De L’appréciation du Critère de «L’influence Déterminante» dans la Gestion du présent Contentieux Electoral en RDC

Les élections en RDC font l’objet de contestation de la part du camp du candidat malheureux Jean-Pierre Bemba, Me Joseph Yav Katshung apporte un éclairage sur la question en révélant que « la jurisprudence en matière de contentieux électoral a toujours été dominée par le principe dit de l'influence déterminante : En vertu de ce critérium fondamental, le juge de l'élection ne prononce l'annulation d'une élection que si les faits invoqués par le requérant ont eu une incidence directe certaine, une influence suffisante pour fausser le résultat du scrutin ».

Il est sans conteste que les élections constituent un des piliers de la démocratie. Elles sont également dans certains cas, comme celui de la RDC, l’aboutissement d’une longue période de transition, marquant la fin des pouvoirs illégitimes. C’est dans ce contexte socio-politique que le peuple congolais s’est rendu massivement aux urnes en juillet et octobre 2006, pour élire le futur président de la république.

En effet, aucun candidat n’ayant obtenu plus de 50% des voix après le premier tour des élections du 30 juillet 2006, le second tour de l’élection présidentielle avait été organisé le 29 octobre 2006 entre le président Joseph Kabila et le vice-président Jean-Pierre Bemba. Après l’annonce des résultats provisoires par la Commission Electorale Indépendante (CEI), le 15 Novembre 2006, Jean-Pierre Bemba contestera lesdits résultats et déposera le 18 Novembre 2006, un recours - à la Cour Suprême de Justice - contre lesdits résultats qui donnent le président sortant Joseph Kabila vainqueur avec 58,05% des suffrages exprimés.

Selon la loi électorale, la Cour Suprême de Justice est chargée de proclamer les résultats définitifs et dispose de sept jours ouvrables à compter de sa saisine pour rendre ses décisions, puis proclamer les résultats. Le présent article essaie de réfléchir sur le principe de « l’influence déterminante », le critérium fondamental dont se servira le juge électoral (la Cour Suprême de Justice) pour trancher ce contentieux électoral. Il essaie aussi, d’éclairer le juge électoral, les parties au procès et la population Congolaise de l’incidence des « présumées » fraudes et irrégularités sur la décision définitive du juge électoral et l'issue des élections. Tout en notant que la présente réflexion ne préjuge pas du fond du contentieux.

I. CONFLITS ET CONTESTATIONS AU RENDEZ-VOUS ELECTORAL

A chaque étape de l'élection - avant, pendant, après... -, des irrégularités peuvent se commettre. Cela va de la falsification des listes électorales jusqu'aux faits de propagande mensongère, en passant par les erreurs dans le décompte des bulletins ou le dépassement des comptes de campagne. Ainsi donc, les violences, les fraudes et les altérations à la sincérité ont toujours été au rendez-vous électoral aussi bien en Afrique qu’ailleurs.i

L'histoire et l'actualité montrent que les élections même dans les démocraties libérales établies, ne sont pas toujours conformes à l'idéal démocratique. Les élections peuvent donc, générer des conflits et même amener aux guerres, comme ce fut le cas de l’Angola en 1992, de la Côte-d'Ivoire depuis 1999, Madagascar en 2001-2002, Togo en 2005, etc.ii

Fort de ce qui précède,d’aucuns n’hésitent plus à affirmer que les élections, considérées comme une voie privilégiée de sortie de crises et d'expression du pluralisme retrouvé, se voient attribuer la responsabilité des tensions voire des ruptures de consensus qui affectent la vie politique en Afrique.iii

Notons que le danger des conflits liés aux élections est spécialement haut dans les sociétés qui sortent des situations des conflits et guerres et dans lesquelles les démocraties sont jeunes et fragiles. Tel est le cas de notre pays. Le problème le plus souvent demeure dans la nécessité de garantir la transparence du processus électoral et de gestion du contentieux afin de renforcer l’acceptation et la crédibilité des résultats électoraux.

II. LE ROLE DE LA COUR SUPREME DE JUSTICE DANS LA GESTION DU CONTENTIEUX ELECTORAL EN RDC

L’instauration de l’Etat de droit est une exigence constitutionnelle qui occupe une place de choix dans les préambules de plusieurs constitutions et, la RDC ne fait pas exception. Le corollaire de cette exigence étant la tenue régulière d’élections libres, transparentes et sincères.

