En tenant l’élection présidentielle dans la foulée de sa victoire militaire contre les « Jihadistes », la France entretenait l’espoir de voir les forces « anti putschistes » les gagner et pouvoir ainsi continuer à positionner les rebelles du Mnla. Mais ce jeu des Français visant à servir leurs intérêts dans le Nord du Mali s’est heurté
Contrairement à la Tunisie et à l’Egypte, ce n’est pas le sort de la République démocratique et laïque qui est en jeu au Mali, mais bel et bien l’existence de son Etat dans ses frontières de 1960, héritées du colonialisme, et la préservation de sa souveraineté internationale. Pour la seconde fois depuis la création de l’Oua, les peuples africains, après le Soudan, sont confrontés à la remise en cause du sacro-saint principe d’intangibilité des frontières héritées du colonialisme. Cette fois, c’est le Mali qui est ciblé avec la complicité de l’organisation continentale, l’Union africaine (Ua), dont la raison d’être est pourtant de conduire nos Etats à l’unité continentale à partir de ces mêmes frontières internationalement reconnues.
Comment en est on arrivé là au Mali ?
L’agression de la Libye par les forces de l’Otan, menées par la France et la Grande Bretagne, avec l’appui des Etats Unis, a servi de prétexte à la France, sous Sarkozy, de mettre en œuvre ce vieux projet colonial de création d’un Etat souverain au Nord du Mali, que porte aujourd’hui le Mouvement de Libération nationale de l’Azawad (Mnla), au nom du peuple touareg, que l’on retrouve aussi au Sud de l’Algérie et au Nord du Niger. Ce mouvement a été créé de toutes pièces pour réaliser le vieux rêve du néocolonialisme français dans le but stratégique de protéger les intérêts énergétiques de la France dans cette partie de l’Afrique qui regorge de pétrole et, surtout, qui abrite, au Niger, l’uranium exploité par Areva pour fournir 40% de l’électricité consommée en France.
Cet uranium fait de la France une grande puissance nucléaire et le principal exportateur de cette énergie, sans avoir dans son sous-sol un site quelconque de cette ressource. Les autorités maliennes ont toujours opposé une fin de non-recevoir à la France qui, depuis longtemps, voulait occuper, à cet effet, la plus grande base militaire de cette région, Tessalit. Le Mnla, dont le porte-parole réside à Paris, s’est récemment allié avec des islamistes venus de Lybie avec armes et bagages, dans une agression militaire contre le Mali. Agression qui avait tourné rapidement à l’éviction du Mnla du Nord-Mali, par ses alliés qui nourrissaient le projet de faire de cette zone leur sanctuaire pour réaliser leur projet de « société islamiste » en Afrique.
C’est grâce à l’intervention du Burkina, pour exfiltrer les dirigeants du Mnla et leur donner asile à Ouaga, que ce mouvement a pu survivre pour devenir, aujourd’hui, une force militaire occupant Kidal avec la bénédiction de l’armée française.
L’armée française, qui est intervenue au Mali pour arrêter l’avancée dangereuse des islamistes vers Bamako, a interdit formellement l’armée malienne de participer à la libération de cette partie de son territoire national. Pour cela, Paris a orchestré une campagne sournoise contre l’armée malienne, accusée d’exactions et même de « crimes racistes » contres les Arabes et autres Touaregs, soupçonnés d’avoir soutenu le Mnla et les Jihadistes ! Cette campagne, fortement appuyée par de nombreuses organisations humanitaires françaises et d’Occident, était parvenue à faire accepter à l’opinion internationale que la lutte du Mnla est une lutte de libération nationale pour justifier un droit à une sécession.
La France ne serait pas parvenue à transformer la rébellion du Mnla en mouvement légitime de libération nationale sans la complicité active du Burkina, bombardé « médiateur » dans la crise au Mali, de la Côte d’Ivoire, qui était à la tête de la Cedeao, et du Benin, qui dirigeait l’Ua. La partition du Burkina dans ce complot contre l’intégrité territoriale du Mali et sa souveraineté ne s’est même pas cachée : en effet, ce pays a donné refuge et appui aux dirigeants du Mnla, pourchassés par leurs ex-complices islamistes et inculpés officiellement par les autorités de la transition du Mali pour atteinte à l’intégrité de leur territoire, collision avec les « Jihadistes » dans leur agression contre le Mali et pour crimes perpétués dans le territoire malien. Celle de la France a été encore plus évidente lorsqu’elle a permis au Mnla de réoccuper militairement Kidal et lorsqu’elle a empêché l’armée malienne de participer à la libération de cette partie de son territoire.
