«Blaise Compaoré, quelle que soit l’issue de l’affrontement, va immanquablement devoir rendre ses comptes, un jour ou l’autre, et l’on peut d’ores et déjà annoncer sa chute prochaine». Bruno Jaffré a publié ce texte le 28 octobre. Prémonition. Deux jours après, tout se déroulait comme il le pressentait.
« Blaise Compaoré vient de déclarer la guerre à son peuple ». Tel est le titre de la réaction d’un internaute burkinabé sur sa page facebook dès que la nouvelle est tombée : le Conseil des ministres a adopté un projet de loi portant révision de la Constitution. Il a été transmis à l’Assemblée nationale pour être soumis au vote des députés, le jeudi 30 octobre prochain. C’est dire que le pouvoir est désormais pressé.
Deux modifications constitutionnelles sont proposées : « Au lieu de : Art.37. Le Président du Faso est élu pour cinq ans au suffrage universel direct, égal et secret. Il est rééligible une fois.
Désormais : « Le Président du Faso est élu pour cinq ans au suffrage universel direct, égal et secret. Il est rééligible DEUX fois. »
Pour le second article concerné par la modification, le projet de loi propose : « Au lieu de : Art. 165. Aucun projet ou proposition de révision de la Constitution n’est recevable lorsqu’il remet en cause :
– la nature et la forme républicaine de l’Etat ;
– le système multipartiste ;- l’intégrité du territoire national. Aucune procédure de révision ne peut être engagée ni poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire.
Désormais : Art. 165. Après la promulgation de la présente loi, aucun projet ou proposition de révision de la Constitution n’est recevable lorsqu’il remet en cause :
- la nature et la forme républicaine de l’Etat ;
– le système multipartiste ;
- la durée et/ou le nombre de renouvellement du mandat
- l’intégrité du territoire national. Aucune procédure de révision ne peut être engagée ni poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire. »
TOUTES LES MANŒUVRES ONT ECHOUE
Bien qu’ayant exercé le pouvoir depuis 27 ans, cette modification permettrait donc à Blaise Compaoré de faire un nouveau mandat de 5 ans, mais impose à l’avenir l’impossibilité pour un autre président de dépasser 3 mandats. Une modification constitutionnelle, taillée sur mesure pour sa propre personne !
Ainsi donc après trois ans de manœuvres en tout genre, médiations diverses, commissions de consultation pour des réformes politiques, tentative de dialogue vite avortée, le consensus n’a jamais pu être obtenu sur cette modification de l’article 37. Durant toute cette période, cette question avec celle de la mise en place du sénat ont paru être les seules préoccupations du monde politique. Mais elle cachait la vraie question qui préoccupe le pays, Blaise Compaoré va-t-il accepter de laisser le pouvoir ? La réponse est aujourd’hui clairement non.
UN POUVOIR QUI S’EFFILOCHE
Cet entêtement s’est inévitablement retourné contre lui. Car depuis, le monde politique et le monde associatif ont considérablement évolué. A tel point que l’assise du pouvoir s’est petit à petit rétrécie. De très nombreux anciens dirigeants du Congrès pour la démocratie et le progrès (Cdp, le parti au pouvoir), suivis par de nombreux militants ont créé un nouveau parti, le Mouvement du peuple pour le progrès (Mpp). Et non des moindres, puisque parmi eux se trouvent Roch Marc Christian Kaboré, ancien président de l’Assemblée nationale, secrétaire exécutif du Cdp et ex-Premier ministre, Simon Compaoré, ancien maire de Ouagadougou, et Salif Diallo, ancien ministre proche parmi les proches de Blaise Compaoré qualifié « l’homme de toutes les missions discrètes, sinon secrètes » par Jeune Afrique (http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAJA2550p032-034.xml1/).
Certes un Front républicain a été constitué par quelques partis pour soutenir le référendum, mais leurs dirigeants ont eu jusqu’ici un itinéraire tellement sinueux qu’ils sont souvent déconsidérés.
De nouvelles associations de la société civile se sont constituées, en particulier le Balai citoyen, « pour balayer le pays ». Ses membres sont des Cibals, "citoyens balayeurs", et le cibal suprême n’est autre que Thomas Sankara ! Créé par deux musiciens très populaires parmi la jeunesse pour leur musique mais beaucoup aussi pour leur engagement, le balai citoyen, par sa communication, ses formes d’action, son organisation en clubs locaux, l’indépendance par rapport aux partis politiques, a rencontré le besoin d’organisation et de formation d’une bonne partie de la jeunesse engagée.
