Le 13 janvier 1963 survient le premier coup d’Etat en Afrique. Le président Sylvanius Olympio est assassiné et le processus d’une véritable indépendance du Togo se trouve brisé, presque deux ans, jour pour jour, après l’assassinat de Lumumba. Dans le précarré africain qui vit ses premières années d’indépendance, la Françafrique met en place ses stratégies meurtrières.
Le 27 avril 1960, le Togo, sous la direction de Sylvanus Olympio, proclama son indépendance après la tutelle française qui a suivi la colonisation allemande. Deux ans plus tôt, les populations du territoire du Togo avaient voté pour l’affranchissement de cette tutelle après une série de tentatives d’étouffement et de trucages électoraux opérés par l’administration française, qui ne voyait pas du tout d’un oeil favorable les démarches émancipatrices du peuple du Togo.
Pour retarder les choses ou les bloquer, la France avait estimé que le Togo lui devait 800 millions de francs. Ce qui, selon les autorités françaises, équivalait aux dépenses que la tutelle aurait coûté. M. Olympio, en homme avisé, comprit très tôt qu’un pays qui se proclame indépendant tout en étant "endetté" ne saurait être libre. Ainsi, consacra-t-il deux ans avec l’effort du peuple à travailler pour payer ces 800 million de francs et pour doter le pays de quelques infrastructures à la mesure de l’évènement à célébrer en 1960.
Mais la France n’entendait pas laisser faire. Le général De Gaulle, au pouvoir dans ces années-là, considérait que l’indépendance de ses territoires d’Afrique doit se faire dans le cadre qu’il aura défini. Et ce cadre doit garantir ses divers intérêts coloniaux. Cette vision des choses heurtait les convictions du peuple, de M. Olympio et ses amis pour qui l’indépendance du Togo devrait se caractériser par :
- une vision sociétale qui met les citoyens du Togo au centre de toutes les préoccupations et non les intérêts occidentaux,
- la rupture avec le franc CFA (Franc des colonies françaises d’Afrique) et une autonomie de battre monnaie,
- la construction d’infrastructures pour rendre viable l’économie togolaise notamment un port autonome à Lomé,
- la révision des contrats miniers, notamment celui sur le phosphate que la France exploitait gratuitement depuis de longues années déjà,
- l’absence de coopération militaire avec la France, car le Togo entendait construire une armée faite uniquement de gendarmerie et de police,
- le développement accéléré des secteurs clés à savoir : l’agriculture pour nourrir les populations, la santé et l’éducation.
La France voyait là de graves menaces. Après son opposition à la construction d’un port maritime à Lomé sous le prétexte que le Dahomey à côté en avait un en construction, la France voyait un danger encore plus grand qu’elle devrait juguler. Sylvanus Olympio voulait rompre avec le franc CFA et battre sa propre monnaie. A cet effet, il avait donc préparé avec la Banque de France un accord de rupture qui devait être signé le 15 janvier 1963. La menace se fit plus précise, lorsqu’après échec de toutes les tentatives françaises de le dissuader, allant des propositions les plus mirobolantes à la menace de mort, Sylvanus Olympio lança un appel d’offres d’émission qui fut remporté par l’Angleterre qui émettrait une nouvelle monnaie qui serait garantie par l’Allemagne.
La France voyant que rien n’arrêtait les indépendantistes du Togo, a décidé de mettre fin à la vie de l’homme qui pilotait la machine. Car si le Togo réalisait son projet monétaire, la toile de la Zone Franc que la France avait patiemment tissée autour de ses proies africaines aurait cédé et les proies pas totalement mort se seraient libérées. Et le plan de "l’indépendance-collaboration" aura vécu.
La France va se servir des seconds couteaux démobilisés en Algérie pour abattre Sylvanus Olympio. Le scénario est simple : la France va pousser ces soldats coloniaux, des tirailleurs sénégalais qui avaient combattu contre leur propre continent pour que vive le pouvoir colonial, à aller demander leur intégration dans l’armée nationale du Togo indépendant. La France était convaincue que Sylvanus Olympio, qui fut aux antipodes de ces tirailleurs et qui n’entendait pas avoir une armée de militaires, s’opposera à cette demande. Et ce fut le cas.
Le prétexte fut ainsi tout trouvé. Sylvanus Olympio était immédiatement dépeint comme un tyran dont la haine est orientée contre les gens du Nord, notamment les Kabyè. La nuit du 12 au 13 janvier 1963, la France lâcha ses caniches derrière le président Olympio, qui trouva refuge au sein de la résidence de l’ambassadeur des Etats-Unis d’Amérique. Ce dernier, Leon Pollada, informa aussitôt les autorités françaises, qui y ont envoyé les tueurs l’abattre, sous le patronage du commandant de la gendarmerie Georges Maîtrier.
Le matin du 13 janvier, à 7 h, M. Olympio fut abattu. Eyadéma Gnassingbé revendiqua publiquement l’assassinat (mais Eyadéma dira plus tard que ce n’était pas lui qui avait tiré sur le président, laissant croire à l’oeuvre d’une main française directe. Laquelle ? Quelques sources avaient évoqué le nom de Georges Maîtrier lui-même). Et la France officielle pleura de chaudes larmes de crocodile. Cet assassinat porte la marque de la France, car la mort du président Olympio fut annoncée par la radio France Inter à 6 h du matin, soit une heure à l’avance. Comme ce fut le cas avec le coup d’Etat contre Mamadou Tandja du Niger en février 2010, qui fut annoncé par Bernard Kouchner avant même sa réalisation sur le terrain.
La parenthèse autonomiste fut fermée ainsi dans le sang. Le 13 janvier 1963 a été décrété le jour de la fête de libération nationale. Cette fête macabre, célébrée, jusqu’à une date récente où elle a été ralentie, tous les ans, avec faste et grandioses défilés civilo-militaires, enregistrait toujours la participation des officiels français et d’autres pays aussi bien de l’Ouest que de l’Est à qui des décorations diverses sont accordées. Le territoire, depuis cette date, est plongé sous un régime militaro-policier et remis dans le bain franco-africain.
L’assassinat d’un premier président élu africain après l’assassinat un peu plus tôt du premier Premier ministre en la personne de Lumumba au Congo, signa ainsi le début de la fin de la marche de peuple africain vers son indépendance.
Le 19 septembre 2009, nous écrivions ceci dans une interview réalisée avec Camus Ali du « Lynx » : "En procédant à l’assassinat de Sylvanus Olympio, la France et les USA ont installé au Togo, par le truchement de soldats anti-indépendantistes, incultes et aliénés pro-colonialistes, le chaos. Ils ont semé le crime qui, en se reproduisant dans une impunité absolue, ne cesse de ronger l’âme de notre peuple. C’est en cela que la lutte pour notre affranchissement reste entière. Nos ancêtres l’ont commencée. Ils ont été écrasés. A nous de reprendre le flambeau en ayant la capacité de ne pas répéter certaines de leurs erreurs."
Pour finir, disons que le meilleur hommage que nous puissions rendre à tous ces martyrs africains, c’est, tout en tirant tous les enseignements de leurs oeuvres, de perpétuer leur combat pour l’avènement d’une Afrique totalement libérée, reconstruite et définitivement protégée contre toute agression coloniale.
* Komla Kpogli a publié cet article dans le site http://lajuda.blogspot.com
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