Pour tous ceux qui, à l’extérieur de la Côte d’Ivoire, se demandent comment les élections ont pu être organisées, alors que les rebelles étaient toujours armés au nord, Venance Konan rappelle des faits. Et montrer que c’est Gbagbo qui a lui-même joué et a été perdu par son propre jeu. Toute autre considération, analyse-t-il, et «mauvaise foi et malhonnêteté intellectuelle».
« Peut-on prendre le risque d’annuler l’élection présidentielle et de nous opposer, nous Conseil constitutionnel, à des millions d’électeurs et ainsi remettre en cause la démocratie ? » Devinez qui a dit cette belle phrase. C’est Roland Dumas, l’actuel avocat du boucher d’Abidjan, lorsqu’il était président du Conseil constitutionnel chez lui en France. C’était le 11 octobre 1995, et c’est le journal Le Monde qui a rapporté cette information. Il s’agissait, pour le Conseil constitutionnel français, de valider les comptes de campagne d’Edouard Balladur. Il s’était avéré que ce compte présentait des anomalies qui devaient l’amener à se justifier devant la loi. Et Roland Dumas a fait remarquer que les comptes de campagne de Chirac, le président élu, présentait encore plus d’anomalies. Si l’on s’y appesantissait, cela aurait pu conduire à l’annulation de l’élection de Chirac. Et Dumas a estimé qu’en le faisant, le Conseil constitutionnel aurait remis en cause la démocratie en s’opposant à la volonté de millions d’électeurs.
C’est dommage que « Super Yao », notre président du Conseil constitutionnel qui compte les PV plus vite que tous les ordinateurs du monde réunis, n’ait pas lu cette décision de Dumas. C’est dommage que ce dernier l’ait lui-même oubliée. Il l’a dit, il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de s’opposer ou de se substituer à la volonté des électeurs, ni de s’opposer à la démocratie. Au contraire, le Conseil constitutionnel a été créé dans les Etats démocratiques pour justement renforcer la démocratie, car la démocratie et l’Etat de droit vont de pair. Le rôle de tous les Conseils constitutionnels est de veiller à ce que le droit soit bien dit, que personne ne lui torde le cou.
En Côte d’Ivoire, les électeurs se sont prononcés au cours de l’élection qui a probablement été la plus surveillée du monde. Je ne sais plus combien de journaliste et d’observateurs sont venus en Côte d’Ivoire à cette occasion. Laurent Gbagbo avait dit qu’il voulait des élections propres et transparentes, tellement propres que personne n’aurait à en contester les résultats. Il nous a ainsi promenés pendant cinq ans, sous le motif qu’il fallait patienter pour que personne ne se plaigne après. Et pour cela, il a demandé à l’ONU de certifier toutes les étapes du scrutin, de l’enrôlement sur les listes électorales aux résultats définitifs. Ce que l’ONU a fait. Et nous avons patienté. Certains d’entre nous ont perdu la vie dans cette attente, tombés sous les balles des tueurs de Gbagbo, lorsqu’une étape ne lui convenait pas et que quelqu’un protestait.
Petit rappel pour tous nos amis de l’extérieur (de la Côte d’Ivoire) qui se demandent de bonne foi comment on a pu organiser des élections alors que les rebelles étaient toujours armés au nord. En 2007, Laurent Gbagbo est allé à Ouagadougou signer tout seul un accord avec Guillaume Soro, le chef de la rébellion. On a appelé cela l’Accord politique de Ouagadougou (APO), qui a consacré Soro Premier ministre de la Côte d’Ivoire. Laurent Gbagbo est allé jusqu’à la tribune de l’ONU pour déclarer que son APO était le plus bel accord jamais signé sur terre et il avait même proposé qu’il soit enseigné dans le monde entier comme moyen de règlement des conflits. Soro et lui ont signé des accords complémentaires à ce premier accord et, cahin-caha, nous sommes arrivés à l’organisation de l’élection, lorsque Laurent Gbagbo l’a voulu.
A la veille de ce scrutin, Gbagbo disait encore que Soro avait été le meilleur de ses Premiers ministres, et que c’était grâce à son APO qu’on allait voter dans la paix. C’est Soro et lui qui ont mis sur pied le Centre de Commandement Intégré (CCI), composé d’éléments des forces armées de Gbagbo et de Soro, chargé d’assurer la sécurité lors des scrutins. Personne n’a émis la moindre remarque lors du premier tour. Les rebelles étaient pourtant toujours au nord, et toujours armés. Lorsque Gbagbo est arrivé en tête de ce premier tour, personne ne s’est plaint. Ni des rebelles, ni de l’ONU, ni de Sarkozy qui avait félicité tous les Ivoiriens et leurs leaders.