Au plan international, la France est parvenue à instrumentaliser la Cedeao et l’Ua pour affaiblir et isoler l’armée malienne, coupable à ses yeux d’avoir renversé le pouvoir défaillant du président ATT pour créer les conditions de reprise en main de l’Etat et défendre sa patrie agressée et meurtrie, mais abandonnée à son sort pour des préoccupations électoralistes de fin de mandat. Cette réaction patriotique du 22 mars 2012 de l’armée malienne était ainsi présentée par la France, la Cedeao, l’Ua et les Etats Unis comme une remise en cause des acquis démocratiques du peuple malien qu’il fallait régler en boutant les putschistes hors du pouvoir avant toute libération du Mali de ses agresseurs.
Cette position africaine et occidentale a encouragé les partisans du président déchu et ceux qui étaient frustrés par ce frein à leur ambition de conquête du pouvoir, à créer un front « anti putschiste » pour rétablir l’ordre constitutionnel, traduire les putschistes en justice, et organiser de nouvelles élections. C’est pour cela que ce front a appuyé les sanctions imposées par la Cedeao contre le gouvernement provisoire. Ces sanctions visaient à affaiblir l’armée, sans égard pour l’avancée des « jihadistes» dans leur conquête du Mali. Ce front montrait ainsi que, dans ses préoccupations, le risque de partition de leur pays par les « Jihadistes » venait bien après la satisfaction des ambitions personnelles de conquête du pouvoir !
Ainsi, avant de tenir de nouvelles élections, le peuple malien était placé devant le choix : libérer d’abord le pays des envahisseurs ou, d’abord, bouter les militaires hors du pouvoir ! Les « anti putschistes » choisirent la seconde alternative, de concert avec la France, l’Ue, la Cedeao et l’Ua, alors que les « pro putschistes », forts de leur contrôle du gouvernement de transition, avaient choisi la première alternative. Cependant, tous les efforts de la Cedeao pour rassembler et déployer une force armée sous régionale pour chasser les putschistes et rétablir l’ordre constitutionnel se heurtaient à des réticences de chefs d’Etat de la sous région comme le Ghana, la Guinée et le Sénégal avec l’arrivée de Macky Sall au pouvoir.
De même, ces efforts, appuyés par l’Ua et la France, pour un soutien des Nations unies à une intervention d’une force militaire africaine se heurtaient aux divergences d’appréciation entre la France et les Etats Unis, ainsi qu’au refus de la Chine et de la Russie, échaudés par l’agression de la Libye sous couvert de leur feu vert au Conseil de sécurité de l’Onu. En effet, pour la France, marquée par l’expulsion du Mnla du Nord-Mali par les « Jihadistes », il fallait les chasser tous, alors que les Etats Unis faisaient une distinction entre « islamistes modérés », qu’aurait représenté Ansar Dine, qui devait faire partie de la solution d’une négociation de sortie de crise, et « islamistes radicaux » qu’auraient incarné le Mujao et Aqmi, qu’il fallait isoler et chasser du territoire malien. Les Etats Unis ne voulaient pas tenir compte du fait qu’Ansar Dine, en chassant le Mnla, devenait la véritable entrave aux projets géostratégiques de la France, une fois que les militaires maliens seraient chassés du pouvoir.
L’incapacité de la Cedeao à mobiliser une armée africaine et les contradictions géostratégiques entre la France et les Etats Unis ont contribué, par le maintien de leurs sanctions contre les nouvelles autorités du Mali, à enfoncer le pays dans la crise et à revigorer les islamistes qui ont repris du poil de la bête après avoir sanctuarisé le Nord-Mali (Kidal, Toumbouctou, Gao). C’est ainsi qu’ils lancèrent une nouvelle offensive vers Bamako sans comprendre que la France venait de changer de main avec l’arrivée au pouvoir du socialiste Hollande.