Le Balai citoyen vient grossir les rangs, avec du sang neuf, de nombreuses associations de la société civile qui ont toujours été actives dans le pays, tout en en renouvelant les discours et les formes d’action.
LE PEUPLE REINVESTIT LE CHAMP POLITIQUE
Surtout, la population s’est remise à investir la rue massivement, répondant à l’appel du chef de file de l’opposition et des associations de la société civile. Plusieurs manifestations rassemblant des foules jamais vues dans ce pays, dans le calme, ont été organisées depuis plus d’un an, pour s’opposer à toute tentative de modification de l’article 37. Beaucoup découvrent ce qu’est la Constitution, des institutions, la vie politique, le mouvement social, l’engagement et les débats stratégiques, la lutte pour la liberté et le bien être social, préparant ainsi la démocratie de demain, celle que l’on qualifie de participative, leur participation active à la vie de la cité. Que de chemin parcouru depuis les révoltes de 2011 où la jeunesse inorganisée, se répandait dans les rues détruisant sur son passage, les gendarmeries, les commissariats de police, les mairies et les maisons des hommes politiques liés au pouvoir !
UN ENTETEMENT SUICIDAIRE
On comprend mieux cette réaction de ce jeune internaute. Car, de fait, le parti au pouvoir semblait dépassé par les évènements, n’étant capable de rassembler des foules qu’à coup de billets de banque, de transports et de repas gratuits. Le piège s’est refermé sur lui lors du dernier meeting qu’il a organisé. Une foule nombreuse s’était rassemblée dans le plus grand stade du pays, alors que de nombreux artistes très connus, grassement payés, se produisaient en attendant le meeting. Mais la foule s’est volatilisée, lorsque les dirigeants du parti ont commencé à prendre la parole ! Un camouflet qui les a ridiculisés. En réalité, la mobilisation massive de la population montre un pouvoir qui a perdu l’initiative et parait être devenu minoritaire. Depuis de nombreux mois, l’opposition prévient, « nous n’accepterons pas le référendum ». Elle se prépare. Et devant le peu de réaction du côté du pouvoir, chacun se prenait à imaginer que Blaise Compaoré allait devoir reconnaitre qu’il avait perdu. Il aurait facilement pu trouver refuge dans un autre pays qui l’aurait protégé.
LA PEUR MAUVAISE CONSEILLERE
Mais non. Nous l’avons écrit. Blaise Compaoré a peur, peur de la justice, peur de devoir affronter son bilan, peur de répondre des assassinats commis sous son régime. Sa famille et ses proches, eux aussi, ont peur des poursuites pour passations de marché frauduleuses, corruption, peur de devoir s’expliquer, peur d’avoir à rendre des comptes, rembourser et devoir faire de la prison ! Blaise a peur aussi que l’on revienne sur sa participation aux déstabilisations dans la région, de son implication aux guerres du Libéria, de Sierra Leone, son soutien aux rebelles de Côte d’Ivoire et à ceux qui ont déclenché la guerre du Mali. Difficile de trouver d’autres explications. Ne mérite-il pas tout autant que Charles Taylor de passer devant la justice internationale ?
Le choix qu’il vient de faire va l’amener droit dans le mur. La population semble prête à l’affrontement et ne se laissera pas faire. L’opposition paraît soudée. L'entêtement de Blaise Compaoré va amener très probablement de la violence. Et s’il pense que l’opposition en sera rendue responsable, il se trompe car le mouvement populaire a fait preuve jusqu'ici d’une très grande responsabilité, et c’est plutôt son entêtement aveugle pour sauver sa propre personne qui paraitra irresponsable. De nombreux appels lui ont été faits, de façon indirecte, pour qu’il sorte la tête haute en laissant le pouvoir. Rien n’y fait ! Son pouvoir est déjà mort. Son parti, moribond, car chacun sait qu’il n’existe que par les sommes d’argent distribuées aux uns et aux autres. Il ne lui reste que des réactions sporadiques de défense, génératrices de violence, qui ne feront que l'isoler un peu plus. C’est désormais le jugement public et la prison qui l’attendent car il sera jugé responsable des troubles qui ne vont pas manquer d’éclater ici ou là.
