance peut être établie sur la base des moyens de preuves directs ou conjecturaux. Ainsi, par exemple, pour établir que le supérieur avait nécessairement la connaissance requise, on peut tenir compte entre autres du nombre, du type et de la portée des actes illégaux, la période durant laquelle ils se sont produits, le nombre et le type de soldats qui y ont participé, les moyens logistiques éventuellement mis en oeuvre, le lieu géographique des actes, le caractère généralisé des actes illégaux similaires, les officiers et le personnel impliqués et le lieu où se trouvait le commandant au moment où les actes ont été accomplis.

En règle générale, le défaut de connaissance ne dégage pas les supérieurs hiérarchiques de leurs responsabilités si cette ignorance est imputable à une faute de leur part. Le fait que les infractions sont de notoriété publique, nombreuses, étalées dans le temps et dans l'espace est à prendre en considération lorsqu'il s'agit de présumer que les personnes responsables ne pouvaient pas les ignorer. Si donc un commandant a exercé la diligence due dans l'accomplissement de ses devoirs mais ignore pourtant que des crimes sont sur le point d'être commis ou l'ont été, cette ignorance ne peut être retenue contre lui. Cependant, lorsque compte tenu de sa position personnelle dans la hiérarchie et des circonstances du moment, l'ignorance résulte d'une négligence dans l'accomplissement de ses devoirs, elle ne saurait constituer un moyen de défense car, ce commandant avait des raisons de savoir.

C. L'obligation de prendre les mesures pour empêcher ou réprimer l'infraction

Le principe ici est que le supérieur hiérarchique responsable informé doit agir pour empêcher ou réprimer l'infraction. Cette règle vise aussi bien les commandants directs que leurs supérieurs et exige aussi bien des actions préventives que des actions répressives. Mais elle limite raisonnablement l'obligation des supérieurs aux mesures pratiquement possibles, car il n'est pas toujours possible d'empêcher une infraction ou de punir ses auteurs.

Ces personnes violent leurs devoirs et engagent leur responsabilité si elles s'abstiennent de prendre les mesures qui s'imposent ou si, les ayant prises, elles n'en assurent pas l'application continuelle et efficace. Cette responsabilité subsiste si, ayant connaissance que les violations sont commises, elles s'abstiennent de prendre les mesures appropriées et qui sont en leur pouvoir pour les prévenir à l'avenir.

En fait, cette responsabilité qu'encourt le supérieur hiérarchique dans cette circonstance (ne pas prendre les mesures appropriées pour arrêter les actes criminels) découle d'une omission de sa part. Évidemment, les mesures à prendre dépendent du poste occupé par le supérieur. Il s'ensuit que c'est à la lumière du degré effectif de contrôle du commandant, de sa capacité matérielle, qu'il convient de déterminer si le commandant a raisonnablement pris les mesures requises pour empêcher le crime ou en punir les auteurs. Partant, dans certaines circonstances, un commandant peut s'acquitter de son obligation d'empêcher ou de punir en signalant l'affaire aux autorités compétentes.

IV. Affaire Jean-Pierre Bemba : Un Cocktail Molotov ?

Depuis l'arrestation de Jean-Pierre Bemba, le champagne a coulé dans certaines sphères politico-judiciaires du monde. Ainsi, avec ce cas que d'aucuns qualifient d'affaire du « gros poisson », la justice internationale semble être au-devant de la scène. Cela est d'autant vrai que, au regard de l'état dans lequel se trouve la justice nationale actuellement dans la plupart des pays africains concernés par les affaires devant la CPI (RDC, RCA, Soudan et Ouganda), il n'est que normal que la justice internationale soit au devant de la scène dans la lutte contre l'impunité. Tout en ayant à l'esprit que la justice internationale vient renforcer celle nationale.

Ainsi, l'on doit faire confiance aux deux échelles de la justice « nationale et internationale » car elles ne sont que les deux facettes d'une même pièce de monnaie. La justice internationale est complémentaire à la justice nationale pour que les criminels ne puissent vaquer librement et dans toute impunité à leurs besognes. Toutes concourent donc vers le rétablissement de la vérité et de la justice, car il est honteux et inadmissible de constater que malgré, l'ampleur et l'horreur des crimes perpétrés dans le monde et en Afrique, seule une poignée de responsables – dans la plupart de temps, des démunis et « petits poissons » - sont déférés à la justice.

Malheureusement, la justice internationale ne fait pas que des heureux. Il sied ici de relever que depuis cette affaire Bemba, certains observateurs estiment que la RDC est devenu un champ d'expérimentation de la CPI et les Congolais ses cobayes. L'on rétorquerait aisément qu'il n'y a pas que des Congolais et des crimes commis en RDC qui soient concernés par la CPI. Il y a le cas des Ougandais avec Joseph Kony et ses généraux, le cas du Soudan, etc. Il se pose juste un problème d'exécution de ces mandats d'arrêt internationaux ou mieux de coopération des Etats pour exécuter ces mandats. Mais au finish, n'y a-t-il pas une certaine dose politique dans la sélection et traitement des dossiers ?

La réponse à cette question est une interpellation qui vaut son pesant d'or afin qu'il n'y ait pas une justice à double ou quatre vitesses ; une justice des « blancs » et celle des « noirs ». Les tergiversations dans les affaires du Soudan et de l'Ouganda n'augurent rien de bon ! Le silence –coupable- au sujet des crimes internationaux commis en Irak, en Afghanistan, dans la bande de Gaza, etc., laisse croire que malgré la CPI, il y a encore des intouchables qui se cachent derrière le fait qu'ils ne sont pas parties au Statut de Rome pour échapper à la justice internationale. Cela suscite une question :Quid du Soudan qui n'est pas aussi Etat partie au statut de Rome ? Dans ce cas, le Conseil de Sécurité de l'ONU a usé de son pouvoir pour déférer l'affaire du Darfour à la compétence de la CPI –comme c'est permis par le Statut de Rome en matière de saisine. Est-ce une démonstration que toute chose n'est pas égale par ailleurs ? Ainsi, le cas Bemba risque de jeter de l'huile au feu si la politique influe sur la justice.