LES NOUVELLES AUTORITES FRANÇAISES FACE A LA CRISE AU MALI
La nouvelle offensive « jihadiste » vers Bamako a vite fait comprendre à François Hollande le danger que représente, pour les intérêts stratégiques de la France, l’extension du pouvoir d’Ansar Dine jusqu’à Bamako, dans un contexte où la Cedeao est incapable de réagir militairement. D’où sa décision unilatérale de lancer l’« Opération Serval » qui, en coopération avec l’armée malienne et d’autres forces africaines, a permis de bouter dehors les islamistes, prenant ainsi le contre pied des espoirs des « anti putschistes » et des « hommes lige » de l’Etat français à la tête de la Cedeao et de l’Ua. Cette offensive contre les jihadistes a présenté la France comme un pays libérateur du Nord-Mali.
La France fut ainsi saluée et adulée par les populations du Mali, notamment celles du Nord, et soutenue par tous ceux qui, en Afrique et dans le monde, avaient conscience du danger de transformer le Mali en « sanctuaire jihadiste ». Mais en même temps, l’armée française, soutenue par le Burkina, préparait le retour à Kidal du Mnla, en empêchant l’armée malienne de se déployer partout au Nord, sous prétexte de « violations de droits humains » que les « droit-de-l’hommistes » lui collaient au dos, en occultant que c’est le Mnla qui en était accusé, et que certains de ses dirigeants faisaient l’objet de mandats d’arrêt émis par les autorités judiciaires du Mali.
Mais devant la détermination du gouvernement de transition, sous l’influence des « pro putschistes », la France dût accepter, comme préalable à la tenue de nouvelles élections, le retour de l’armée et de l’administration malienne à Kidal. Ce fut alors, pour l’armée malienne et les « pro putschistes », une très grande réhabilitation devant ceux qui exigeaient leur départ et leur poursuite judiciaire avant la tenue de nouvelles élections.
Cette victoire était cependant amoindrie par l’obligation que la France, appuyée par le Burkina, leur avait fait d’accepter le cantonnement du Mnla à Kidal, avec armes et bagages, sous la supervision de forces armées onusiennes, y compris de l’armée française. La France était ainsi parvenue à garder un « marron au feu » pour, après les élections, peser sur les négociations de paix au Mali.
C’est dans ces circonstances que le premier tour de l’élection présidentielle s’est tenue le 28 juillet 2013 sur toute l’étendue du territoire malien, sur insistance de la France soutenue en cela par les « anti putschistes » pressés d’avoir l’occasion d’accéder au pouvoir. La France était convaincue qu’il fallait battre le fer quand il est chaud. En tenant l’élection présidentielle dans la foulée de sa victoire militaire contre les « Jihadistes », elle entretenait l’espoir de voir les forces « anti putschistes » les gagner pour avoir longtemps essayé de se présenter à l’opinion malienne comme les défenseurs de la démocratie et de l’Etat de droit contre les « pro putschistes », présentés comme leurs fossoyeurs. Elle croyait que les jeux étaient déjà faits en faveur des « anti putschistes » dès le premier tour. Et c’est pour cela qu’elle se démenait, comme un beau diable, pour vaincre le scepticisme ambiant dans l’opinion française et africaine quant à la fiabilité du système électoral et le déroulement du processus électoral dans la paix. Pour la France, il fallait juste exiger la nécessité pour les candidats d’accepter les résultats, malgré quelques problèmes inévitables dans un pays qui sort d’une crise aussi grave.
Mais les résultats du premier tour étaient décevants pour la France puisqu’ils donnaient une très large avance au candidat « pro putschiste » que les premières tendances donnaient même gagnant à ce stade de la compétition. Ces premiers résultats avaient jeté le désarroi dans le camp des « anti putschistes », parmi lesquels Soumaïla Cissé, arrivé second. Ce dernier, contrairement à ses engagements pré-électoraux, remettait en cause, comme tête de fil de ce camp, les résultats, en dénonçant des fraudes massives. Ainsi, le système électoral présenté comme fiable à forte dose de propagande par la France, devint subitement non fiable, installant ainsi les germes de la contestation des résultats du second tour. Cependant, le système est suffisamment fiable puisqu’il a été en mesure de déceler des bulletins de vote à annuler à hauteur de 11% du suffrage exprimé et les a écartés des résultats publiés. Une telle performance devrait plutôt renforcer la confiance en ses capacités. Il ne faut pas entretenir un climat de suspicion pour fonder des contestations ultérieures et créer au Mali, le « scénario ivoirien », de triste mémoire, d’autant plus que c’est le sinistre général Saint Quentin, qui s’est tristement illustré dans le génocide rwandais, qui est aux commandes de l’Armée française au Mali.