Une issue possible pourrait être un coup d’Etat militaire, dirigé par le général Gilbert Diendéré, son chef d’Etat-major particulier, celui qui lui a succédé à la tête des commandos de Po, qui commandait les hommes du commando qui a assassiné Thomas Sankara et qui dirige toujours aujourd’hui le régiment de la sécurité présidentielle. Mais nul doute que le répit serait de courte durée.
LES DEPUTES SOUS PRESSION
L’opposition a d’ores et déjà appelé à des manifestations de rue et des meetings le 28 octobre, et à la désobéissance civile à partir de cette date, d’autant que des jeunes issus de groupes de la société civile appellent à manifester tout de suite en bloquant les grandes avenues. Des manifestations sporadiques ont déjà secoué la capitale ces deux dernières nuits. Et ce matin, lorsque nous écrivons ces lignes (Ndlr : à la veille des événéments) elles semblent prendre un peu plus d'ampleur ! Le CDP dispose d’une majorité absolue de 70 sièges sur 127 et peut compter sur d’autres petits partis de la majorité présidentielle. Par contre, le Rda, qui compte un peu moins de 20 députés, membre de la majorité, s’est déclaré cependant opposé au référendum. La loi peut donc être adoptée sur le papier. Mais le Mpp a plusieurs fois annoncé qu’il avait des partisans parmi les députés du Cdp, une trentaine selon ce qu’a plusieurs fois affirmé la presse, mais ils ne se sont jamais déclarés publiquement.
Par ailleurs dans une déclaration lue à la presse le 22 octobre, l’opposition se dit « confiante que les députés vont majoritairement repousser ce projet de loi qui ouvre des perspectives sombres pour notre pays » et invite « les députés du Groupe Adf/Rda, du groupe Cfr, et du groupe Cdp, à faire montre d’un sursaut d’orgueil et de patriotisme en se joignant à leurs camarades de l’opposition, pour faire barrage au coup d’Etat constitutionnel qui est en cours ». Et plus loin « Des informations qui nous parviennent font état d’une corruption à grande échelle est en préparation, pour soudoyer certains députés afin qu’ils votent en faveur du projet de loi. Que ceux qui seraient tentés par ce jeu de lib-lib sachent, que tout se sait ou finit par se savoir sous nos cieux de savane et que le tout n’est pas d’empocher des millions, encore faut-il pouvoir le dépenser dans la paix et la quiétude. » Des menaces à peine voilées.
Les députés de la majorité se trouvent devant un choix difficile : faire preuve de loyauté envers Blaise Compaoré, après avoir grassement profité des largesses du régime, mais en même temps, surtout accompagner Blaise Compaoré dans sa chute et devoir avoir des comptes à rendre dans peu de temps, ou alors voter contre le référendum, ce qui immanquablement les exposerait à des graves mesures de rétorsion de la part de fidèles du régime n’ayant plus rien à perdre !
Et le jour de ce choix, la situation sera particulièrement tendue dans le pays, avec une large partie de la population qui répondra aux appels de l’opposition politique et de la société civile en investissant les rues, et en désertant les lieux de travail, sans compter de probables affrontements dans les rues, auxquels nombreux sont ceux qui s’y préparent.
Telle est la situation qui prévaudra au moment où les députés devront choisir. Quant à Blaise Compaoré, quelle que soit l’issue de l’affrontement, il va immanquablement devoir rendre ses comptes, un jour ou l’autre, et l’on peut d’ores et déjà annoncer sa chute prochaine. La seule interrogation est le prix que va devoir payer la population pour qu’il s’en aille ! Ainsi va le Burkina, de par la seule irresponsabilité de son président au pouvoir depuis 27 ans. Quand on pense que c’est le même homme qui était porté aux nues par les dirigeants de la région, comme ceux de l’occident, présenté comme le médiateur providentiel et "l'homme de paix", il y a encore à peine un an, faisant mine d’oublier son implication dans les différentes guerres qui ont secoué la région, toutes aussi effroyables les unes que les autres, Libéria, Sierra Leone, Côte d'Ivoire, et même au Mali. Ces dirigeants occidentaux, portent une part de responsabilité dans la dérive mégalomaniaque de Blaise Compaoré qui fait mine de croire que le chaos s’installerait sans lui, alors qu’il est en train lui-même de le créer.
Seul son départ peut désormais ramener le calme ! Un calme dont le pays a besoin, pour élaborer des stratégies de développement efficaces pour enfin lutter contre la pauvreté de sa population.
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** Bruno Jaffré anime un site consacré3 au président Thomas Sankara2
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