La Constitution de Transition de la RDC du 4 avril 2003, en son article 150, donne compétence à la Cour Suprême de Justice pour juger du contentieux des élections présidentielles et législatives, ainsi que du référendum. De même, la nouvelle Constitution de la RDC passée au referendum les 18 et 19 décembre 2005, donne à son article 161, la compétence à la Cour constitutionnelle de juger du contentieux des élections présidentielles et législatives, ainsi que du référendum.

C’est fort de son mandat qu’elle (la CSJ) a été saisie par Jean-Pierre Bemba et son recours porte notamment sur les "votes par dérogation", le "bourrage des urnes", le "taux de participation" jugé surévalué dans les provinces de l'est acquises à Joseph Kabila, "l'inégalité des moyens de campagne", la "falsification des résultats" et l'"empêchement des témoins d'accéder aux bureaux de vote".

La Cour devra donc se prononcer sur ce recours et elle peut "annuler le vote en tout ou en partie. Mais, pour le faire, les irrégularités retenues devraient avoir une influence déterminante sur le résultat du scrutin.

III. PRINCIPE DE « L’INFLUENCE DETERMINANTE » : CRITERIUM FONDAMENTAL DONT SE SERT / SERVIRA LE JUGE ELECTORAL

Il est une réalité que les questions litigieuses de droit électoral sont dans la plupart de cas examinées par une institution qui est investie de la fonction de juger. Celle-ci statuera, comme il se doit, selon des impératifs proprement juridiques. Elle rendra des décisions revêtues de l'autorité, en principe absolue, de chose jugée.

Ainsi, la solution juridictionnelle est souvent préférée dans l’examen des litiges ou contestations afférents au déroulement, au recensement ainsi qu'aux résultats des opérations électorales. Ainsi, dans la gestion des prétentions des parties en présence, le juge de l'élection se pose les questions suivantes :

- Les irrégularités alléguées s'avèrent-elles constantes ?
- S'analysent-elles en manœuvres frauduleuses ?
- Si oui, ont-elles été de nature à altérer la sincérité du scrutin, et à modifier son issue ?

C'est selon la réponse à de telles interrogations que le juge de l'élection sera en mesure d'adopter la solution requise par l'espèce sous examen. A ce sujet, Bruno Genevois relève que : « L'office du juge de l'élection est de vérifier si telle ou telle irrégularité a été ou non de nature à altérer la liberté ou sincérité du scrutin…. Le Juge dispose d'une marge d'appréciation. Il prend en compte l'ampleur des irrégularités, les comportements respectifs des candidats en lice et l'importance des écarts de voix les séparant. »iv

Le Juge de l'élection dispose ainsi d'une grande latitude d'appréciation des conséquences qu'il doit tirer des anomalies relevées. Il est conduit principalement à rechercher quelles ont été les incidences effectives de l'irrégularité sur les résultats du scrutin, car, dans ce domaine spécifique, la simple constatation d'une violation ou méconnaissance formelle des textes légaux ne saurait suffire pour justifier nécessairement le prononcé d'une annulation de l'élection ou du jugement y afférent.v

En tout état de cause, la jurisprudence en matière de contentieux électoral a toujours été dominée par le principe dit de l'influence déterminante : En vertu de ce critérium fondamental, le juge de l'élection ne prononce l'annulation d'une élection que si les faits invoqués par le requérant ont eu une incidence directe certaine, une influence suffisante pour fausser le résultat du scrutin.

En matière de contentieux électoral, le juge ne doit pas confondre le jugement à porter sur des actes illicites, immoraux, délictueux, avec le jugement même de l'élection. En cas de fraude, le scrutin n'est annulé que si celle-ci a eu une influence sur le résultat, le juge électoral n'étant pas juge de la moralité du scrutin mais de sa sincérité et donc de l'adéquation entre le résultat proclamé et la volonté majoritaire librement exprimée des électeurs.

Ainsi, il ne suffit pas que le processus des opérations électorales soit, par endroits, émaillé d'irrégularités formelles ou de dysfonctionnements, pour faire annuler les résultats des élections. Il faut que ces irrégularités formelles ou de dysfonctionnements aient pu exercer une incidence déterminante sur l'issue des élections, de nature à altérer les scrutins ou à en fausser les résultats.