La France et les « anti putschistes », qui voulaient donner à ces élections un enjeu démocratique, ont été surpris par la réaction du peuple malien, qui a fait de ce scrutin un enjeu de libération complète de leur territoire et de recouvrement de leur souveraineté. D’où leur vote massif à l’étranger pour le candidat du camp des « pro - putschistes », incarné par Ibrahima B. Keïta (Ibk), et dans sept des neuf circonscriptions électorales du pays. Mais, contrairement à ce que la presse française a voulu faire croire, ce vote du peuple malien n’a pas été un vote entre Sud et Nord, puisque la région de Kidal et celle de Gao, qui sont les épicentres du territoire dit de l’Azawad, ont été gagnées respectivement par Ibk, avec 30,66% du suffrage exprimé, contre 18,89% pour Soumaïla Cissé et 33,36% contre 29,86% ! Cette volonté de la France, y compris de sa presse, de montrer, par tous les moyens et à toutes les occasions, l’existence d’un Nord-Mali hostile au Sud, est le facteur déterminant de la crise qui a secoué ce pays depuis les premières attaques du Mnla contre l’Armée malienne.
Les atrocités infligées par le Mnla à l’armée malienne à Aguelhok, sous les yeux impuissants de l’ancien président du Mali, avaient tellement choqué le peuple malien que l’ancien président fut renversé par un putsch dont le but était de faire face à cette rébellion armée. Cette responsabilité de la France est encore plus évidente après ce premier tour de l’élection présidentielle, pour avoir permis à Moussa Ag Assarid, le représentant du Mnla, de déclarer, ce 3 août, depuis la Corse : « Nous allons proposer, après les soixante jours de négociations prévus dans le cadre de l'accord préliminaire à la présidentielle qui prévoit un cessez-le-feu, un projet d'autonomie au pouvoir central de Bamako, ...Nous continuons le combat de façon démocratique, mais, s'il le faut, nous reprendrons les armes».
Devant le risque que le vent tourne, très discret au premier tour, le Mnla a ainsi été autorisé à prendre date avant la tenue du second tour, avec cet aveu de taille : «Son mouvement a quelque chose à négocier avec la France sur la base de l'expérience de ceux qui ont été sur le terrain » ! Il est donc clair que si le Mnla entravait les objectifs géostratégiques de la France au Mali, il allait subir le même sort que Mme Aminata Touré et de M.Oumar Mariko. Le gouvernement socialiste français avait refusé l’entrée en France à ces derniers, qui avaient compris très tôt la double facette de l’«Opération Serval », qui est celle de « chasser les islamistes pour installer les sécessionnistes », et pour avoir ouvertement condamné la France pour cela.
Donc, tous ceux qui tiennent à l’intégrité territoriale du Mali et au recouvrement de la souveraineté de son peuple, au Mali et partout en Afrique, devraient se mobiliser pour barrer la route aux projets funestes de la France dans ce pays avec la complicité évidente des « anti-putschistes » sous la houlette de Soumaïla Cissé.
Cette bataille de la deuxième indépendance du Mali devrait donc être celle de tous les « pan-africanistes » comme étant un signal fort en direction des pays francophones d’Afrique qui continuent, cinquante ans après les indépendances, d’être soumis à la tutelle économique et politique de la France, par le biais de leur « Compte d’Opération » au sein du Trésor public de la France, dans le cadre de la Zone franc et de la Francophonie. Le deuxième tour des élections du 11 Août au Mali nous interpelle tous, Africains et Français !
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** Ibrahima Sène est membre du Parti africain pour l’indépendance/ Sénégal
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