Un mois après le renversement de François Bozizé, Michel Djotodia, président intérimaire centrafricain, tente de ramener le calme dans le pays. Mais le pari est très risqué pour le nouveau pouvoir centrafricain en proie à une équation à plusieurs inconnues. A Bangui, la peur, la méfiance et la hantise des exactions rythment le quotidien.
Bangui, lundi soir. Michel Mbele, commerçant à Boy-Rabé, quartier nord de la capitale centrafricaine en proie à l’insécurité, presse les pas. ‘’Je dois rentrer à la maison avant la tombée de la nuit’’, dit-il pour justifier son allure pressée. ‘’Depuis la chute de Bozizé, il y a des hommes armés qui font la loi et qui s’en prennent aux populations civiles ’’. ‘’Ces gens arrachent des véhiculent, occupent arbitrairement les maisons et n’hésitent pas à brutaliser, tuer et violer’’, renseigne un militant de la société civile. ‘’ Les fouilles des maisons et la traque aux Gbaya - l’ethnie de François Bozizé - sont aussi vivaces’’, renchérit il tout en invitant le gouvernement de Tchangayi à prendre ses responsabilités.
Depuis les affrontements qui ont opposé mi avril des éléments de la Séléka aux partisans de Bozizé dans plusieurs quartiers de Bangui, les Banguissois ont peur. ‘’Nous avons peur des exactions et des violences’’, avoue Alain Ngaisonna. Cet habitant de Ouango et de l’ethnie Gbaya, pointe du doigt la Séléka. ‘’Ce sont eux qui causent l’insécurité’’, assène t-il.
Mais l’insécurité à Bangui ne règne pas que la nuit. ‘’Même dans la journée, les gens ont peur de vaquer à leurs occupations. Les écoles sont fermées et de nombreux fonctionnaires ne veulent pas reprendre service’’ ; observe pour sa part un journaliste, membre du Réseau des journalistes pour les droits de l’Homme en République centrafricaine (Rjdh-Rca).
Du côté de la Séléka, on se défend de s’adonner à des exactions gratuites. ‘’ Ceux qui nous accusent d’exactions, pillages et violences ne sont pas bien renseignés’’, relève un officier responsable du camp de Roux où de nombreux combattants de la Séléka ont été encasernés. ‘’Ils nous reprochent des opérations de sécurisation de la ville comme le désarmement des miliciens pro Bozizé en mi-avril ’’.
Le colonel Ali Garba, un officier supérieur qui mène depuis plusieurs jours des opérations de sécurisation entre la capitale et la ville de Bossembele à 175 km de Bangui, se veut lui aussi rassurant. ‘’Nous sommes en train de nous activer pour mettre hors état de nuire tous gens armés qui se font passer pour des éléments de Séléka et qui s’adonnent à des activités barbares’’, informe t-il.
Pour ramener le calme à Bangui, les nouvelles autorités ont pris des mesures urgentes. ‘’Nous avons d’abord casé les combattants de la Séléka dans les camps militaires. Puis nous avons mis en place des unités de sécurisation comme la brigade d’intervention mais aussi une brigade qui s’occupe du désarmement’’, affirme le tout nouveau chef d’état major de Faca, le général Jean Pierre Dolowaye.
Mais, la batterie de mesures visant à sécuriser la capitale centrafricaine nécessite des moyens financiers que le pays n’a pas. Michel Djotodia, élu président par intérim par le Conseil national de transition, en est conscient. ‘’Nous sommes à la recherche des moyens pour désengorger la capitale d’un grand nombre des hommes en armes’’, annonce le nouvel homme fort de Bangui qui soutient que ‘’cette opération permettra de ramener la sérénité’’.
LA SELEKA UNE MENACE DE TOUS LES INSTANTS
Ramener la sécurité et la sérénité apparaît comme un pari risqué pour Michel Djotodia. ‘’Non seulement Djotodia doit faire face à la volonté affirmée de Pro Bozizé de jouer aux empêcheurs de tourner en rond, il doit surtout surveiller ses arrières’’, note Firmin Mara, sociologue. ‘’La Séléka doit vraiment rassurer les Centrafricains de sa capacité à restaurer la paix et surtout la stabilité dans le pays’’.
Conglomérat de mouvements qui ont fédéré autour de l’idée de déposer Bozizé, la Séléka doit reprendre en mains ses hommes systématiquement mis en cause dans des exactions et autres tueries qui endeuillent le pays. ‘’Le vrai défi pour Djotodia sera de maintenir le semblant de cohésion qui l’a caractérisé jusqu’à la prise de Bangui’’, espère un membre du Conseil national de la Transition.
Plus facile à dire qu’à faire, rétablir la discipline au sein de la Séléka est une tâche ardue. ‘’Maintenant que l’ennemi commun, François Bozizé est hors jeu, la bataille de positionnement va se sentir. Car les perspectives électorales vont davantage faire ressortir les divergences qui opposent les acteurs clés du mouvement mais aussi leurs ambitions’’, estime un journaliste politique centrafricain.
L’autre danger que constitue la Séléka, c’est certaines alliances qu’elle a eues. Depuis l’attaque de Berberati attribuée à Boko Haram, le nouveau pouvoir centrafricain court le danger de se voir marginaliser sur la scène internationale. ‘’A cause de cette attaque, note un spécialiste congolais des questions stratégiques, le régime de Bangui risque de devenir infréquentable du fait de ce qui pourrait paraître pour une incapacité des dirigeants à se faire obéir par des soldats’’.
Les pourfendeurs de la Séléka ne manquent pas non plus de grain à moudre. ‘’Ces gens n’ont pas de projet commun et vont avoir du mal à diriger le pays dans ces conditions’’, charge un pro-Bozizé qui se terre chez lui. ‘’Ils naviguent à vue et improvisent à tout va. A moins que Tchangayi joue à colmater les brèches, ils vont droit vers la catastrophe’’.
Tchangayi, le Premier ministre et patron d’un Exécutif qui se veut fort, a pris toute la mesure de la situation. Depuis sa nomination, il voyage sans relâche pour sensibiliser le monde sur la situation de son pays. ‘’Le Premier ministre est en constant déplacement pour aider à apporter des réponses à l’urgence, notamment trouver de l’argent pour renflouer les caisses de l’Etat qui sont vides et surtout pour les questions sécuritaires’’, affirme un de ses conseillers.
Pour pacifier le pays, le gouvernement centrafricain compte s’appuyer sur le programme Ddr (désarmement, démobilisation et réinsertion) qui, avant la prise de pouvoir par la Séléka, avait bénéficié d’un financement 8 millions de dollars de la Cemac (communauté économique) et d’une promesse de 4 millions d’Euros de l’Union européenne.
Mais, le retour à la normale en Centrafrique dépend d’abord de l’attitude des forces combattantes qui ont aidé la Séléka à prendre le pouvoir à Bangui De leur capacité à intégrer le processus républicain, après avoir été des forces rebelles, repose les espoirs de la restauration de la démocratie centrafricaine interrompue brutalement par le coup violent lui assené par François Bozizé en mars 2003..
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** Mohamed Mboyo Ey’ekula est journaliste
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