Depuis quelques années, les vols de toutes les capitales d’Afrique de l’ouest vers les aéroports de Nairobi au Kenya et d’Addis Ababa en Ethiopie sont pleins à craquer ! On y trouve des commerçants, des fonctionnaires, des hommes d’affaires et des « monsieur tout le monde » ! S’agit-il de touristes qui vont découvrir les charmes des hauteurs d’Addis ou les parcs du Kenya et les plages de sable blanc de Mombassa ? Sommes-nous en présence de visiteurs qui viennent rendre hommage à Lucy, la mère de l’humanité et qui se repose dans l’un des musées de la ville d’Addis ? S’agit-il de citoyens qui viennent visiter le siège de l’Union africaine et expriment ainsi leur solidarité avec cette institution en charge de la construction panafricaine ? Eh bien, c’est non !
Nous avons fait fausse route et nos hypothèses sont fort éloignées de la réalité de ces flux incessants de personnes qui tout les jours quittent l’Afrique de l’Ouest en direction des deux grands aéroports de l’Afrique de l’Est ! Il s’agit tout simplement de commerçants et de personnes de tous les milieux en quête d’affaires ! Elles transitent par Nairobi ou Addis en direction des grandes villes asiatiques et particulièrement chinoises pour acheter des marchandises et les écouler sur les marchés de Dakar, de Bamako ou de Lagos !
Un mouvement qui ne cesse de grandir depuis quelques années et qui a progressivement remplacé les voyageurs à destination de Paris, de Rome ou d’autres capitales africaines et dont la presse parle peu préférant se concentrer sur les migrants clandestins vers l’Europe et les embarcations du désespoir qui traversent chaque jour la Méditerranée pour déverser leurs lots de détresse et de misère de l’autre côté de la rive !
Ces flux d’immigrants d’un jour ou parfois de quelques heures dans les villes chinoises afin d’acheter produits électroniques, vêtements et autres jouets et de rebrousser chemin parfois dans le même avion n’est qu’un petit élément d’un changement majeur qui est entrain de s’opérer sur le continent et qui concerne la coopération entre la Chine et le continent africain !
En effet, ce pays est entrain de devenir le plus important partenaire économique du continent ! Une évolution qui n’est pas sans rapport avec l’avènement de la Chine comme l’une des puissances émergentes de l’économie mondiale ! Mais, une évolution qui inquiète les partenaires traditionnels de l’Afrique comme l’Europe ou les Etats-Unis dont le Congrès vient de consacrer une audition spéciale récemment à « L’influence de la Chine en Afrique. »
Les inquiétudes de ces partenaires ne sont pas sans fondements tant la présence de la Chine est devenue forte et importante ces dernières années ! Que l’on juge ! La Chine est le principal bénéficiaire de l’énorme programme de construction d’infrastructures entamé en Algérie après des décennies de crise du budget de l’Etat. Ensuite, on trouve les Chinois partout sur les grands chantiers en Afrique. De l’immeuble du Sénat et de la Cité de l’information à Libreville aux infrastructures routières au Kenya et au Rwanda, des fermes agricoles en Tanzanie à la modernisation du réseau ferroviaire en Angola, les chinois sont partout ! Mais, c’est surtout le secteur des hydrocarbures qui attire les investisseurs chinois en Afrique ! Au Nigeria, ils ont acquis pour 2 milliards de $ une importante participation dans un gisement. Les entreprises chinoises ont acquis des permis de recherche au Gabon, en Mauritanie, au Nigeria et en Angola.
Par ailleurs, la Chine est devenue depuis quelques années le premier client du pétrole du Soudan. Avec 30% de son approvisionnement pétrolier en provenance d’Afrique, la Chine est devenue un important concurrent des Etats-Unis qui cherchent depuis la guerre du Golfe à diversifier leurs importations et à réduire leur dépendance par rapport aux gisements du Moyen Orient !
Un autre secteur semble également séduire les entreprises chinoises est celui des télécommunications où elles ont pris le contrôle de certaines entreprises publiques comme au Zimbabwe. L’accélération de cette coopération a eu un effet de boom sur les échanges commerciaux entre la Chine et le continent et le commerce a progressé de 50 et de 60% en 2002 et 2003. Par ailleurs, l’Afrique du Sud est le principal partenaire commercial de la Chine et concentre près de 20% des échanges du Continent avec ce pays !
Progressivement, une situation nouvelle semble se dessiner et où la Chine est entrain de devenir le principal partenaire commercial de l’Afrique ! Mais, la question qui se pose est de savoir si cette coopération sera capable de sortir des sentiers battus et d’aider l’Afrique dans son développement ? Ou si elle épousera les contours des schémas classiques de coopération où l’Afrique ne sera perçue que comme un gisement de matières premières et un marché d’écoulement des produits chinois ?
La réponse à cette question dépendra beaucoup de la capacité des pays africains à imposer une nouvelle philosophie de coopération avec les entreprises chinoises. Cette nouvelle philosophie pourrait reprendre à son compte le proverbe chinois qui dit « ne me donnes pas un poisson mais apprends moi à pêcher ! » Les entreprises chinoises pourraient par exemple mettre en place de nouveaux contrats dans le domaine pétrolier et aider les pays africains à faire face aux contrats d’un autre âge que les grandes entreprises pétrolières leur imposent !
Les autorités chinoises pourraient aussi, par exemple, aider les Africains à construire la compétitivité de leurs secteurs manufacturiers, comme le textile, qui souffrent des exportations chinoises ! La chine pourrait aussi aider les pays africains à maîtriser les secteurs des nouvelles technologies et de la téléphonie mobile ! Une voie dans laquelle semble s’engager le nouveau Président bolivien Morales qui adressé des requêtes qui vont dans ce sens aux autorités chinoises lors de sa dernière visite en Chine ! Alors pourquoi l’Afrique ne saisirait-elle pas cette occasion pour mettre en place une nouvelle coopération au service de son développement ?
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*Hakim Ben Hammouda est le Directeur de la Division du Commerce et de l'Intégration Régionale de la Commission Economique des Nations-Unies pour l'Afrique
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