Jusqu’aujourd’hui, le Sénégal ne produit que 52% de ses besoins nationaux en céréales. La facture des importations est lourde pour combler le déficit. Elle est donc prometteuse cette volonté à inverser la tendance à travers l’initiative "Zéro importation de riz à l’horizon 2017" Cependant, une discrimination positive doit être faite au profit des opérateurs nationaux, au risque de confier notre alimentation à des privés : ce qui serait grave pour le pays et notre économie.
En juin 2014, le chef du gouvernement déclarait, au sortir d’un Conseil interministériel sur le consommer local, que « la promotion des produits locaux est une priorité du gouvernement du Sénégal et elle retient toute l’attention de Macky Sall, président de la République ». C’est une bonne option parce qu’il appartient à l’Etat, dans sa mission régalienne, de protéger ses citoyens et, dans le cas d’espèce, ses agriculteurs, ses paysans. Il lui appartient surtout de promouvoir les produits « made in » Sénégal et fait par des Sénégalais.
Cette option salutaire confirme que le volontarisme d’Etat, s’il est accompagné des moyens et mesures nécessaires, peut bien inverser le spontanéisme populaire. Nous parlons de spontanéisme populaire parce que l’ouverture des marchés résultant de la libéralisation de l’économie a contribué au changement des habitudes d’achat des consommateurs sénégalais qui préfèrent les produits importés aux produits nationaux. Pourtant, avec le gel des importations d’oignon, les consommateurs sénégalais ont bien consommés l’oignon local, permettant ainsi aux professionnels sénégalais de l’oignon de produire davantage, de vendre davantage et de gagner davantage financièrement.
En effet, la régulation des importations a permis à la fois une hausse de la production local, de 70 000 tonnes en 2003 à 120 000 tonnes en 2007, mais aussi des niveaux de prix aux producteurs, de 75-100 FCfa/kg à 125-175 FCfa/kg. Ce bel exemple sur l’oignon, même s’il reste à parfaire, devrait servir de socle pour bâtir des modèles performants et viables du système alimentaire sénégalais, ou bien de notre économie agricole.
Les économistes, les organisations de la société civile et autres observateurs ont fini de montrer que sur le marché international les produits de l’agriculture sénégalaise n’ont pas les moyens de concurrencer ceux provenant des produits occidentaux ou des pays dits développés. Par exemple, pour un produit importé vendu sur le marché sénégalais à 100 F l’unité, son producteur basé en Europe gagne peut-être 200 F grâce au système de subvention mis en place par son pays. Il est donc globalement plus cher que celui du Sénégalais vendu sans soutien à 125-140 F. Cette situation a découragé les acteurs nationaux occasionnant ainsi la baisse et l’insuffisance de leur production.
Jusqu’aujourd’hui, le Sénégal ne produit que 52% de ses besoins nationaux en céréales. La facture des importations est lourde pour combler le déficit. Elle est donc prometteuse cette volonté à inverser la tendance à travers l’initiative "zéro importation de riz à l’horizon 2017" : des sommes immenses sont annoncées pour permettre à ce rêve de devenir réalité. Des retombées positives indéniables sont attendues pour la balance commerciale du pays, pour les revenus des acteurs et aussi sur l’apaisement du climat social, pourvu que ces acteurs soient des nationaux, des agriculteurs, ou mieux, des paysans qui constituent quand même un effectif très important des actifs du pays.
En effet, c’est à ce niveau que se trouve la grande crainte pour de nombreux Sénégalais ayant un regard critique sur les orientations du pays. Est-ce que le programme de production de riz profitera aux Sénégalais autant que l’oignon ?
En novembre 2013, suite à la publication du classement "Doing business" qui nous classait 178ème sur 189 pays, nous avions alerté l’opinion pour dire : ce n’était que de la combine avec la Nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition (Nasan). Cette alliance également appelée Nouvelle alliance G8 (NaG8), dont le Sénégal est signataire avec quelques autres pays africains, promeut l’ouverture de nos économies aux multinationales. On le sait, ces dernières ne sont motivées que par le gain, l’environnement et la stabilité sociale étant négligés et non considérés.
Nous disions aussi que l’autre face (revers) de l’Acte 3 de la décentralisation est la facilitation de l’accaparement des terres. En effet, à côté des systèmes traditionnels selon qu’il s’agisse de zone urbaine, rurale, pionnière ou classée, les systèmes de gestion foncière multiples ont constitué un grand obstacle pour les "investisseurs"». La communalisation globale devra alors uniformiser le système de gestion foncière. Ce qui conforte les réformes foncières dictées par la NaG8. A ce jour, l’Assemblée parlementaire francophone est l’organe par lequel ces réformes doivent passer partout et en même temps en Afrique francophone et ensuite sur le continent.
Figurez vous bien, une des propositions phares de cette Assemblée est la mise en place de Titres simplifiés sécurisés (Tss) pour mettre fin à la "nébuleuse" existante sur le droit foncier en Afrique, que ce soit à usage d’habitation ou agricole. Le Tss sera donc un titre de propriété foncier officiel, qui exclura l’Etat de l’administration des terres au profit des communes. Cette proposition est vieille de plus de 12 mois et permet donc de comprendre aisément certaines motivations de l’acte 3 de la décentralisation qui a été accélérée.