V. Que conclure alors que le dossier reste tout entier ?

Notons que l'on ne doit récolter que ce que l'on aura semé. Si nous semons la haine, les crimes, nous ne récolterons que haine et crimes. Les gouvernants et gouvernés du monde et particulièrement de l'Afrique - actuels et à venir- doivent avoir à l'esprit que nous vivons désormais dans un village planétaire où le moindre habitant des antipodes devient notre plus proche voisin. La justice pénale n'a pas été en reste et, au fil des ans, on a vu se bâtir une architecture supranationale censée prendre le relais ou, du moins, jouer les garde-fous d'une justice nationale qui n'est exempte ni de faiblesses, ni d'errements. Ainsi, ils doivent savoir que l'impunité dont ont bénéficié les auteurs des pires atrocités infligées à l'humanité, à savoir les crimes de génocide, crimes contre l'humanité, crimes de guerre, crimes de torture, n'est plus de mise. Ils seront une fois prouvés responsables des crimes sous le coup de la justice.

Toutefois, dans toutes les affaires qui sont pendantes devant la CPI, il sied pour nous tous d'avoir présent à l'esprit qu'en vertu du principe de « la présomption d'innocence » qui veut que toute personne soit présumée innocente jusqu'à ce qu'une décision de justice finale coulée en force de chose jugée ne le condamne, la libération éventuelle de qui que ce soit ne peut étonner personne. Jean-Pierre Bemba est présumé innocent car aucune décision finale ne l'a condamné. Si la Cour peut estimer que les moyens de preuve ne sont suffisants pour fonder sa conviction, il ne serait que normal que le prévenu soit relaxé. Mais, la crainte dans cette affaire est que cela ne puisse faire tache d'huile sur le plan purement politique. Ça risque de fragiliser la confiance que les peuples placent dans la justice surtout internationale. Il sied donc pour la CPI de bien examiner cette situation.

Mais, au demeurant, peut-on juger et condamner Jean-Pierre Bemba, en l'absence de sieurs Patassé et Bozizé ? Cela me fait penser à la fable de la fontaine : « tous étaient frappés, mais tous n'en mourraient pas ! »

La crédibilité de la Cour est toute dans la manière dont elle dira le droit, dans cette affaire. Il va de soi que la justice internationale soit à la hauteur des attentes des uns et autres. Attendons donc de voir dans 60 jours -soit d'ici le 15 mars 2009-, si oui ou non il « existe des motifs raisonnables de croire » que Jean-Pierre Bemba est l'auteur des crimes dont il est accusé, pour nous faire l'idée sur cette affaire qui est au carrefour de plusieurs aspirations et contradictions. Wait and see !

Notes
[1] L'audience de confirmation des charges, une innovation par rapport aux procédures pénales internationales, ne préjuge pas de la culpabilité du suspect mais vise à protéger ses droits en s'assurant que les affaires renvoyées en jugement présentent des éléments de preuve suffisants pour établir l'existence de motifs substantiels de croire que la personne a commis les crimes qui lui sont imputés.

[2] Le mandat délivré le 23 Mai 2008 fut remplacé par celui du 10 juin 2008

[3] Bien plus, le 27 mai 2008, la Chambre préliminaire III a adressé au Portugal une « décision et demande en vue d'obtenir l'identification, la localisation, le gel et la saisie des biens et avoirs » de Jean-Pierre Bemba. Le 10 octobre et le 14 novembre 2008, ladite Chambre a décidé de rejeter la demande de la défense en main levée de la saisie des biens et avoirs de M. Bemba. Elle a également ordonné au Greffier de contrôler, en consultation avec les autorités portugaises, la distribution d'un montant de 36 620 euros par mois, retiré sur un compte que détient Jean-Pierre Bemba dans une banque portugaise afin de lui permettre de répondre à ses obligations financières à l'égard de sa famille et de ses conseils. Le 25 août 2008, le Greffier a décidé à titre provisoire que M. Jean-Pierre Bemba n'est pas indigent et que, par conséquent, il ne pourra bénéficier d'aide judiciaire, totale ou partielle, aux frais de la Cour.

[4] La Juge Ekaterina Trendafilova -juge président-, le Juge Hans-Peter Kaul et le Juge Mauro Politi

[5] Le Bureau du Procureur est représenté par Fatou Bensouda et Petra Kneuer

[6] Les Conseils de la Défense sont : Nkwebe Richard Liriss, Karim Asad Ahmad Khan, Aimé Kilolo-Musamba et Pierre Legros

[7] Hague Convention, No. IV, Respecting the Laws and Customs of War on Land, October 1907, in The American Journal of International Law, supplement 90-117,1908.
[8] CICR (1999), La Répression Nationale des Violations du Droit International Humanitaire : Omission et Responsabilité du Supérieur.
[9] Louise ARBOUR et alii, (2000), Le Procureur d'une Cour Pénale Internationale Permanente, éd. Iuscrim, Freiburg im Breisgau, p. 56.

[10] Jugement du TPIY , les affaires « Pavo » et « Zenga », affaire IT-96-21T, 16 novembre 1998, par. 370.

* Maître Yav Katshung Joseph est Docteur en Droit de l'Université de Lubumbashi (UNILU)

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