Avant le second tour, Gbagbo a décidé, un, d’envoyer 1500 soldats supplémentaires au nord, deux, d’instaurer un couvre-feu sur l’ensemble du territoire. Qui a signalé des accrochages entre ces soldats et les rebelles ? Les résultats de Ouattara sont sensiblement les mêmes aux deux tours. Qui peut mettre en doute le fait que le nord soit le fief de Ouattara, tout comme Mama ou Adzopé sont ceux de Gbagbo ? Qui, sans être de mauvaise foi, peut s’étonner des résultats de Ouattara au nord ? C’est essentiellement dans le centre, dans certaines régions du sud-ouest et d’Abidjan qu’il a ajouté à ses voix celles de Bédié, ce qui lui a permis de gagner.
M. Dumas peut-il nous dire si juridiquement, politiquement, et moralement il est permis à un Conseil constitutionnel de supprimer d’un trait de plume les suffrages de plus de 600 000 électeurs de sept départements, au motif qu’on aurait découvert des fraudes dans six bureaux de vote, pour ainsi inverser les résultats d’une élection ? Surtout qu’aucun texte de loi ne lui en donne l’autorisation ?
Nous savons que vous êtes venus avec votre compère Vergès chercher un peu d’argent pour assurer vos vieux jours, et surtout pour enquiquiner votre gouvernement et être, peut-être une dernière fois sous les feux de la rampe. Mais de grâce, ne prenez pas les Ivoiriens pour des imbéciles. Certains d’entre nous, comme les Bro Grébé, Blé Goudé, ainsi que les Jacqueline Oble, Georges Armand Ouégnin et tous ceux, qui sans être de la confrérie des refondateurs, ont accepté d’être dans le gouvernement sanctionné de Gbagbo le sont souvent sans aide extérieure. La stratégie de Laurent Gbagbo et de ses conseillers est de dire qu’un mensonge martelé mille fois finit par devenir une vérité. Mais la vérité martelée ne serait-ce qu’une seule fois restera toujours la vérité.
La vérité est connue de tout le monde, à commencer par les partisans de Laurent Gbagbo. Sinon, ils n’auraient pas transformé la RTI en « Télé Pyongyang». S’ils étaient des démocrates, ils auraient laissé des débats contradictoires se dérouler. Cela ne vous choque pas, Dumas ? Que suis-je bête ! Vous n’êtes pas venu en Côte d’Ivoire pour ça. Mais les évêques qui ne voient pas les morts qui s’accumulent tous les jours, les faux juristes et économistes qui défilent à longueur de journée à la télé sans voir leur pays qui s’effondre, ceux qui sont en retard d’une révolution et qui croient voir des révolutionnaires dans tous les opportunistes qui prétendent se battre contre l’Occident, celles qui ont des comptes sentimentaux à régler avec des Français et croient pouvoir se servir de la Côte d’Ivoire pour le faire, tous ces imposteurs auront beau crier, la vérité est toute nue.
Laurent Gbagbo voulait les élections les plus transparentes du monde. Il les a eues. Et le verdict est tombé sous les yeux du monde entier : Laurent Gbagbo a perdu. Le président élu par les Ivoiriens s’appelle Alassane Ouattara, point barre ! Les cris de putois n’y changeront rien. Il faut être complètement idiot pour parler de lutte de libération, de panafricanisme, d’accuser la Françafrique, l’ingérence étrangère, lorsqu’un petit dictateur que le pouvoir a rendu fou ne veut plus le lâcher et préfère voir son pays complètement détruit plutôt que de céder.
Qu’est-ce qu’il y a de révolutionnaire, d’indépendantiste ou de panafricaniste dans le fait de piller son pays comme Gbagbo et son clan l’ont fait, de tuer l’éducation nationale, de soutenir des jeunes mafieux assassins et violeurs appelé FESCI, de se pavaner dans des voitures de luxe comme un ancien pauvre qui vient de découvrir l’argent ? Ceux qui défilent à la télévision pour vociférer et ceux éructent en Europe, où ils sont à l’abri des tirs des mitraillettes des tueurs libériens, savent très bien qui est Gbagbo. Ils sont tout simplement aveuglés par leur mauvaise foi et leur malhonnêteté intellectuelle. Mais nous ne nous laisserons pas distraire. Ils s’empoisonneront tous seuls avec leur propre intoxication.
* Venance Konan est journalite et écrivain ivoirien
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