Par exemple, l’élection peut-être valable quoiqu'on y relève des cas isolés de corruption ou d'abus d'influence, lorsqu'il est avéré qu'ils n'ont pu agir que sur un nombre restreint d'électeurs, et que l'annulation de leurs suffrages, en les supposant acquis à l'élu, ne l'empêche pas de conserver une majorité appréciable. C'est la raison pour laquelle l'écart de voix joue souvent un rôle décisif dans ce type de contentieux. Cependant, en cas de manoeuvres frauduleuses massives, l'atteinte à la sincérité du scrutin est présumée.

QUE CONCLURE ?

Il faut reconnaître que le travail du juge électoral est un exercice délicat en soi; il l'est particulièrement lorsqu’en dépend le cours d'une évolution politique ou l'issue d'un conflit que les acteurs politiques n'ont pu ou n'ont voulu régler,vi tel est le cas de la RDC. A juste titre, quelqu’un pourrait se poser la question pertinente: celle de savoir si les juges des élections ne se trouvent pas investis de compétences et de pouvoirs disproportionnés à leurs moyens et à leur statut mais aussi aux conséquences politiques que peuvent engendrer leurs jugements dans un contexte démocratique encore fragile.

Ainsi, les magistrats chargés de la gestion du contentieux électoral, doivent se rendre compte qu’une responsabilité importante pèse sur eux. La Cour Suprême de Justice, ce lieu stratégique où se croisent élections et démocratie doit faire montre de sa neutralité, impartialité, indépendance, compétence et dévouement afin de départager les deux parties. En toute objectivité, un seul critère doit guider les magistrats de la CSJ: L’influence déterminante.

Aussi, pour que la RDC renaisse de ses cendres tel qu’un phoenix, les deux parties (Joseph Kabila et Jean-Pierre Bemba), y compris le public, doivent se plier et accepter le verdict de la Cour Suprême de Justice.

Notes:

(i) Il est sans conteste que le recours aux élections, n'est pas aujourd'hui sans rencontrer des réserves et susciter des appréhensions. Les difficultés semblent parfois empirer si l'on en juge par la gravité des crises liées à l'organisation de certains scrutins.

(ii) Pour une comparaison des élections et des conflits liés aux élections en Afrique australe, lire TOM LODGE, DENIS KADIMA, DAVID POTTIE. (eds), Compendium of Election in Southern Africa (Johannesburg: EISA, 2002), p.9- 30. In Angola, the opposition group UNITA restarted fighting in the aftermath of the elections of 1992. Opposition leader Jonas Savimbi refused to accept the defeat against MPLA leader Eduardo dos Santos, who has ruled Angola until now. Other examples like the Ukraine, Kyrgyzstan, Togo or Ethiopia provide more recent
evidence of the conflict potential of elections.

(iii) Professeur JEAN DU BOIS DE GAUDUSSON, « Les élections à l'épreuve de
l'Afrique », in Cahiers du Conseil constitutionne,l n° 13, Études et doctrine, La sincérité du
scrutin, p.34

(iv) BRUNO GENEVOIS, « Le nouveau rôle du juge de l'élection », in Revue Pouvoirs, n°70 - septembre 1994 - Pages 69-71

(v= Intervenant dans une matière qualifiée de plein contentieux spécialisé, autrement dit d'un contentieux mixte dans le cadre duquel l'appréciation de la légalité ne saurait être dissociée de celle des faits.

(vi) Sur ces questions, cfr. Aspects du contentieux électoral en Afrique, Organisation internationale de la francophonie, 1998; ALIOUNE FALL, " Le juge, le justiciable et les pouvoirs publics: pour une appréciation concrète de la place du juge dans les systèmes politiques en Afrique ", in Les défis des droits fondamentaux, sous la dir. de J.-Y. MORIN et G. OTIS, AUF, éd. Bruylant, Bruxelles, 2000

*Me Joseph Yav Katshung est Coordonnateur de L’antenne de la Chaire UNESCO
des Droits de l’Homme/Université de Lubumbashi.
Il peut être joint à cette adresse e-mail : [email][email protected]

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