Ainsi, étant donné que les réformes foncières sont des engagements pris dans le partenariat avec la NaG8 et que la facilitation de création d’entreprises est un des critères phares du "Doing business", ne serait-on pas tenté de dire que le "grand bond" du Sénégal, de la 178ème à la 161ème, est le résultat de manigances faites entre quatre murs ? La signature par l’Etat des Accords de partenariat économique (Ape) constitue un élément qui permet de répondre par l’affirmative. Pourtant ces mêmes Ape ont été rejetés, il y a dix ans environ, pour des motifs qui restent encore valables.
Il est évident que la plupart des communes, celles situées en milieu rural où existe encore des terres cultivables, n’ont pas la force institutionnelle pour résister à l’offensive de l’agrobusiness. Elles deviennent alors très vulnérables face aux offres tentantes de ces multinationales. La société civile locale, également moins organisée et outillée ne fera que constater les dégâts quelques années plus tard. Car au moment des accords entre leur collectivité et les multinationales, les élus brandiront tout haut le succès d’avoir attiré des "investisseurs" dans la localité.
De tels actes se produisant presque simultanément dans diverses contrées du pays, les forces sociales nationales et les organisations paysannes (société civile), principalement concentrées à Dakar n’auront pas non plus les moyens de se présenter sur plusieurs front. Jusque là, cette société civile à su défendre les communautés parce qu’il fallait directement s’adresser à un seul interlocuteur : l’Etat. Avec les Tss il faudra qu’elle parle à plusieurs élus locaux. Mais quelle sera la légitimité de la société civile nationale dans des affaires locales ?
De toutes les façons, le Sénégal dispose de bras valides et d’esprits fertiles à revendre. Les orientations et engagements pris pour l’autosuffisance en riz doivent se faire en premier et en dernier avec les Sénégalais. Le consommateur sénégalais de son côté doit acheter cette production de proximité par devoir de patriotisme, car en même temps il soutient son parent qui travail dans l’agriculture et limite ainsi l’exode rural tout en promouvant La production n’a jamais été le faible des paysans sénégalais. Dans le Saloum et ses alentours les paysans ont un professionnalisme enviable en matière de production d’arachide et de mil. Au niveau de la vallée du Fleuve, les paysans n’ont plus rien à prouver dans la production de tomate et d’oignon et les rendements en production de riz ont atteint par endroit un record mondial. Dans l’Anambé et en Casamance des variétés spécifiques sont en train de faire leur preuve dans un contexte spécifique plein de potentialités.
Par obligation et par devoir, le soutien de l’Etat doit être orienté vers les aménagements, la gestion de la fertilité et les technologies post récolte. Combien l’Etat dépense pour importer du lait ? Quel volume de lait est déversé chaque année dans la zone pastorale ? Quelles quantités de mangues, de tomates, d’oignons…, sont jetées chaque année faute de moyen de conservation/transformation ? Combien de Sénégalais évitent de manger les céréales locales parce qu’elles sont parfois mal transformées, mal conservées ou mal emballées ?
Pendant longtemps, des moulins sont remis aux groupements féminins dans le but d’alléger leurs travaux ou, récemment, pour améliorer leurs revenus mais avec un soubassement politique. Du fait des nouveaux enjeux alimentaires mondiaux, ces femmes devraient être un vrai levier pour faire face. Elles maîtrisent une bonne partie de la chaîne de valeur et la technique ; il suffit de les renforcer en allant vers un pallier supérieur du processus de transformation et de conditionnement, tout en mettant un dispositif normatif pour les questions d’hygiène applicable partout au Sénégal. Car les Sénégalais et les Sénégalaises doivent également consommer des produits de qualité comme ceux qui sont exportés selon un cahier de charges qualité bien clair.
Toutes ces potentialités et initiatives ne s’auraient prospérer sans un accès adéquat à la terre. Personne d’autre, qui qu’elle soit, ne mérite davantage de soutien et de facilitation pour exploiter la terre plus que les Sénégalais et les Sénégalaises.
Enfin, le consommer local ne doit pas seulement se limiter à la promotion du riz local ; le mil, le sorgho, le maïs, le niébé… sont autant d’autres cultures qui rentrent bien dans le registre culinaire sénégalais et qui doivent être aussi appuyées. La diversité alimentaire, surtout lorsqu’elle est basée sur des produits locaux, est une des meilleures issues de sécurité et de secours pour pallier les pénuries alimentaires, les aléas climatiques…
Qu’est ce qui empêche l’Etat sénégalais à obliger les boulangers à intégrer les céréales locales (mil, maïs, sorgho,…) dans une certaine proportion) dans la fabrication du pain ? Cette décision va avoir des effets majeurs dans la balance des paiements. Elle va en plus booster notre agriculture, et réduire fortement le chômage des jeunes. Les domaines agricoles communautaires peuvent être des partenaires stratégiques. L’Inde, un des quatre principaux pays émergents du monde, a intégré le mil, avec brio dans son système alimentaire. Pourquoi pas le Sénégal émergent ?
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** Famara Diédhiou, Fahamu Africa, Secrétaire général de la Plateforme nationale pour l’agriculture écologique et biologique
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